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pour revenir sur un décret rendu la veille; ils l'employèrent avec succès dans l'intervalle il y eut d'ailleurs des pourparlers, et l'opposition se grossit de plusieurs membres du côté gauche.

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M. Vosgien (immédiatement après la lecture du procès verbal). Je viens m'élever non pas contre un décret rendu en apparence à l'unanimité, mais contre une étrange erreur qui l'a fait regarder comme un objet de police, et qui a empêché d'en concevoir les conséquences; je viens exiger en même temps l'exécution de l'article 4 (1) de la section II du chapitre III de la Constitution dans le premier exercice de nos fonctions.

» Une loi romaine condamnait à l'exil celui qui avait diminué la majesté du peuple, et parmi nous l'opinion publique, plus puissante encore dans sa vengeance, couvrirait celui qui se rendrait coupable de pareilles atteintes de l'empreinte ineffacable du mépris universel. Je ne crains point sa sévérité sur mes principes; mais plus le sujet que je traite peut prêter à de dangereuses interprétations, plus j'ai de droit d'obtenir de l'Assemblée quelques instans de silence et même d'attention.

» La vérité est enveloppée de voiles; il faut les déchirer avec courage, et la montrer tout entière; elle n'en paraîtra que plus auguste. Les applaudissemens donnés à toutes les motions d'hier me présagent une grande défaveur; mais le sentiment que j'ai de mon devoir me fait considérer comme une lâcheté de me taire ; d'autres peuvent braver la foudre; j'expose, je le sais, ma tête nue à l'orage; mais j'ai tout vu, tout considéré, et je ne m'en suis pas senti moins fort.

>> Parcourons rapidement les motifs du décret d'hier, sa nature, et les effets qui en résulteront. Le roi des Français peut venir proposer au corps législatif les objets qu'il juge utiles à la chose publique, et c'est de la Constitution même qu'il en a reçu le droit; sa démarche est donc tout à la fois un acte de zèle et un nouvel acquiescement à la Constitution.

(1)« Il sera fait trois lectures du projet de décret à trois intervalles, dont chacun ne pourra être moindre de huit jours. »

Ne perdons pas de vue surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, ces traits sont précieux à recueillir, que le roi avait légalement fait la clôture de la session de l'Assemblée nationale constituante; cette Assemblée, pour éviter les variations, avait déterminé un cérémonial; et ce que les immortels auteurs de la Constitution avaient jugé convenable, lorsqu'ils auraient pu porter jusqu'à l'excès le sentiment d'une représentation qu'ils avaient remplie si glorieusement jusqu'à la fin de leur carrière, vous le regardez comme indécent pour la première opération de la vôtre! Sans doute il est très possible, et je le crois même, qu'elle s'est méprise dans les rapports publics qu'elle a établis; mais pensez-vous avoir mieux rencontré, avoir observé ce juste milieu que réclamait un des orateurs d'hier!

» Ne trouvez-vous pas au contraire cette matière infiniment délicate et digne d'être méditée dans le silence, au lieu de l'abandonner aux saillies de l'amour-propre ou au vague de l'orgueil! Soupçonnez-vous que la même séance qui a donné le jour à ce décret soit bien propre à pacifier les esprits, encore trop exaltés! Le fanatisme de la liberté peut n'être qu'une erreur qu'on peut excuser dans le simple citoyen; mais il devient dans le législateur une dégradation de son caractère. ( Applaudissemens.) Heureux celui que le sentiment du bonheur public éveille, qui se défend des illusions de l'amour-propre, plus actif dans la splendeur fugitive dont nous jouissons, mais qui préfère à tous les trophées de la gloire le plaisir d'être utile obscurément!

>>

D'après ces observations j'oserai présenter la discussion d'hier comme prématurée, l'opinion comme très incertaine', et je ne crois pas me tromper sur les conséquences. La Constitution accorde au corps législatif la police de l'intérieur de l'Assemblée, dans le lieu de ses séances et dans l'enceinte qu'elle aura déterminée; mais cette police ne peut avoir pour objet que le service en quelque sorte mécanique de la salle, et il serait inconvenable que les relations qui existent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif eussent pu paraître à une seule personne pouvoir en faire partie. Mais que dira-t-on de cet aveuglement général qui nous a empêchés de rejeter une

pareille interprétation, et pouvons-nous étendre et resserrer ainsi à notre gré les opinions quelconques? Et cependant cette interprétation n'est pas moins étrange que celle qui, expliquant tout l'article constitutionnel dont nous argumentons, comprendrait la France entière dans l'enceinte que nous pourrions déterminer, ce qui serait cependant très-commode, puisque par ce moyen nous nous passerions de toute espèce de sanction et d'approbation!

» Cette question a paru dans le moment même à plusieurs membres être peu de saison; ce décret a pénétré de douleur et d'effroi les membres de l'Assemblée nationale constituante, qui, riches de vertus et de l'estime publique, quittaient leurs places sans regret, croyant que des vœux qui n'étaient qu'isolés parmi eux allaient devenir unanimes parmi nous; ils en ont été plus effrayés que de toutes les circonstances critiques qui les ont environnés. Voici le sujet des appréhensions générales : une perte considérable sur les actions, une influence dangereuse sur l'opinion, une nouvelle espérance pour les ennemis de l'ordre public, toujours habiles à se parer des couleurs du patriotisme : voilà les effets qui en ont résulté dans la capitale; voilà ceux qui se communiqueront dans les départemens, non pas, je le répète encore par le vice même du décret, mais par sa seule inconvenance, quand même il serait sorti de la discussion la plus parfaite.

