Page images
PDF
EPUB

» Elle a déclaré aux peuples que, même au milieu de la guerre, elle respecterait les lois de l'humanité et de la justice, et que jamais le soldat français ne verrait un ennemi dans un cultivateur paisible, dans un citoyen désarmé.

» Elle a vu que le désir d'altérer une Constitution où l'unité du corps législatif, où l'égalité absolue des droits opposaient aux intrigues du despotisme d'invincibles obstacles, était le mobile secret de toutes les ligues, de toutes les conspirations ; que l'idée de rendre un conseil de rois juge souverain du degré de liberté qu'ils daigneraient accorder à chaque nation avait ranimé en eux l'espoir d'éterniser la servitude sur la terre; et par un acte solennel elle a déclaré traître à la patrie quiconque consentirait à la moindre atteinte portée à l'égalité, quiconque prendrait part à ces honteuses transactions; elle a déclaré que la nation française regarderait comme un ennemi tout prince qui voudrait porter atteinte aux droits du peuple français, à `l'indépendance absolue de sa Constitution et de ses lois.

» Amis de l'humanité, si nous sommes forcés à la guerre nous aurons du moins la consolation de sentir qu'elle ne sera pas notre ouvrage, mais le crime de ceux qui l'ont préparée, et dont la conduite coupable nous a placés entre la victoire et l'esclavage. Cependant il fallait pourvoir à la sûreté de la nation; et quel était l'état de l'armée ?

>>

» Des mouvemens que des motifs différens semblaient exciter, et qui paraissaient néanmoins tenir à une cause unique, mais inconnue, en avaient successivement agité, désorganisé presque tous les corps; les officiers, qui d'abord ne les quittaient qu'en cédant à ce qu'ils appelaient des violences, avaient depuis quelques mois levé presque ouvertement le masque, et prouvé que les soldats, en présentant la haine de leurs officiers contre la révolution comme l'excuse de toutes leurs fautes, n'avaient dit qu'une vérité d'abord trop peu sentie.

» Et ces officiers, qui déjà grossissaient l'armée des rebelles, n'étaient pas remplacés! Il semblait qu'on attendît le moment où un traité fait aux dépens des droits des hommes leur permettrait de reprendre leur place, où ils daigneraient pardonner au peuple français d'avoir voulu l'égalité; il semblait

qu'on craignît que des officiers patriotes ne rétablissent la discipline, et ne défendissent les soldats des piéges dont l'adresse des conspirateurs se plaisait à les environner!

[ocr errors]

» Cent mille gardes nationaux avaient volé aux frontières et les mesures nécessaires pour les mettre en état d'agir se prenaient avec une lenteur qui eût refroidi un zèle moins énergique. Il fallait réparer les dangers de cette négligence du dernier ministre de la guerre, examiner la situation de l'armée, chercher par quelles lois on devait ou compléter son organisation ou détruire les obstacles qui auraient pu ralentir son activité : combien d'heures n'avons-nous pas employées à préparer ces lois de détail, formées de dispositions dont chacune est minutieuse; mais dont l'ensemble est si important! Et combien de difficultés n'offrent pas ces lois, où il est si nécessaire de concilier l'intérêt de la défense de l'Etat et celui de la liberté, la discipline militaire et l'égalité sociale!

» La marine est une partie essentielle de la force publique ; et une lettre du roi adressée aux commandans avait appris que l'émigration des officiers y faisait des progrès funestes : les mêmes causes y avaient produit les mêmes effets que dans l'armée, et une négligence plus grande y a plus longtemps retardé, y retarde encore les remplacemens.

» Le moment approche sans doute où ces désordres vont être réparés ; mais pour en sonder l'étendue, pour en saisir les remèdes, pour ôter tout prétexte aux retards il a fallu du temps et une surveillance active et soutenue.

»De grands mouvemens ont été excités dans des colonies placées à deux milles lieues de la France, et cette distance augmentait également la difficulté de connaître les faits avec exactitude et d'en pénétrer les causes.

» Les remèdes ne pouvant être appliqués que plusieurs mois après l'époque où le mal qu'on veut guérir est arrivé, tout peut avoir changé dans l'intervalle, et le moyen le plus salutaire peut n'être qu'inutile et dangereux.

[ocr errors]

Mais dans tous les troubles de l'empire français il est une cause toujours agissante, la lutte de ceux qui veulent la liberté contre ceux qui la craignent: et dans toutes les affaires il est des principes dont l'application est toujours sûre; l'humanité, le

respect pour la justice, pour les droits essentiels de l'espèce humaine, ces principes ont seuls guidé nos résolutions:secourir les victimes des troubles, n'employer la force que pour conserver ou ramener la paix, telles ont été nos seules mesures. Une conduite chancelante, des ménagemens pour les préjugés, la craine d'attaquer de front des questions qui mettaient en mouvement des passions si ardentes et de si grands intérêts n'avaient fait qu'aggraver les maux : nous osons croire qu'un attachement sévère aux règles de la justice en marquera le terme, en arrêtera les progrès.

» Dans une année où quelques parties de la France souffraient des effets d'une mauvaise récolte, combien n'était-il point facile d'exciter parmi les citoyens des terreurs dangereuses! Cent mille ennemis implacables, indifférens sur les moyens comme sur les suites de leurs complots, employant sans relâche contre la tranquillité publique leurs discours, leurs écrits, leurs intrigues et leur or, devaient sans doute réussir dans ce funeste projet, et tout en gémissant sur les excès auxquels le peuple s'est porté, sur le mal qu'il s'est fait à lui-même, en écartant par la crainte les secours que le commerce lui eût préparés, peut-être faut-il se féliciter encore de ce qu'ila si bien résisté à ces perfides insinuations, de ce que son amour pour la liberté, son zèle pour la Constitution n'ont point été altérés ; de ce que le respect pour la loi a si rarement cessé de modérer ses mouvemens.

