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l'intérieur de l'Etat, l'horrible banqueroute engloutissant avec vos assignats vos fortunes particulières et les richesses nationales, les fureurs du fanatisme, celles de la vengeance, les assas sinats, le pillage, l'incendie, enfin le despotisme et la mort se disputant dans des ruisseaux de sang et sur des monceaux de cadavres l'empire de votre malheureuse patrie!

« La noblesse ! c'est à dire deux classes d'hommes: l'une pour la grandeur, l'autre pour la bassesse; l'une pour la tyrannie, l'autre pour la servitude.

» C'était elle, dit-on, qui faisait travailler le pauvre, et lui fournissait des moyens de subsistance... Mensonge audacieux! Ce n'est point parce qu'ils étaient nobles que vos satrapes fugitifs salariaient l'indigence laborieuse, mais parce qu'ils avaient de l'or, parce que leur avidité puisait à son gré dans le trésor national: le prix des travaux commandés par leur luxe ou leurs caprices ne fut le plus souvent qu'une portion volée de la substance du peuple, qu'ils lui faisaient racheter à la sueur de son front. Cet or, coulant désormais par des canaux plus purs, portera une heureuse fécondité dans toutes les parties de l'empire, et des secours efficaces à tous les infortunés.

» La noblesse !!! Ah! ce mot seul est une injure pour l'espèce humaine: quel autre d'ailleurs rappellera désormais à la France des parjures plus réfléchis, des défections plus honteuses, des trahisons plus perfides, des conspirations plus atroces?

» Et cependant c'est pour assurer le succès de ces conspirations, préparer une couronne à ces perfidies qu'une partie du midi s'agite, et que le nord menace d'envoyer des armées contre nous ! L'appareil de la force et l'astuce des négociations sont tour à tour employés pour relever les faux dieux que nous avons abattus. Une absurde idolâtrie fit le malheur et l'opprobre des générations écoulées : on tente de mettre toute l'Europe en mouvement pour y faire condamner sans retour les générations futures; craignant qu'il ne lui échappe, le despotisme voudrait d'avance dévorer l'avenir!

» Hé bien, il faut détruire ses coupables espérances par une déclaration solennelle! Oui, toute idée d'autre distinction entre les citoyens que celle des talens et des vertus sera constamment rejetée avec horreur par la France libre: la France libre ne

parlera plus de noblesse qu'avec le mépris qu'on doit aux préjugés, et la haine que méritent la tyrannie et la trahison! Oui, les représentans de la France libre, inébranlablement attachés à la Constitution, seront ensevelis sous les ruines de son temple avant qu'on ose vous proposer une capitulation indigne d'eux et de vous!

» Français, vous touchez à l'époque de la révolution où votre sort va se décider pour jamais! Le livre des destins est ouvert, et vous allez y prendre une place que vous ne quitterez plus!

Des divisions imprudentes, des méfiances sans fondement, des craintes ridicules, un relâchement funeste dans votre zèle peuvent vous ravir le fruit de trois années de courage et de travaux, vous livrer à tous les maux de l'anarchie, aux angoisses de la misère, aux fureurs de la guerre civile, et vous rendre le mépris et peut-être la proie des nations qui vous entourent!

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Rappelez-vous au contraire la journée immortelle du 14 juillet! Que ce grand souvenirefface celui de vos dissensions particulières, et ranime votre énergie! C'est du salut de tous qu'il s'agit aujourd'hui ! Hâtez-vous de relever le crédit national, et de vous assurer des moyens de défense par votre empressement à payer les impositions! Si vous êtes fonctionnaires publics, redoublez d'activité pour accélérer la marche encore trop lente de notre nouvelle organison politique ! Que l'œil de la justice soit toujours ouvert sur les intrigues du fanatisme religieux ou nobiliaire! Suivez tranquillement dans le choix de votre culte, et sans faire violence à personne surle choix du sien, l'impulsion de vos consciences; laissez, laissez à l'être suprême le soin de juger vos erreurs! Si quelquefois vos. opinions different, est-ce donc un motif pour vous diviser? Il est un cri auquel se reconnaîtront aisément les bons citoyens, la CONSTITUTION!

Ralliez-vous tous à ce nom sacré, unis par une tendre fraternité et par des périls communs, brûlans de l'amour de la patrie, et fidèles à la devise généreuse que vous avez choisie; vivre libre ou mourir! Ainsi conduits par des passions les plus sublimes sous le drapeau tricolor, que vous avez si heureusement arboré sur les ruines de la Bastille, quel ennemi osera vous -attaquer, ou quels triomphes ne vous préparent pas des cons

pirateurs insensés! On tente de soulever des nations contre vous : ou ne soulevera que des princes; la nature vous ménage dans le cœur des peuples des intelligences secrètes qui échappent à l'inquisition de la plus redoutable tyrannie : c'est aussi leur cause que vous embrassez en défendant la vôtre; c'est aussi pour eux qu'est écrite la Déclaration des Droits! Respectez les gouvernemens étrangers; mais faites respecter le vôtre. Abhorrez la guerre; elle est le plus grand crime des hommes et le plus terrible fléau de l'humanité : mais enfin si l'on vous y force, sans vous effrayer des revers, sans vous enorgueillir du succes, suivez le cours de vos grandes destinés : eh! qui peut prévoir jusqu'où elles étendront la punition des tyrans qui vous auront mis les armes à la main! Tôt ou tard la justice éternelle désigne un terme aux victoires du despotisme; elle n'en désigne aucun aux victoires de la liberté! Union et courage; la gloire vous attend! Jadis les rois ambitionnaient le titre de citoyen romain; il dépend de vous de leur faire envier le titre de citoyen français! »

Ce projet d'adresse de M. Vergniaud, vingt fois interrompu par de vifs applaudissemens, ne réunit pas cependant la majorité des suffrages; on lui reprocha « d'être trop déclamatoire, de ne pas assez conserver le langage des faits, ́ et surtout d'attaquer le droit constitutionnel du veto. » L'Assemblée se borna à en décréter l'impression.

