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il sera du moins pour nous le signal taut désiré de l'ordre et de la justice nous sentirons combien l'exact paiement des impôts, auquel tiennent le crédit et le sort des créanciers de l'Etat; la protection des colonies, dont les richesses commerciales dépendent; l'exécution des lois, force de toutes les autorités; la confiance accordée au gouvernement pour lui donner les moyens nécessaires d'assurer la fortune publique et les propriétés particulières; le respect pour les puissances qui garderaient la neutralité; nous sentirons, dis-je, combien de tels devoirs nous sont impérieusement commandés par l'honneur de la nation et la cause de la liberté! (Applaudissemens.)

» Si dans l'entreprise peut-être hardie dont j'ose tenter l'exécution quelques détails m'étaient échappés, je supplie l'Assemblée de daigner se souvenir que, depuis huit jours que je suis nommé ministre de la guerre, j'ai fortement rempli mon temps; j'espère au moins qu'aucune grande mesure ne m'échappera; et le roi, dont les affections personnelles doivent sans doute souffrir dans cet instant, n'en seconde pas moins son ministère par des efforts qui seront un jour connus, et qui lui vaudront de nouveaux droits au dévouement de ceux qui, s'il m'est permis de le dire, ont uni commę moi toute leur destinée au sort de la liberté de la France. » (Applaudissemens.)

L'Assemblée renvoie le discours du ministre de la guerre aux comités diplomatique et militaire réunis, et au comité militaire seul la proposition d'élever au grade de maréchal de France les généraux Rochambeau et Luckner.

Sur le message à adresser au roi en réponse à son discours.

Le lendemain M. Lémontey, cédant le fauteuil à M. Ducastel, donna lecture à l'Assemblée d'un projet de réponse au roi qui provoqua une discussion dont nous conserverons les principaux traits.

M. Lémontey commençait ainsi ce message:

Sire, l'Assemblée nationale vient se soulager du silence.

VIII.

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auquel l'avait condamnée de désir de rendre l'expression de ses sentimens plus imposante et plus profonde. Au langage, etc. »

M. Couthon. « Vient se soulager!... Ah, ah, ah! »

› M. Lémontey. « J'ai employé le mot soulager parce qu'hier le silence m'avait paru pénible.

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M. Grangeneuve. « C'est faux. >>

. Plusieurs voix. « Il faut supprimer cette phrase (Oui, o ui. Non, non.)

--

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M. Couthon. « Le discours de M. Lémontey est très éloquent; mais cette éloquence est une éloquence de mots, et non pas l'éloquence de la dignité nationale. Dans la première phrase M. Lémontey, président de l'Assemblée nationale, semble exprimer au roi sa douleur de l'avoir reçu hier avec dignité et avec majesté! ( Murmures.) M. Lémontey s'est conduit hier comme un président pénétré de la grandeur de ses fonctions et de la dignité du peuple dont il était l'organe; aujourd'hui vous allez en quelque sorte vous repentir humblement d'avoir manifesté cette grandeur et cette dignité. ( Applaudissemens et murmures.) Je demande que cette première phrase, qui n'est qu'une flagornerie indigne de l'Assemblée, soit effacée. » (Appuyé.)

-

M. Lémontey. « On paraît désirer la suppression de la première phrase.... (Oui, oui. — Non, non.) Elle n'est point nécessaire à l'adresse ; elle exprime le sentiment que j'ai éprouvé, et non celui de l'Assemblée. »

M. Lacroix. « Cette réponse n'est pas faite au nom de M. Lémontey: elle est faite au nom de l'Assemblée. Le roi des Français est l'ennemi du despotisme; il doit être l'ami des vérités et l'ennemi des flagorneries. Il ne faut pas faire une réponse au roi pour lui dire des choses obligeantes seulement; il faut encore lui dire de grandes vérités, qu'il est nécessaire qu'il apprenne. » ( La suppression de la phrase est adoptée.)

M. Couthon. « M. Lémontey dans son discours promet au roi, au nom de l'Assemblée nationale, plus de gloire qu'aucun

de ses aïeux n'en a obtenu. Nous n'avons rien à promettre ; le roi doit tout acquérir par sa conduite : sans doute il le fera puisqu'il l'a promis, puisqu'il a juré de maintenir la Constitution, puisqu'il a juré de la faire respecter au dehors comme au dedans. Ainsi je demande que cette seconde phrase soit également effacée. ( Murmures et applaudissemens.) En un mot, comme ces changemens peuvent déranger l'ordre des idées de M. Lémontey, je demande le renvoi.... ♥

Plusieurs voix. « A M. Couthon!-Aux Jacobins.-Non, aux Feuillans. »

M. Couthon. « Je la ferais peut-être moins bien, mais avec plus de dignité.

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M. Grangeneuve. « J'ai remarqué que M. Lémontey fait dire au peuple français qu'il combattra ses ennemis et ceux du roi... Il n'est pas possible que le peuple français s'arme pour combattre les ennemis particuliers du roi.... » (Murmures.)