» Des secours accordés aux départemens qui éprouvent des besoins étaient le seul moyen actifque l'Assemblée pût employer; elle a dû se borner à maintenir la liberté entière de la circulation intérieure, établie par l'Assemblée constituante, et conséquence nécessaire de l'égalité prononcée par la Constitution comme par la nature entre toutes les parties de l'empire français. En même temps elle a cru pouvoir ajouter des dispositions plus sévères à la loi contre les exportations, et aux précautions destinées à empêcher que les transports dans le voisinage des frontières, les envois par mer d'un département dans un autre, ne pussent se transformer en de véritables exportations; elle a voulu surtout que ces précautions fussent confiées aux magistrats du peuple; que chaque citoyen pût vérifier si les formalités avaient été remplies: elle a reconnu par là cette

vérité fondamentale dans toute constitution populaire, que le peuple délégue bien ses pouvoirs, mais ne délégue pas sa raison; qu'il remet le droit d'agir, mais qu'il se réserve celui de voir si les hommes qui agissent pour lui et en son nom exécutent les lois et veillent à ses intérêts.

» Tel est l'exposé fidèle de nos travaux et des mesures que nous avons prises pour assurer la liberté de la nation et le salut de l'empire. Nous ne vous parlons pas de cette lutte entre les pouvoirs établis par la loi, dont peut-être, les ennemis de la liberté ont cherché à vous effrayer.

» Nous savons que le succès des lois constitutionnelles dépend du concert entre ces pouvoirs, mais que ce concert doit avoir pour base la fidélité du ministère à faire exécuter les lois, et non la soumission des législateurs aux propositions des ministres ; nous savons que nous devons assurer au pouvoir exécutif toute son activité, mais aussi ne pas souffrir que cette activité le porte au-delà des bornes prescrites par la loi, et qu'une rigoureuse surveillance est une de nos obligations sacrées, dont ses plaintes, ses vains appels au peuple ne nous détourneront jamais; il ne parviendra ni à nous irriter ni à nous séduire; trop convaincus de la dignité de la représentation nationa'e pour que les manoeu vres de quelques-uns de ses agens puissent nous atteindre, nous leur pardonnerons tout, hors la négligence de leurs devoirs, la violation des lois, la trahison contre la patrie, les conspirations. contre la liberté !

[ocr errors]

Français, nous ne vous avons pas dissimulé vos dangers, parce que nous connaissons votre courage. Il s'agit entre vous et vos ennemis de la plus grande cause qui jamais ait été agitée parmi les hommes, de la liberté universelle de l'espèce humaine, de ces droits éternels que l'instinct a souvent disputés contre la tyrannie, que la raison a reconnus, que vos généreux efforts ont rétablis, et que rien ne peut plus ébranler! Ces droits sont la base unique sur laquelle puisse reposer le bonheur durable des nations. Si les orages inséparables d'une révolution ne vous ont pas encore permis de le sentir dans toute son étendue, déjà vous éprouvez celui que la nature attache au sentiment si pur et si touchant de ne voir autour de soi que des égaux, de ne dépendre que des lois; bientôt vous jouirez de cet autre bon

heur qui doit naître d'une législation sage et juste, et des progrès rapides que le règne de la liberté assure au commerce, à l'industrie, aux arts, aux lumières !

» Voudriez-vous renoncer a ces biens, abandonner vos espérances, vous livrer encore à cette politique incertaine qui a si longtemps agité les hommes entre la liberté et la servitude! Sacrifierez-vous les générations futures à l'avantage d'une faussé paix, dont même vous ne jouirez pas, car les tyrans que vous avez fait trembler ne vous épargneraient qu'après avoir cessé de vous craindre, et des chaînes que vous avez pu rompre une fois ne suffiraient plus à leur sûreté !

» Mais en même temps nous ne vous verrons pas, égarés par l'espoir incertain d'une liberté plus grande, vous diviser et vous perdre : vous resterez attachés à votre Constitution, parce que vous voulez rester libres; et, réunis autour d'elle, vous triompherez de cette ligue puissante qui s'était flattée d'anéantir d'un seul coup, avec la Constitution française, la liberté et les droits du genre humain ! >>

K

Délibération sur la guerre.

Dans sa lettre du 28 janvier (voyez plus haut) le roi avait promis «< de hâter le moment de faire connaître à l'Assemblée nationale si elle pouvait compter sur la paix ou s'il devait lui proposer la guerre. » En effet, dès ce moment les communications diplomatiques se succédèrent avec rapidité, sans donner lieu toutefois à de notables discussions on a vu que le roi avait réclamé l'exercice entier du droit qu'il tenait de la Constitution de conduire seul et de régler les négociations politiques. Mais l'Assemblée s'attacha à surveiller le ministère; souvent mandé devant elle, toujours soupçonné, dénoncé et accusé dans la plupart de ses membres, il ne tarda pas à être renouvelé tout entier. (Voyez plus haut, page 41, sa composition à l'ouverture de l'Assemblée.)

Déjà M. Delessart, en passant aux affaires étrangères en remplacement de M. Montmorin, avait cédé le portefeuille de l'intérieur à M. Cahier-Gerville; le département de la guerre, abandonné par M. Duportail, avait été confié à M. Louis Narbonne. MM. Bertrand-Molleville et Duport

« PreviousContinue »