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mande la permission de quitter un moment le fauteuil pour faire une proposition; il cède sa place à M. Lacepède, et monte à la tribune.

M. Viénot-Vaublanc. « Messieurs, le décret porte une députation au roi : je crois que vous jugerez convenable que cette députation puisse s'exprimer d'une manière authentique ; j'ai pensé qu'un message ou adresse pourrait remplir votre intention. Je vous propose un projet de message, non pas que je pense qu'il puisse être adopté ; mais vous jugerez peut-être, à la simple lecture du travail informe que je vais vous présenter, que cette mesure pourrait être jointe au décret. » (Lisez, lisez. Il lit.)

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Le travail que M. Vaublanc avait eu la modestie de croire informe fut regardé comme un travail parfait; on l'apprécia autant que le décret, et la lecture en fut interrompue presque à chaque phrase par des applaudis nens. L'Assemblée adopta ce message tout d'une voix et décréta qu'il serait envoyé aux départemens après qu'il aurait été prononcé devant le roi.

Par un témoignage honorable de satisfaction l'Assemblée dérogea à l'usage établi en faveur de M. Vaublanc ; c'était au sort qu'appartenait le choix des membres composant des députations: elle voulut que le message fût prononcé par son auteur. En conséquence M. Vaublanc se rendit immédiatement auprès du roi avec vingt-trois de ses collègues, et une séance extraordinaire fut indiquée pour le soir afin de con→ naître plus tôt le résultat de cette démarche. Voici le message et le décret :

Message de l'Assemblée nationale au roi le 29 novembre 1791, M. Viénot-Vaublanc portant la parole.

» SIRE, à peine l'Assemblée nationale a-t-elle porté ses regards sur la situation du royaume qu'elle s'est aperçue que les troubles qui l'agitent encore ont leur source dans les prépa→ ratifs criminels des Français émigrés.

» Leur audace est soutenue par des princes allemands qui méconnaissent les traités signés entre eux et la France, et qui

affectent d'oublier qu'ils doivent à cet empire le traité de Westphalie, qui garantit leurs droits et leur sûreté.

» Ces préparatifs hostiles, ces menaces d'invasion commandent des armemens qui absorbent des sommes immenses, que la nation aurait versées avec joie dans les mains de ses créanciers.

» C'est à vous, Sire, de les faire cesser; c'est à vous de tenir aux puissances étrangères le langage qui convient au roi des Français! Dites-leur que partout où l'on souffre des préparatifs contre la France, la France ne peut voir que des ennemis; que nous garderons religieusement le serment de ne faire aucune conquête ; que nous leur offrons le bon voisinage, l'amitié inviolable d'un peuple libre et puissant ; que nous res— pecterons leurs lois, leurs usages, leurs constitutions, mais que nous voulons que la nôtre soit respectée! Dites-leur enfin que si des princes d'Allemagne continuent de favoriser des préparatifs dirigés contre les Français, les Français porteront chez eux non pas le fer et la flamme, mais la liberté ! C'est à eux de calculer quelles peuvent être les suites du réveil des nations:

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Depuis deux ans que les Français patriotes sont persé→ cutés près des frontières, et que les rebelles y trouvent des secours, quel ambassadeur a parlé comme il le devait en votre nom? Aucun.

» Si les Français chassés de leur patrie par la révocation de l'édit de Nantes s'étaient rassemblés en armes sur les frontières; s'ils avaient été protégés par des princes d'Allemagne, Sire, nous vous le demandons, quelle eût été la conduite de Louis XIV? Eût-il souffert ces rassemblemens? Eût-il souffert

les secours donnés par des princes qui sous le nom d'alliés se conduisent en ennemis? Ce qu'il eût fait pour son autorité, que Votre Majesté le fasse pour le salut de l'empire, pour le maintien de la Constitution !

» Sire, votre intérêt, votre dignité, la grandeur de la nation. outragée, tout vous prescrit un langage différent de celui de la diplomatie; la nation attend de vous des déclarations énergiques auprès des cercles du Haut et du Bas-Rhin, des électeurs, de Trèves, Mayence et autres princes d'Allemagne.

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Qu'elles soient telles que les hordes des émigrés soient à

l'instant dissipées! Prescrivez un terme prochain au delà duquel nulle réponse dilatoire ne seva reçue; que votre déclaration soit appuyée par les mouvemens des forces qui vous sont confiées, et que la nation sache quels sont ses amis et ses ennemis ! Nous reconnaîtrons à cette éclatante démarche le défenseur de la Constitution.

>>> Vous assurerez ainsi la tranquillité de l'empire, inséparable de la vôtre, et vous hâterez ces jours de la prospérité nationale où la paix fera renaître l'ordre et le règne des lois, où votre bonheur se confondra dans celui de tous les Français!

