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Pourquoi? parce qu'indépendamment de toute autre considé ration la justice doit se faire entendre aux hommes sitôt qu'un forfait a troublé l'ordre social; parce que la voix de la justice seule les rassure et les console ; parce que le devoir d'un tribunal établi pour la poursuite de pareils crimes est de rigueur par cela seul que le crime a été commis: suffirait-il donc qu'un coupable se dérobât à la peine qu'il aurait méritée pour que la justice, instruite du délit, restât indifférente et muette ?

» Non, messieurs, l'Assemblée nationale doit un grand exemple à la France; elle le donnera : elle doit consacrer par tous les moyens qui dépendent d'elles ce principe si cher aux peuples libres, que la patrie est un objet sacré; qu'attenter à sa sûreté c'est provoquer infailliblement le mépris des hommes et la vengeance des lois, et que les coupables qui ne pourront être livrés au glaive de la justice lui seront au moins abandonnés.

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Rappelez-vous, messieurs, ce jour où l'ex-ministre Montmorin, mandé pour faire connaître à l'Assemblée nationale l'état de ses relations avec les puissances étrangères, vous parla des émigrations; c'était le 31 octobre dernier ; il vous dit ces propres mots : «< Au surplus, messieurs, cette émigration, qui est devenue une espèce de maladie dont sans doute il est à désirer de voir finir le cours, est plus affligeante qu'inquiétante: le roi a fait cesser le motif qui pouvait lier les puissances étrangères à la cause des Français éloignés de leur patrie; eh! dès ce moment que pourraient tous leurs efforts en supposant même qu'ils eussent le projet de les diriger contre elle! » Ainsi le ministre, en vous présentant des considérations, ne négligeait rien pour vous dissuader des mesures rigoureuses auxquelles vous étiez entraînés. Cependant un mois après le roi nous a dit ici, en réponse à votre message, que dans une circonstance où il s'agissait de l'honneur du peuple français et de la sûreté de l'empire il a cru devoir vous porter lui-même sa réponse; il vous a dit que vous l'aviez décidé à prendre des mesures décisives pour faire cesser ces rassemblemens extérieurs qui entretenaient au sein de la France une inquiétude, une fermentation funeste, nécessitaient une augmentation de

dépenses qui nous épuisait, et compromettaient plus dangereusement la liberté qu'une guerre ouverte et déclarée; qu'il avait fait sans succès auprès de quelques princes allemands des démarches pour les détourner de prêter leur appui aux émigrés; qu'il en avait reçu des réponses peu mesurées, et que ces injustes refus provoquaient des soupçons d'un autre genre... Ainsi cette émigration, qui le 31 octobre était, selon le sieur Montmorin, plus affligeante qu'inquiétante, se trouve un moment après compromettre l'honneur de l'empire français, occasionner une augmentation de dépenses qui nous épuise, et compromettre plus dangereusement la liberté qu'une guerre ouverte et déclarée!... Ainsi, selon le même ministre, le roi, dès le 31 octobre, avait fait cesser le motif qui pouvait lier les puissances étrangères à la cause des Français éloignés de leur patrie, et cependant le 29 novembre le roi n'avait encore reçu de la part de quelques princes allemands qu'une réponse peu mesurée à ces invitations, réponses qui ont provoqué des déterminations d'un autre genre!...

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Messieurs, il est affreux pour des délégués du peuple uniquement occupés de son bonheur d'avoir à penser qu'ils peuvent être trahis par des coopérateurs chargés par état et par devoir de veiller au bien public! Le seul moyen de remédier à cette incertitude, à cette inquiétude du peuple, c'est de surveiller sans cesse, d'être innaccessible aux considérations, et de ne quitter jamais la ligne des principes et des devoirs.

» Le roi vous est, messieurs, un exemple des dangers auxquels s'expose le magistrat du peuple lorsqu'il se livre à des motifs de confiance particulière plutôt que de se conformer aux règles ordinaires de la sagesse. Il a refusé son consentement à votre décret; il a suspendu les mesures que vous aviez prises; il a voulu essayer encore si des sollicitations amicales ne pourraient pas changer les résolutions de ses frères ; il a porté une proclamation dans laquelle il ne conteste ni la réalité du délit que vous vouliez faire réprimer, ni la légitimité de la détermination que vous aviez prise : il en a cependant empêché l'effet sans s'apercevoir que dans cette circonstance il ne faisait autre chose, en apposant son veto, que s'arroger le droit

de faire grâce à des coupables que lui-même était bien éloigné

d'excuser.

»Je ne pense pas, messieurs, qu'aucun des membres de cette Assemblée puisse voter en faveur de l'impunité par des considérations prises plus ou moins dans l'amour que les Français doivent avoir pour le roi et pour sa famille : une vérité bien essentielle, et que je ne crains pas de dire à cette tribune, c'est que le plus grand malheur dont la colère céleste puisse frapper un peuple libre est de lui inspirer l'amour de ses représentans...(Applaudissemens.) Le gouvernement représentatif est le seul bon parce qu'il est celui de la confiance; mais lorsque de la confiance on passe à l'amour, à je ne sais quel attachement servile que de bas courtisans cherchaient autrefois à inspirer au peuple pour le monarque, qu'ils appelaient son père; lorsqu'enfin l'on se passionne pour ses mandataires on est plus en état d'apprécier leur conduite; on se livre à leurs volontés despotiques; on est à leur merci! (Applaudissemens.) Le peuple doit juger souvent ses représentans, les surveiller sans cesse, ne prononcer sur l'inaltérabilité de leurs principes et sur la solidité de leurs intentions que lorsque la pierre funèbre les sépare des corrupteurs. Qu'un peuple soit heureux, qu'une population nombreuse le prouve, que des fêtes publiques l'annoncent! les magistrats qui le verront seront assez récompensés; la postérité fera le reste mais si le peuple est assez malheureux que de se passionner pour eux il mérite l'esclavage, et tombe dans l'oubli! (Applaudissemens.)

