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monde et d'eux-mêmes, soumettre à la fantaisie de quelques voisins les destinées d'un grand empire. Certes les Français, après avoir pris un si haut rang, ne se résoudront pas à descendre jusqu'à la dernière place! Oui, la dernière, car s'il est sur la terre quelque chose de plus vil qu'un peuple esclave c'est un peuple qui le redevient après avoir su cesser de l'être! Ils ne souffriront pas que cette Constitution, premier titre de leur vraie gloire, gage du bonheur de leur postérité, soit le jouet d'une poignée d'intrigans qui essaient d'aveugler leur monarque et trompent des monarques étrangers! Toute la nation se ralliera autour de l'autel de l'égalité; un cri d'indignation sortira du fond de tous lescœurs, et déconcertera le ridicule espoir de ceux qui n'ont combattu le despotisme que pour en arracher un traité entre ses espérances et leur ambition.

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Français, levez-vous, et vous verrez s'évanouir ces rêves' d'une vanité puérilement factieuse! Dissipez d'un mot ces fantômes; déclarez traître à la patrie quiconque oserait parler d'une capitulation que la France ne peut pas signer! La capitulation entre vous c'est la justice, avec des rebelles le châtiment, avec des ennemis la guerre ! »

Délibération sur l'office de l'empereur.

Le rapport fait le 14 par M. Gensonné au nom du comité diplomatique fut mis à l'ordre du 17: la note ministérielle qui en était l'objet occupa pendant huit jours une partie des séances. M. Brissot ouvrit la discussion; il conclut à ce que, d'après la conduite de l'empereur, le traité de 1756 fût regardé comme rompu, et l'état d'hostilité comme existant, si avant le 10 février la cour de Vienne n'avait donné à la France une satisfaction complète M. Dumas combattit M. Brissot: M. Vergniaud réfuta M. Dumas: la rédaction du comité futappuyée par MM. Ramond, Becquey et Daverhoult: ainsi que M. Dumas, MM. Beugnot et Condorcet voulaient tenter encore la voie des négociations, et se bornaient à demander que le roi fût prié de ne confier les ambassades qu'à des hommes amis de la Constitution et du peuple : M. Isnard vota dans le sens de M. Brissot: M. Fauchet égaya la discussion en parlant un langage étranger aux

diplomates « La nation française, dit-il, n'aura plus rien à embrouiller ni à débrouiller avec les gouvernemens des autres peuples...; les ambassadeurs ne sont que des espions superbes...; les consuls vendent les hommes dans leurs comptoirs...; rien n'est menteur comme les agens des cours...; rien n'est violé comme les traités des rois... En conséquence plus de traités, plus de consuls, plus d'ambassadeurs; à tout cela substituons une alliance volontaire et générale avec toutes les nations libres, telles que l'Angleterre, l'Union d'Amérique, la Suisse, la Hollande et la Pologne : quant à celles qui voudront continuer de rester soumises au despotisme, qu'elles nous laissent en paix; nous les y laisserons. » La plupart des orateurs, formant selon leurs vues des tableaux politiques du monde, s'étaient laissé entraîner hors du sujet; M. Hérault termina en peu de mots cette longue discussion.

M. Hérault-Séchelles. (Séance du 25 janvier 1792 )

« Je me suis imposé la loi de me renfermer uniquement dans la discussion relative à l'office de l'empereur, et de vous présenter à ce sujet les principales idées qui me paraissent devoir fixer l'attention de l'Assemblée.

»Je regrette, messieurs, que votre comité dans le préambule de nos projets ne se soit pas appuyé sur une considération qui naturellement y trouvait sa place; c'est la déclaration faite par la nation française de renoncer à toute conquête, espèce de traité synallagmatique qui convient à cette raison calme et élevée que les Français ont prise pour guide, et auquel en même temps, loin de s'y refuser, on doit être bien sûr que les puissances étrangères adhéreront avec grand plaisir. Je regrette, dis-je, que votre comité ne se soit pas élevé à cette grande idée, qu'il n'ait pas annoncé ou plutôt réitéré la résolution connue de la France, qui, par une conséquence de sa renonciation à toute conquête, ayant également renoncé à se mêler en aucune manière de la forme de gouvernement des autres puissances, doit sans doute, à la face de l'humanité entière, s'attendre à la réciprocité la plus parfaite. Quand on verra un peuple sage réglant au sein de ses foyers les lois sous lesquelles 24

VIII.

il lui convient de vivre, laissant la paix à ses voisins, et cherchant l'ordre pour lui-même, si des ambitions et des vengeances osent s'armer contre le bonheur d'un tel peuple, le monde, l'histoire et la postérité, en le plaignant, le vengeront, et couvriront d'un opprobre éternel ses ennemis vaincus, et même ses vainqueurs s'il pouvait y en avoir.