M. Lémontey. « J'adopte l'opinion de M. Grangeneuve, qu'un excès de scrupule porte à trouver ici une équivoque; elle sera levée en mettant : ses ennemis qui sont aussi les vôtres. » ( Adopté. )

M. Grangeneuve. « Je relève encore cette expression : Sire, voilà votre famille... Il est très dangereux de rappeler les anciennes idées qui faisaient considérer les peuples comme la famille des rois, et les rois comme les pères des peuples.... ( Murmures.) Le roi est un représentant de la nation française: il est contradictoire de dire que la nation française est sa famille. Il appartient à la nation, et la nation ne lui appartient pas. » (Applaudissemens.)

M. Lémontey. « On mettra : la famille à laquelle vous êtes attaché. » (Adopté.)

Le projet de message de M. Lémontey, aiùsi réduit et modifié, fut enfin adopté, et remis le lendemain au roi par une députation. Voici ce message.

MESSAGE envoyé par l'Assemblée nationale au roi le 17 décembre 1791, relatif au discours prononcé par S. M. le 14 du même mois.

« Sire, au langage que Votre Majesté lui a fait entendre l'Assemblée nationale a reconnu avec transport le roi des Français; elle a senti plus que jamais le prix de l'harmonie des pouvoirs, de ces communications franches et mutuelles qui sont le vœu, qui feront le salut de l'empire.

» L'Assemblée nationale attachera toutes les forces de son attention sur les mesures décisives que Vous lui avez annoncées; et si tel est l'ordre des événemens qu'elles doivent enfin s'effectuer, l'Assemblée nationale, Sire, promet à Votre Majesté plus de gloire qu'aucun de ses aïeux n'en a obtenu ; elle promet à l'Europe étonnée le spectacle nouveau de ce que peut un grand peuple outragé dont tous les bras seront mus par tous les cœurs, et qui, voulant fortement la justice et la paix, combattra pour lui-même ses ennemis, qui sont aussi les vôtres.

» De puissans intérêts, de douces jouissances vous sont préparées; du Rhin aux Pyrénées, des Alpes à l'Océan tout sera couvert des regards d'un bon roi, et protégé par un rempart d'hommes libres et fidèles. Voilà, Sire, la famille à laquelle vous êtes attaché; voilà vos amis ! Ceux-là ne vous ont pas abandonné!...

» Tous les représentans du peuple, tous les vrais Français ont dévoué leur tête pour soutenir la dignité nationale, pour défendre la Constitution jurée, et le roi chéri dont elle a affermi le trône. »

Réponse du roi.

« Messieurs, je connais le langage et le cœur des Français dans les remerciemens que vous m'adressez. Oui, messieurs, ils sont ma famille, et elle se réunira j'espère tout entière sous la protection et l'empire des lois. »

Sur la nomination de M. Lafayette.

Dans son discours le ministre de la guerre avait annoncé

que le roi venait de confier le commandement d'une armée à M. Lafayette : ce général, avant de se rendre à son poste, voulut offrir aux représentans de la nation l'hommage de son dévouement. Il demande à être admis à la barre ; on applaudit; il paraît; les applaudissemens redoublent.

DISCOURS de M. Lafayette. (Séance du 24 décembre 1791.)

» L'Assemblée nationale connaît mes sentimens et mes principes : je me bornerai donc à lui exprimer ma reconnaissance pour les signes d'approbation qu'elle a daigné donner au choix du roi, et je joindrai cet hommage à celui de mon respect pour l'Assemblée nationale et de mon dévouement inaltérable pour le maintien et la défense de la Constitution. Applau dissemens.)

Réponse du président (M. Lemontey.)

» Le nom de Lafayette rappelle la liberté et la victoire : elles l'ont suivi sous les drapeaux des Américains; elles l'accompagneront à la tête des armées françaises. Ces gardes nationales, dont vous avez créé les premiers mouvemens, reconnaîtront votre voix; elles seront dignes d'elles et de vous. Si tel est l'aveuglement de nos ennemis qu'ils veuillent éprouver la force d'un grand peuple régénéré, marchez au combat : le peuple français, qui a juré de vaincre ou de mourir, présentera toujours avec confiancé aux nations et aux tyrans sa Constitution et Lafayette.» (Applaudissemens.)

Promotion des généraux Rochambeau et Luckner au grade de

maréchal de France.

On a vu dans le même discours du ministre de la guerre que le roi « eût désiré que l'organisation militaire lui permît de donner le grade de maréchal de France à MM. de Rochambeau et de Luckner. » L'Assemblée, sur un rapport fait par M. Dumas au nom du comité militaire, rendit le décret suivant les 27 et 28 décembre 1791 :

» L'Assemblée nationale, voulant faciliter l'élévation des généraux Rochambeau et Luckner au grade de maréchal de France, et donner à ces généraux, au moment où une grands

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