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la guerre intestine et la guerre extérieure ; sur vos têtes repose la responsabilité d'une suite incalculable de meurtres et de crimes; il est en votre pouvoir de répandre ou d'épargner le sang des hommes! Si, oubliant votre orgueil, vous fléchissez de bonne foi devant l'égalité des droits civils et politiques; si vous vous joignez au peuple pour détruire et anéantir nos ennemis bientôt toutes les guerres s'éteignent, et la France est sauvée! Mais si vous vous séparez des citoyens amis de la patrie, alors la guerre s'allume au dedans ét se prolonge au dehors; le peuple, indigné des fers qu'on lui présente ; entre en fureur; le géant formidable se dresse tout entier aux yeux des nations étonnées; il déploie ses millions de bras; il écrase à la fois les armées ennemies, vous, vos femmes, vos enfans, et peut-être il court s'engloutir lui-même dans l'abîme de l'anarchie!

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» Voilà le tableau des maux que peuvent causer votre incivisme et votre orgueil; maux terribles que je vois suspendus sur vos têtes, et dont je voudrais vous sauver! Votre meilleur ami c'est celui qui vous présente le miroir de la vérité, celui qui avec le flambeau de la raison vous fait mesurer l'abîme de l'anarchie ouvert sous vos pas! L'anarchie, je le sais, est ce que Vous craignez le plus; on s'est même servi de cette crainte pour vous séparer des amis de la patrie, que l'on vous à peints comme des factieux... Hommes aveuglés! ne voyez-vous pas que vous courez vous jeter dans le précipice que vous voulez éviter! "L'anarchie ne peut être que la suite de la guerre civile, et je viens de prouver que c'est vous qui êtes prêts à l'allumer.

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« O ciel! la guerre civile ravagerait la France, et vous en seriez cause! Pouvez-vous concevoir cette idée, et ne point abjurer votre erreur! Votre imagination se retrace-t-elle le tableau d'une guerre de ce genre? Non, la pensée ne pourrait en concevoir les horreurs si la réalité n'en était malheureusement sous nos yeux? Oui, déjà l'orgueil et l'opiniâtreté des patriciens ont allumé cette guerre aux colonies et dans le Comtat. Regardez dans la tour du château d'Avignon cette glacière que la vengeance à remplie de chair humaine! A travers les fétides exhalaisons voyez-en sortir par lambeaux les cadavres de vos frères! Retracez-vous ce qui vient de se passer à Saint-Domingue; rappelez-vous cet enfant servant d'étendard au bout

d'une pique!... (Mouvement d'indignation. ) Ce tableau vous déchire; vous en frémissez.... Hé bien, c'est vous qui peut-être reproduirez en France ces scènes horribles! L'idée du crime n'est pas dans vos cœurs, je le sais; mais vous pouvez sans le vouloir appeler les forfaits, et, comme je vous l'ai dit, en être vousmêmes les premières victimes; car ne croyez pas que malgré toutes les intrigues, les coalitions des cours étrangères et les trahisons de tout genre, vous soyez jamais les plus forts. Vous espérez qu'on trouvera dans la Constitution même des ressources pour la faire avorter, et forcer le peuple à accepter un accommódement qui détruise l'égalité... Mais les représentans de la nation, chargés d'en défendre les droits, vous annoncent au nom du peuple qu'il ne veut point d'accommodement; qu'il veut cette égalité décrétée, qu'il en jouira, parce que le peuple peut tout ce qu'il veut! La seule chose qu'il ne peut pas c'est d'aliéner ses droits sur l'égalité, parce qu'elle est inhérente à son être, et qu'il ne peut pas plus y renoncer qu'à son caractère d'homme aussi c'est vainement que tous les despotes de la terre s'uniraient pour la lui ravir; nous sommes des millions d'hommes prêts à la défendre, et s'il le faut nous serons des milliards! Le peuple français n'a qu'à pousser un grand cri, et tous les autres peuples répondront à sa voix, et la terre se couvrira de combattans, et d'un seul trait tous les ennemis de l'égalité seront rayés de la liste des vivans! Ce ne sont point ici des déclamations oratoires; oui, si vous refusez de fléchir devant l'égalité constitutionnelle, tremblez! La faux de la guerre civile est levée sur vos têtes, et au premier signal elle va vous moissonner! Mais quand même vous échapperiez à son tranchant, comment échapperez-vous aux horreurs de la misère? Vos trésors vous sont plus chers que la vie; hé bien, croyez-vous les conserver au milieu des dissensions et dans le désordre de la banqueroute? Que deviendraient en cas de contre-révolution vos assignats, vos créances, vos domaines nationaux, toutes vos propriétés enfin? Insensés que vous êtes! est-il possible que vous vous laissiez égarer à ce point par un fol orguei!; que vous soyez ainsi les dupes de nos ennemis! Comment ne voyez-vous pas que vous êtes la classe des citoyens qui gagne le plus à la révolution, parce qu'on a traduit les richesses d'opinion, que