Mais le 29 un autre projet d'adresse, sous le titre de Déclaration, obtint de l'Assemblée l'approbation la plus unanime comme la plus éclatante: la lecture en était à peine terminée, et déjà un décret rendu par acclamation avait ordonné que cette déclaration serait imprimée, distribuée, insérée au procès verbal, communiquée au roi par une députation de vingt-quatre membres, envoyée aux départemens, aux régimens de ligne et aux bataillons de gardes nationales; et son auteur, M. Condorcet, fut immédiatement désigné pour présider la députation qui devait la porter au roi. DÉCLARATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE.Du 29 décembre 1791.

« A l'instant où, pour la première fois depuis le jour de sa

liberté, le peuple français peut se voir réduit à la nécessité d'exercer le droit terrible de la guerre, ses représentans doivent à l'Europe, à l'humanité entière le compte des motifs qui ont déterminé les résolutions de la France, l'exposition des principes qui dirigeront sa conduite.

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» La nation française renonce à entreprendre aucune » guerre dans la vue de faire des conquétes, et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. » Tel est le texte de la Constitution (titre VI): tel est le vœu sacré par lequel nous avons lié notre bonheur au bonheur de tous les peuples; et nous y serons fidèles.

» Mais qui pourrait regarder encore comme un territoire ami celui où il existe une armée qui n'attend pour attaquer que l'espérance du succès, et n'est-ce pas nous avoir déclaré la guerre que de prêter volontairement ses places non seulement à des ennemis qui nous l'auraient déclarée, mais à des conspirateurs qui l'ont commencée depuis longtemps! Tout impose donc aux pouvoirs établis par la Constitution, pour le maintien de la paix et de la sûreté, la loi impérieuse d'employer la force contre les rebelles qui, du sein d'une terre étrangère, menacent de déchirer leur patrie.

» Les droits des nations offensés; la dignité du peuple français outragée; l'abus criminel du nom du roi, que des imposteurs font servir de voile à leurs projets désastreux; la défiance que ces bruits sinistres entretiennent dans toutes les parties de l'empire; les obstacles que cette défiance oppose à l'exécution des lois et au rétablissement du crédit; les moyens de corruption employés pour égarer, pour séduire les citoyens; les inquiétudes qui agitent les habitans des frontières; les maux auxquels les tentatives les plus vaines, les plus promptement repoussées, pourraient les exposer; les outrages toujours impunis qu'ils ont éprouvés sur des terres où les Français révoltés trouvent un asile; la nécessité de ne pas laisser aux rebelles le temps d'achever leurs préparatifs et de susciter à leur patrie des ennemis plus dangereux;

» Tels sont nos motifs. Jamais il n'en a existé de plus justes, de plus pressans, et dans le tableau que nous en présentons ici nous avons plutôt atténué qu'exagéré nos injures;

nous n'avons pas besoin de soulever l'indignation des citoyens pour enflammer leur courage.

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Cependant la nation française ne cessera pas de voir un peuple ami dans les habitans des pays occupés par les rebelles, et gouvernés par des princes qui les protégent: les citoyens paisibles dont ses armées couvriront le territoire ne seront point des ennemis pour elle; ils ne seront pas même ses sujets ; la force publique dont elle deviendra momentanément dépositaire ne sera employée que pour assurer leur tranquillité et maintenir leurs lois; fière d'avoir reconquis les droits de la nature, elle ne les outragera point dans les autres hommes ; jalouse de son indépendance, résolue à s'ensevelir sous ses ruines plutôt que de souffrir qu'on osât lui dicter des lois, ou même garantir les siennes, elle ne portera point atteinte à l'indépendance des autres nations; ses soldats se conduiront sur une terre étrangère comme ils se conduiraient sur celle de leur patrie s'ils étaient forcés d'y combattre; les maux involontaires que ses troupes auraient fait éprouver aux citoyens seront réparés.

» L'asile qu'elle ouvre aux étrangers ne sera point fermé aux habitans des contrées dont les princes l'auront forcée à les attaquer, et ils trouveront dans son sein un refuge assuré. Fidèle aux engagemens pris en son nom, elle se hâtera de les remplir avec une généreuse exactitude : mais aucun danger ne pourra lui faire oublier que le sol de la France appartient tout entier à la liberté, et que la loi de l'égalité y doit être universelle. Elle présentera au monde le spectacle nouveau d'une nation vraiment libre, soumise aux règles de la justice au milieu des orages de la guerre ; et respectant partout, en tout temps, à l'égard de tous les hommes, les droits qui sont les même pour tous.

» La paix, que le mensonge, l'intrigue et la trahison ont éloignée, ne cessera point d'être le premier de nos vœux. La France prendra les armes avec regret, mais avec ardeur, pour sa sûreté, pour sa tranquillité intérieure; et on la verra les déposer avec joie le jour où elle sera sûre de n'avoir plus à craindre pour cette libreté, pour cette égalité, devenues le seul élément où les Français puissent vivre. Elle ne redoute point

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