» Je passe actuellement, messieurs, au projet de décret en lui-même. Le premier article selon moi ne devrait être que le second: avant de traiter avec l'empereur, et dans cette circonstance où nous allons pour la première fois lui faire entendre la voix de la France entière, votre comité a omis de montrer à l'empereur une nation. Il ne s'agit plus aujourd'hui de savoir si un ministre d'Autriche nous a écrit ou non avec trop peu d'égards; il s'agit de déclarer que la nation sera désormais la partie contractante; il s'agit de faire reconnaître à Léopold la qualité de ceux avec qui il aura à traiter; et songez, messieurs, que lorsqu'une fois nous aurons été reconnus par l'empereur nous le serons par toutes les puissances : cependant je ne suis pas de l'avis de ceux qui veulent faire reconnaître à l'empereur l'indépendance et l'existence politique de la nation: une grande nation existe par elle-même; elle est indépendante; elle n'a pas besoin de se chercher ni de se sentir dans l'aveu des autres puissances. Je ne suis pas non plus de l'avis de M. Ramond, qui propose que nous demandions à l'empereur s'il convient de notre souveraineté nationale; car ce serait vouloir qu'il désavouât celle dont il se trouve possesseur; ce serait lui demander une abdication, et de bonne foi ce n'est pas par de pareilles demandes que nous mènerons à bien nos affaires. Il y a dans tout ceci un milieu : puisque l'empereur a reconnu la liberté du roi, il est juste, il est conséquent que le roi lui déclare qu'il ne peut traiter avec lui au nom de la nation française que comme roi constitutionnel.

» Je placerais ensuite ce qui fait le premier article du comité; mais je ne demanderais pas comme lui à l'empereur des explications claires et précises, car il n'y a rien de plus vague et de plus obscur qu'une pareille énonciation; il n'y a point de phrase plus favorable aux indécisions et aux tournures : je ne lui demanderais pas des explications sur ses dispositions à l'égard

de la France, car on ne peut demander compte à personne de sa pensée intérieure : je ne lui demanderais pas notamment s'il s'engage à ne rien entreprendre contre nous, car c'est nous faire parler avec trop peu de grandeur et de dignité : enfin je ne lui demanderais pas si en cas d'attaque il nous fournira les secours stipulés par le traité de 1756, car c'est d'abord une mesure trop faible, et de plus il n'est pas à propos de solliciter l'exécution d'un traité lorsque nous laissons dans le vague et dans l'attente de la réponse qui nous sera faite la question de savoir si par la suite nous maintiendrons ce traité même. Je crois qu'il faut demander positivement à l'empereur s'il entend demeurer ami, allié de la France, et s'il renonce à tout traité dirigé contre nous : cette manière me semble bien plus nette, plus précise et plus générale.

>> Je n'insiste pas sur les deux autres articles du comité, qui ne demandent qu'à être mieux rédigés; mais je pense que l'Assemblée nationale doit y ajouter une dernière disposition, celle de statuer que son comité diplomatique lui fera très incessamment un rapport sur le traité de 1756.

» Il faut nous tenir prêts en attendant que l'empereur réponde; il importe que nous sachions si nous devons au rompre tout à fait le traité, ou le renouveler sur d'autres bases, ou le concilier avec d'autres traités : notre situation et la justice qu'on nous rendra peuvent résoudre cette question.

» Il est, messieurs, une dernière objection. On suppose qu'en sa qualité de chef de la maison d'Autriche l'empereur nous donnera toutes les satisfactions que nous pouvons désirer, mais qu'il saura se replier comme chef de l'empire germanique; que, sous prétexte de ne pouvoir refuser comme co-état, il fournira son contingent double, triple et quadruple, ce qui pourrait aller jusqu'à cent mille hommes : par là il acquerrait à la fois l'espoir de reconquérir l'Alsace et la Lorraine, et la certitude d'éloigner du Brabant les troupes françaises. Cette objection, je l'avoue, est de la plus grande importance; mais comme votre comité diplomatique a promis dans son dernier rapport de nous rendre compte incessamment de ce qui concerne les princes possessionnés; comme il est essentiel de ne pas cumuler trop de demandes à la fois, afin d'avoir une

réponse positive; comme l'empereur sait très bien que s'il nous attaque sous le manteau de chef germanique alors nous ferons une guerre sérieuse au chef de la maison d'Autriche, et que le hasard des événemens pourrait bientôt tourner contre luimême, j'en ai conclu, messieurs, après bien des réflexions, qu'il fallait éviter de traiter aujourd'hui cette branche de la question, que nous nous réserverons pour le terme très prochain où nous aurons reçu la réponse que nous demandons à l'empereur; et voici en conséquence mon projet de décret. »

La presque unanimité des suffrages se réunit en faveur de la rédaction de M. Hérault; on ferma la discussion: ce projet, mis aux voix en concurrence avec tous les autres projets présentés, obtint la priorité, et dans la même séance il fut décrété en ces termes :

Décret du 25 janvier 1792.

« L'Assemblée nationale, considérant que l'empereur, par sa circulaire du 25 novembre 1791, par la conclusion d'un nouveau traité arrêté entre lui et le roi de Prusse le 25 juillet 1791, et notifié à la diète de Ratisbonne le 6 décembre, par sa réponse au roi des Français sur la notification à lui faite de l'acceptation de l'acte constitutionnel, et par l'office de son chancelier de cour et d'état en date du 21 décembre 1791, a enfreint le traité du 1o mai 1756, et cherché à exciter entre diverses puissances un concert attentatoire à la souveraineté et à la sûreté de la nation;

» Considérant que la nation française, après avoir manifesté sa résolution de ne s'immiscer dans le gouvernement d'aucune nation étrangère, a le droit d'attendre pour elle-même une juste réciprocité, à laquelle elle ne souffrira jamais qu'il soit porté la moindre atteinte;

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Applaudissant à la fermeté avec laquelle le roi des Français a répondu à l'office de l'empereur ;

>>

Après avoir entendu le rapport de son comité diplomatique, décrète ce qui suit :

» ART. 1o. Le roi sera invité par une députation à déclarer à l'empereur qu'il ne peut traiter avec aucune puissance qu'au

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