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faire oublier ce qu'il ne doit point voir... Examinons si une mesure juste au fond est inconvenante en politique; les faits me serviront encore de raisonnement.

» Tant que les projets n'avaient point de consistance nous avons pu ne penser qu'à l'affermissement de nos droits et de notre Constitution; mais aujourd'hui que la crainte est excitée par nos prêtres, qu'ils promènent leurs regards sur la France, sur cette proie si riche, et qu'ils disent si facíle ; aujourd'hui que leurs combinaisons ont pu se mûrir tranquillement à l'ombre des les:teurs, des embarras, de la connivence peut-être de l'autorité; aujourd'hui que nos forces déployées attendent l'ennemi qu'elles ne connaissent pas, il est de la dignité nationale et de la saine politique, comme de l'éternelle justice, que la loi frappe l'ennemi qu'elle connaît.

» C'est alors, messieurs, que, préparés à soutenir votre décret d'accusation par toutes les forces de l'empire, vous apprécierez au juste cette résistance solidaire dont on vous menace, et que la malveillance se plait à exagérer.

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L'Allemagne entière, l'Espagne, la Suisse, la Prusse s'arment, dit-on, contre nous; la Suède embarque de la cavalerie; vingt-quatre mille Suisses, vingt-quatre mille habitans d'une terre de liberté viendront en arracher les plants sur le sol même de la liberté !... Toutes les haines sont oubliées, toutes les discordes cessent, et les intérêts les plus opposés s'allient dès qu'il s'agit de nous détruire, nous qui, sur les ruines de la Bastille, avons juré l'égalité!... Voilà ce que l'aristocratie, connue ou cachée, publie chaque jour pour vous amener à ses fins, et avant tout pour paralyser par le démon de la peur et la justice et la loi! ( Applaudissemens.)

» On vous a fait apprécier ici, messieurs, la mesure fidèle des craintes probables que nous devions avoir à l'égard des puissances étrangères; mais je vais plus loin. En vain supposerait-on toutes ces bandes ennemies composées de tyrans mêmes; en vain l'on feindrait de croire que le matelot suédois, le paysan russe ou le montagnard helvétien peut s'identifier à l'orgueil des despotes et à ce qu'ils appellent le droit des couronnes : les sentimens de tous les droits naturels seraient éteints chez eux, qu'ils les retrouveraient chez nous ! Le sénat de Rome voyait

des tentes d'Annibal du haut de ses murs quand il vendit les terres qu'elles occupaient : nous n'en sommes pas à ce point, et nous présenterons auparavant au monde le spectacle imposant d'un peuple immense qui se précipite sur les mille têtes hideuses du despotisme! (Vifs applaudissemens, ) La France entière s'élevera en pied comme une colonne, et ce cri terrible; la Constitution ou la mort, parcourra en un instant nos nom¬ breux bataillons! S'il faut sacrifier nos propriétés nous les sacrifierons; notre vie sera comptée pour rien, et nos droits pour tout! (Applaudissemens, ) Cachés derrière la horde des conjurés, les grands conjurés paraîtront, et nos coups ne porteront plus à faux dans l'obscurité; enfin, s'il est écrit que nous devons succomber, nous aurons mérité d'être libres, et notre exemple ne sera peut-être pas inutile aux peuples?

» Faites donc, messieurs, précéder toute autre mesure, toute mesure de force par le simulacre de la loi, et peut-être par-là déjouerez-vous plus d'un complot; peut-être amenerez-vous l'éruption de cette lèpre politique cachée depuis la révolution au fond du cabinet des affaires étrangères il faut enfin que leur agent, comme tous les autres, parle une langue que nous entendions, et qu'il nous donne la clef de ces chiffres qui servent à des négociations mystérieuses,