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vous n'aviez pas, et par lesquelles on vous humiliait chaque jour, tandis que l'on conserve les richesses inobilières, que vous possédez, et qui vous assurent mille avantages dans la société! Enfin comment ne préférez-vous pas d'accepter le bonheur qui vous est offert par les mains de l'égalité, plutôt que de courir å la misère et à la mort!

» Chers concitoyens, chers amis, revenez sur vos pas! Il en est temps encore; sauvez la France d'une guerre intestine; je vous en conjure au nom de la patrie éplorée, de vos propriétés, de votre existence, et de tout ce qui vous est cher? Mais que faut-il donc faire? me direz-vous... Il faut abjurer tout sentiment d'orgueil; il faut rendre hommage à l'égalité des droits, établie par la Constitution; il faut être moins égoïste, et plus citoyen; il faut paraître aux assemblées ordonnées par la loi, ne pas dédaigner de vous y trouver à côté des citoyens de toutes les professions, n'importe leur costume (applaudissemens); y respecter les choix du peuple, les mériter en prenant intérêt à la chose publique; abandonner toutes les associations sus pectes; vous montrer dans les sociétés patriotiques, ne fût-ce que pour contenir la fougue du patriotisme, empêcher qu'on ne s'écarte des bons principes, diriger les esprits vers le bien, et démasquer ceux qui voudraient égarer le peuple. On vous a dépeint ces sociétés comme des volcans qui peuvent embraser la France: cela n'est pas vrai, et si cela était ce serait une nouvelle raison pour vous décider à vous y rendre; oui, c'est parce que le feu du patriotisine aurait allumé là un incendie qu'il faudrait y courir en foule l'éteindre avec la pour sagesse et la modération! (Applaudissemens.) Si vous avez la probité d'agir comme je vous le conseille je vous réponds que l'Etat est sauvé, et qu'au lieu de voir couler le sang tous les cœurs se livrerontaux effusions de l'amour fraternel. Pourriez-vous résister au plaisir d'opérer tant de bien pour courir le risque d'enfanter mille crimes! Non, vos cœurs seront touchés; c'est la justice, c'est l'humanité, c'est votre intérêt qui vous pressent; c'est la patrie qui vous parle par ma bouche, et vous ne serez pas insensibles à sa voix !

Après avoir ainsi parlé le langage de la vérité à tous les

citoyens de la France, permettez-moi, messieurs, de le faire entendre à vous-mêmes.