» Mais il y a plus encore; qui doute que l'adhésion du roi ne soit un des appuis de la Constitution, ou du moins qu'elle ne nous épargne de grands maux, quand même des succès indépendans d'elle couronneraient à la fin notre ouvrage? Nos intentions sont pures; mais qui empêche qu'elles ne soient travesties auprès de ce prince, qu'on ne lui fasse entendre qu'il va être sans cesse ballotté par les opinions divergentes des législatures successives, qui changeront à leur gré et sans qu'il puisse s'en défendre, et qu'on relâche ainsi insensiblement tous les liens qui l'attachent à la Constitution? Ah! craignons ce danger, et quand même, par le sentiment de la force publique ou par la pleine conviction de l'adhésion invariable du roi, on pourrait penser qu'il ne se laisserait pas séduire, craignons d'affliger l'àme aimante et sensible de Louis XVI; il est

du petit nombre des rois qu'on peut aimer sans honte, et que la postérité osera louer.

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L'allégresse générale a prouvé, j'ose le croire, dans nos fêtes récentes qu'on chérissait en lui et l'homme et le roi ; épargnons donc à sa sensibilité non seulement un chagrin, mais même un regret, et ne doutons pas que lorsque, plus maîtres des événemens, nous nous occuperons de ces détails intéressans, nos motifs mêmes ne deviennent pour lui le garant de l'importance du caractère auguste de la représentation nationale. Mais encore, comme en ce moment, il faudra observer pour rendre le décret toutes les formalités que la Constitution prescrit, et le porter ensuite à la sanction : il ne serait peut-être pas impossible qu'on pût avoir son assentiment sur cet article.

>> Je crois avoir suffisamment rempli la tâche que je m'étais imposée, et je laisse pourtant à de plus habiles que moi à fournir de nouveaux moyens. Une seule réflexion terminera mon opinion ne nous abandonnons pas à des ondulations perfides, il est temps de jeter l'ancre; respectons l'opinion publique égarée; mais éclairons-la ; que nos discussions n'aient de chaleur que celle que peut inspirer l'intérêt du sujet, et non pas de passions trop exaltées; offrons dans les traits de notre enfance des linéamens au milieu desquels on puisse apercevoir les idées heureuses d'une grandeur future. Je conclus à ce qu'on s'en tienne pour la séance de demain au cérémonial employé par l'Assemblée constituante au dernier jour de sa session, et à l'ajournement des différens articles que je viens de discuter. »

Le discours de M. Vosgien excita autant de murmures que d'applaudissemens. La discussion s'engagea avec chaleur et se prolongea longtemps; les orateurs qui soutinrent l'opinion du préopinant donnèrent les mêmes motifs que lui; quant à la défense du décret elle se trouve tout entière dans les deux répliques qui suivent.

M. Vergniaud. « La raison pour laquelle on veut faire entendre que ce décret ne peut être regardé que comme projet

c'est parce que, dit-on, c'est un acte législatif, et non pas un décret de police intérieure: s'il s'agit donc uniquement de prouver que ce décret est un décret de police intérieure, je vais le faire, et alors j'aurai prouvé qu'il doit être exécuté. Or, messieurs, ce décret est évidemment de police intérieure; pourquoi en effet ne le serait-il pas ? C'est parce que, dit-on, il y est question des relations du corps législatif avec le roi, et que le roi s'y trouvant par conséquent intéressé, on ne peut pas le regarder comme un décret de police intérieure, le roi n'étant pas sujet à la police intérieure de l'Assemblée.... Ce raisonnement, messieurs, n'est qu'un véritable sophisme. Il est vrai que dans le décret d'hier il s'agit des relations du corps législatif avec le roi ; mais quelles sont ces relations? Sont-ce des relations de pouvoir, sont-ce des relations de législation, sont-ce des relations d'autorité? Non, messieurs, ce sont des relations d'honnêteté, ce sont des relations d'égards. (Applaudissemens.) Il y a certes, messieurs, une très grande différence entre les relations que le corps législatif aura avec le roi à raison de la législation et les relations qu'il aura avec lui à raison des sentimens que le cœur inspire. Si le décret que vous avez rendu pouvait être considéré comme un acte législatif il s'ensuivrait que chaque fois, par exemple, que vous voudriez décréter le nombre des députés qui iraient recevoir le roi il faudrait faire porter ce décret à la sanction.

» Il en est de même de la suppression des mots sire et majesté. Lorsque le roi viendra à l'Assemblée il pourra vous appeler messieurs, parce que ce mot est consacré par l'usage, ou, s'il l'aime mieux, représentans de la nation, parce que c'est là votre véritable qualité: de même vous, messieurs, vous avez pu décréter que vous ne l'appelleriez plus sire, parce que le mot sire est un mot féodal, comme celui de baron et de comte (applaudissemens); que vous ne l'appelleriez plus majesté, parce que ce mot est encore une qualification féodale, comme celle de grandeur et d'éminence. (Applaudissemens des tribunes.) Vous avez donc pu décréter que vous l'appelleriez roi constitutionnel; et certes, messieurs, je suis bien surpris que l'on craigne que le cœur du roi se trouve

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