» Je ne parle ici que chefs des rebelles : eux seuls peuvent être accusés par la loi ; s'ils étaient une puissance ils devraient être attaqués. Si la querelle de ces coupables, ou plutôt si leurs crimes, étrangers aux constitutions politiques de nos voisins, sont appuyées par eux, il est manifeste que l'agression vient de leur part. Si ces princes combinent les intérêts de ces chefs de factieux avec les réclamations qu'ils ont à nous faire, s'ils demandent à transiger pour l'Alsace en traitant pour Coblentz, une iniquité hardie les déshonorerait moins que cette perfide alliance, et dans ce cas qu'ils ne s'en prennent qu'à eux-mêmes, des maux qu'ils s'attireront? La nation a juré la paix; mais elle l'a jurée sur ses armes en cas d'attaque! ( Applaudissemens Į Ainsi la justice, la dignité nationale, d'accord avec la politique, nous prescrivent de décréter les grands coupables; tout autre détermination me paraît ou précipitée ou timide, et son inévi→ table objet serait de nous placer dans une position injuste ou

craintive à l'égard des étrangers, en même temps qu'elle exposerait davantage aux trames ourdies par une coupable inertie dans l'intérieur.

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Ici, messieurs, se présente le motif que l'on tait, celui qui fait mettre en avant tant de circonspection on eût pu l'avouer; il tient à des sentimens dont on n'a point à rougir. Les chefs des rebelles sont frères et cousins du roi des Français, et l'attachement qu'il inspire rend pénible l'idée de sévir contre ses parens, quoique coupables : c'est un doux sentiment que celui de la pitié; mais qu'elle est cruelle la pitié qui pour épargner quelques individus criminels expose des milliers d'innocens! Le législateur est l'homme de la nation; le roi est l'homme de la nation; sa famille c'est son peuple : placé entre l'intérêt de la nation et celui du sang, la vertu, car il en est pour les rois, ne veut pas qu'il balance: Brutus condamna lui-même ses enfans rebelles, et Rome le consola; la loi les frappait; ils moururent pour la patrie.

Mais d'ailleurs qu'on me dise donc, messieurs, si ces considérations particulières pour la personne du roi nous ne les avons pas eues! Avons-nous assez souffert d'injures, assez altendu, assez pardonné! Combien de fois l'oubli a-t-il été offert aux rebelles, et dédaigné par eux? Et si le moindre de leurs affreux projets eût été tramé dans le régime immoral qu'ils veulent rétablir les insensés eussent-ils échappé au supplice? Les ambassadeurs, les envoyés, les souverains, tout le malheureux globe civilisé eût concouru à venger l'outrage fait au despotisme! L'orgueil d'une femme implacable a fait violer le territoire hollandais pour plonger l'infortuné Latude dans les cachots de Bicètre, et depuis trois ans des bandes furieuses sont à nos portes, troublent nos familles, débauchent nos soldats, blasphement contre nos droits et notre liberté, menacent le roi lui-même, et non seulement ils ne sont pas punis, mais on se demande s'ils sont coupables, parce qu'ils sont parens du roi ! (Applaudissemens.) Si un seul des motifs que nous avons contre eux eût coloré au moins ces massacres secrets, ces empoisonnemens sourds que la raison d'état, moins pitoyable qu'une faible indulgence, a fait commettre tant de fois près des trônes, on n'eût pas demandé si souvent s'il est une morale pour les princes!

» S'il est une morale pour les princes! Je le répète, messieurs, je ne vois dans tous ces mouvemens, ces marches, ces contre-marches, ces délais affectés, ces déclarations sans effet, ces menaces faites à demi, que la suite et la reprise d'un grand complot échoué le 22 juin à Varenne! (Applaudissemens des tribunes; quelques murmures dans l'Assemblée.) C'est encore ici la noble transaction qu'on prépare, la restauration des princes de l'église et des seigneurs de ce monde ! Non, je ne suspecte pas les intentions actuelles du roi ; il s'est convaincu du vœu de la France; mais sa conviction, mais sa volonté même n'ont pas. détruit les espérances des ennemis de l'égalité : un mot peut le faire ; ce mot dépend de vous: c'est le décret d'accusation, car celui-là n'est pas soumis au velo du roi. (Applaudissemens.)