» J'avoue avec autant de plaisir que de franchise qu'ayant étudié le véritable esprit de l'Assemblée j'ai reconnu qu'il n'existe ici que des amis de la patrie. (Applaudissemens.) Nous désirons tous le bonheur de la France; nous voulons tous la monarchie décrétée, parce que son unité convient à une nation de vingt-cinq millions d'hommes dont les mœurs sont plus douces que pures, et que, sans être incompatible avec la liberté, elle est préservatrice de l'anarchie. (Applaudissemens.) Nous voulons tous l'hérédité du trône, parce qu'elle est une digue contre l'ambition des grands citoyens et l'intrigue des factieux. (Applaudissemens.) Mais nous voulons aussi que les rois et les ministres remplissent leurs devoirs, et que l'or de la nation ne serve jamais que pour son utilité et sa splendeur; nous voulons tous la liberté véritable, c'est à dire celle qui a l'égalité pour base, et qui est fille des lois, et non la mère de la licence; enfin nous voulons tous la Constitution que nous avons jurée! (Applaudissemens.) Personne ici n'est parjure; mais nous nous méfions les uns des autres...(Une voix : C'est vrai !) Nous prenons des différences d'opinion pour des différences de principes, et la chaleur patriotique pour de l'exaltation; enfin l'intolérance, le trouble, l'inquiétude habitent cette enceinte, où devraient régner la confiance, l'estime et la paix. Cette manière d'être ne peut qu'influer sur nos lois, qui sont forcées de filtrer à travers nos passions; séparés les uns des autres, nous ne formons point un corps unique qui puisse saisir un grand système, prévoir les événemens, méditer l'avenir, embrasser des plans vastes, exécuter une suite de projets bien médités, et manier hardiment les rènes de l'empire; nous rendons trop souvent au inilieu des cris et du désordre ces décrets arbitres du sort de la nation, que la sagesse devrait seule prononcer dans le recueillement du silence. (Applaudissemens.) Il faut enfin que le mouvement de cette Assemblée change; il faut qu'elle se dessine avec majesté aux yeux des peuples qui la regardent! Elle a de grandes ressources: de quelque côté que je jette mes regards j'aperçois des hommes de caractère et à talens;

il ne nous manqué que le silence et l'union. (Applaudissemens.) Unissons-nous donc, messieurs, unissons-nous ! Le temps presse : la France libre est sur le point de lutter contre l'Europe esclave; voici l'instant qui peut-être doit décider à jamais du sort des rois et des nations! C'est vous que le ciel réservait pour présider à ces grands événemens; élevez-vous à la hauteur de vos destinées ! Vous répondez à la France, à tous les peuples, aux générations contemporaines et futures de la liberté humaine! Si les despotes coalisés triomphent d'elle dans ce moment dix siècles s'écouleront avant qu'elle reparaisse sur la terre; mais si elle triomphe de la coalition des despotes je la vois s'élancer sur le globe et qui sait où elle s'arrêtera!

>>

Frappés de ces grandes vérités, pourrions-nous, messieurs, différer plus longtemps de nous réunir!

>> Le décret d'accusation lancé contre les princes va réunir tous nos ennemis, qui avaient aussi leurs rivalités secrètes : il faut qu'il opère sur nous un effet pareil.

» Détruisons ce schisme qui s'est introduit dans la religion du patriotisme.

» Pourquoi nous placer chaque jour sur deux lignes, comme si nous voulions nous combattre, lorsqu'il ne faudrait que nous éclairer, nous concilier, nous aimer! (Applaudissemens.)

» Brisons enfin cette barrière qui nous sépare; que dès demain les patriotes les plus ardens, comme ceux qui sont les plus calmes, s'asseyent indistinctement sur les siéges qu'occupaient les Mirabeau ou les Maury! Agissons de concert pour arrriver au même but; que les hommes à talens qui se taisent rompent un silence coupable; qu'ils songent que depuis qu'ils sont législateurs leur génie appartient à la patrie, et qu'ils sont comptables de tout le bien qu'ils négligent de faire !

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Que chacun de nous se rappelle que le premier sacrifice que doit faire l'orateur citoyen est celui de son amour-propre ; cessons d'être aussi intolérans que nous le sommes !

>> Il faut que dans toutes les discussions chaque orateur puisse dire ce qu'il lui plaît, et que l'Assemblée l'écoute en silence : le bruit tue la réflexion; le défaut de silence dans une assemblée de législateurs produit le même effet que le défaut de clarté dans un atelier d'artistes.

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