» Vous le rendrez donc, messieurs, sans aucun mélange de faiblesse et dans toute la dignité convenable, ce décret d'accusation contre les princes! Vous le devez au peuple français, qui se lasse d'une inutile indulgence; vo, s le devez à Delâtre, à Varnier et autres ; vous le devez à vous, messieurs, depuis le g novembre dernier! Montrez à la nation que la loi est en effet la même pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse! Qu'on ne pense pas qu'envoyés par le peuple pour défendre ses droits vous puissiez un instant balancer entre ce devoir et des considérations particulières! Que si nos fidèles défenseurs sont assez heureux pour faire prisonnières les per

sonnes coupables, qu'ils sachent qu'ils peuvent les faire conduire sans délibérer devant la haute cour nationale!

» Votre comité vous propose simplement, messieurs, de porter un décret d'accusation contre les princes français absens du royaume. Il ne mêle à ce décret aucune décision relative à l'administration de leurs biens patrimoniaux, ou de leurs traitemens, ou de leur apanage, soit pour écarter toute disposi-' tion qui pourrait rendre la sanction nécessaire, soit parce qu'il a été rendu sur cet objet dans le mois de juillet dernier un décret dont l'examen serait indispensable et pourrait entraîner une longue discussion : à cet égard il serait d'avis d'un ajournement. Il ne vous propose pas non plus d'englober dans le décret contre les princes leurs complices, par la raison toute simple que les motifs de décider pourraient n'être pas les mêmes, que cela pourrait fournir matière à discuter longtemps, et que cet acte de justice relativement aux princes ne peut souffrir aucune difficulté.

» Votre comité se borne donc à vous présenter un projet de décret tout simple sans préambule; il vous propose de décréter qu'il y a lieu de mettre en état d'accusation Louis-StanislasXavier, Charles-Philippe, Louis-Joseph, Louis-Henri-Joseph de Bourbon, princes français, comme prévenus d'attentats et de complots contre la tranquillité publique et la Constitution. Il vous propose d'ajourner à huitaine ce qui concerne l'administration de leurs biens, et de charger votre comité des finances de vous présenter les mesures qu'il croit convenables.

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Les rapports des comités entendus, un grand nombre de membres demandent que l'Assemblée accorde la priorité à l'un des deux projets qui lui sont présentés, et que le projet admis soit immédiatement soumis à la délibération; d'autres membres réclament la parole.

" Je pense, dit M. Isnard, que nous ne devons pas ouvrir la discussion. (Applaudissemens.) Nous avons juré de maintenir la Constitution: la Constitution dit que les conspirateurs contre l'Etat seront envoyés devant la haute cour nationale : les princes sont conspirateurs : vous ne pouvez donc plus, sans

trahir votre serment, prolonger une pareille discussion. » (Applaudissemens.)

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M. Becquey. Votre comité diplomatique et celui de surveillance sont d'accord sur les mesures qui sont essentielles en cette circonstance; cependant je me garde bien de penser, comme le préopinant, qu'il faille y porter tant de précipitation: la plupart de vous, messieurs, peuvent avoir leur opinion faite; mais plusieurs peuvent ne l'avoir pas encore. La France sait déjà que vous avez indiqué à ce jour cette importante discussion; il a échappé à l'orateur (M. Guadet, page 292) qui l'a proposé d'annoncer que le décret d'accusation serait donné au peuple pour étrennes..... ( Murmures. ( Allons donc!) Nos ennemis l'ont déjà calculé, et voudraient s'en faire avantage : c'est une raison pour nous, messieurs, de méditer avec attention cette grande mesure. » (Murmures.) Ah, ah, ah!

L'Assemblée décide que la discussion sera ouverte, afin d'entendre les membres qui voudront parler contre les projets des comités. On fait lecture de la liste des orateurs ; trois sont inscrits pour combattre le décret d'accusation; ce sont MM. Gentil, Morisson et Hua: la parole leur est accordée contradictoirement avec MM. Lequinio et JeanDebry.

DISCOURS de M. Louis-Gentil. (Séance du 1er janvier 1792.)

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Messieurs, je n'entreprendrai pas d'affaiblir les sentimens d'indignation que vous font éprouver les crimes des princes rebelles; le plus grand forfait, à mes yeux comme aux vôtres, est de déchirer le sein de sa patrie, de chercher à lui donner des fers, et personne ne porte plus que moi dans son cœur la haine des tyrans, des parjures et des traîtres! Les princes émigrés dans leur orgueil insensé ont épuisé tous les moyens de nous nuire et d'étouffer la liberté dans son berceau : ils ont donc rompu tous les liens qui les attachaient à nous; nul ménagement, nulle considération ne semblerait devoir suspendre la vengeance d'une grande nation prête à éclater sur leurs têtes coupables: ce n'est donc pas pour prendre la défense de ces

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