» La loi doit être à l'égard des princes coupables ce qu'elle est à l'égard des autres citoyens: autrement déchirez la Décla-; ration des Droits, abjurez la Constitution, rappelez toutes les vexations féodales, et tenez à bienfaisance si l'on veut vous recevoir à merci! Après avoir imploré votre condescendance pour descoupables ci-devant impunissables, sans doute on viendra réclamer votre justice, et vous raconter ici qu'ils désarment, qu'ils licencient, qu'ils renoncent à leurs projets !... Mais je demanderais en ce cas, comme l'a fait un de vos orateurs, à quoi servent vos cent cinquante mille hommes dont vous couvrez vos frontières ? Ces prétendus repentans ont-ils donc délégué leurs fureurs au seigneur de Worms, à l'évêque de Spire, au bailli d'Etteinhem? Certes, après tant de preuves acquises, les représentans d'un peuple abusé ne doivent pas croire aussi légèrement, surtout quand le dénouement arrive, quand peut-être le grand intérêt de la ligue est d'employer tous les moyens pour

nous cacher l'abîme où ils veulent nous entraîner! ils se repentent!.... Hé bien, qu'ils se rendent à Orléans, qu'ils y justifient leurs erreurs, leur fureurs... Vifs applaudissemens.) Qu'ils se courbent devant la loi elle n'est point descendue du. ciel pour fléchir devant des rebelles.

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» Rendez donc sur le champ le décret d'accusation : demain peut-être il ne sera plus temps, parce qu'il doit être rendu avant tous les préparatifs de guerre. Seconde disposition que vous

devez prendre, suspension de tout paiement; troisième disposition, sequestre des biens appartenant aux accusés, en gage des indemnités que pourra nécessiter la procédure bruyante qu'ils

occasionneront.

» Je conclus au décret d'accusation qui vous a été présenté par le comité diplomatique, sauf toutefois à retirer le considé→ rant, qui met une différence entre ces accusés et les Varnier et les Delâtre, que vous avez accusés de même ; il ne doit point y avoir de différence entre ces décrets.

Il serait bien encore une dernière mesure que je pourrais vous offrir. Peut-être vous paraîtrait-il juste de prendre des mesures d'un genre nouveau contre les ennemis de l'intérieur, contre le fanatisme : vous savez que l'homme qui croit servir Dieu avec des crimes est l'ennemi le plus féroce et le plus dangereux; et si la loi doit punir le crime en raison des dangers, j'oserai vous dire : surveillez cette classe de rebelle; ajoutez au Code pénal une loi contre le fanatisme!

» Messieurs, l'état flotte entre l'indignation et l'incertitude: parlez! Tout se concerte, tout se rallie, la révolution s'achève et dès que le crime n'aura plus de privilége la nuit du 4 août 1789 séra complète! » ( Applaudissemens. )

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A M. Jean Debry succède M. Hua: il parle contre le décret d'acusation; on ne l'écoute qu'avec impatience, et l'Assemblée ferme la discussion. La demande de l'ajournement, reçue par des murmures, est rejetée sans opposition: des applaudissemens couvrent la décision de l'Assemblée qui accorde la priorité au projet présenté par M. Gensonné au nom du comité diplomatique.

La suppression du considérant, demandée par M. Jean Debry, est mise aux voix :

M. Lacretelle. « Je demande la conservation du considé rant: s'il est jamais une occasion où l'Assemblée nationale doive manifester ses motifs et regarder cette obligation comme un devoir rigoureux, c'est celle-ci. Vous faites un décret qui retentira dans l'Europe entière; il faut que l'Europe entière sache toute la justice de votre cause (murmures); il faut qu'elle la sache par la manière dont vous la présenterez. Vous servirez surtout votre

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