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Décret sur les mesures à prendre auprès des princes de l'empire. (Du 29 novembre 1791.)

« L'Assemblée nationale, ayant entendu le rapport de son comité diplomatique, décrète qu'une députation de vingt-quatre de ses membres se rendra près du roi pour lui communiquer au nom de l'Assemblée sa sollicitude sur les dangers dont menacent la patrie les combinaisons perfides des Français armés et attroupés au dehors du royaume, et de ceux qui trament des complots au dedans ou excitent les citoyens à la révolte contre la loi; et déclarer au roi que pour l'Assemblée nationale regarde comme essentiellement convenable aux intérêts et à la dignité de la nation toutes les mesures que le roi pourra prendre afin de requérir les électeurs de Trèves, Mayence, et autres princes de l'Empire qui accueillent des Français fugitifs, de mettre fin aux attroupemens et aux enrôlemens qu'ils tolèrent sur la frontière; et d'accorder répa¬ ration à tous les citoyens français, et notamment à ceux de Strasbourg, des outrages qui leur ont été faits dans leurs territoires respectifs ; que ce sera avec la même confiance dans la sagesse de ces mesures que les représentans de la nation verront rassembler les forces nécessaires pour contraindre la par voie des armes ces princes à respecter le droit des gens au cas qu'ils persistent à protéger ces attroupemens, et à assurer la justice qu'on réclame.

» Et enfin que l'Assemblée nationale a cru devoir faire cette déclaration solennelle pour que le roi fût à même de

prouver, tant à la cour impériale qu'à la diete de Ratisbonne, et à toutes les cours de l'Euorpe, que ses intentions et celles de la nation française né font qu'une.

» Décrète en outre que la même députation exprimera au roi que l'Assemblée nationale regarde comme une des mesures les plus propres à concilier ce qu'exige la dignité de la nation et ce que commande sa justice la prompte terminaison des négociations d'indemnités entamées avec les princes allemands possessionnés en France en vertu des décrets de l'Assemblée nationale constituante, et que les représentans de la nation, convaincus que les retards apportés aux négociations qui doivent assurer le repos de l'empire pouvaient être attribués en grande partie aux intentions douteuses d'agens peu disposés à seconder les intentions loyales du roi, lui dénoncent le besoin urgent de faire dans le corps diplomatique les changemens propres à assurer l'exécution fidèle et prompte de ses ordres.

Dans la séance du soir M. Viénot-Vaublanc rendit ainsi compte de sa mission :

» Messieurs , je me suis rendu chez le roi à la tête de la députation que vous m'avez déféré l'honneur de présider; introduit sur le champ chez le roi, je lui ai lu le discours que vous avez approuvé ce matin; il nous a répondu :

Messieurs, je prendrai en très grande considération le » message de l'Assemblée nationale. Vous savez que je n'ai rien négligé pour établir la tranquillité publique, pour » maintenir la Constitution et pour la faire respecter au >> dehors. »

Louis XVI prit quinze jours pour méditer sa réponse. Le 14 décembre il annonça par un billet qu'il se rendrait le soir même à l'Assemblée : à six heures il y fut reçu dans un silence profond... A la fin de son discours de nombreux applaudissemens le consolèrent de ce silence, toujours pénible pour un roi.

DISCOURS du roi à l'Assemblée nationale. (Séance du 14 décembre 1791)

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Messieurs, j'ai pris en grande considération votre message du 29 du mois dernier dans une circonstance où il s'agit de l'honneur du peuple français et de la sûreté de l'Emrie j'ai cru devoir vous porter moi-même ma réponse; la nation ne peut qu'applaudir à ces communications entre ses représentans élus et son représentant héréditaire.

» Vous m'avez invité à prendre des mesures décisives pour faire cesser enfin ces rassemblemens extérieurs qui entretiennent au sein de la France une inquiétude, une fermentation funestes, nécessitent une augmentation de dépenses qui nous épuise, et compromettent plus dangereusement la liberté qu'une guerre ouverte et déclarée.

» Vous désirez que je fasse connaître aux princes voisins qui protégent ces rassemblemens, contraires aux règles du bon voisinage et aux principes du droit des gens, que la nation française ne peut tolérer plus longtemps ce manqué d'égards et ces sourdes hostilités.

>> Enfin vous m'avez fait entendre qu'un mouvement général entraînait la nation, et que le cri de tous les Français était plutôt la guerre qu'une patience ruineuse et avilissante.

» Messieurs, j'ai pensé longtemps que les circonstances exigeaient une grande circonspection dans les mesures; qu'à peine sortis des agitations et des orages d'une révolution, et au milieu des premiers essais d'une Constitution naissante, il ne fallait négliger aucun des moyens qui pouvaient préserver la France des maux incalculables de la guerre ; ces moyens je les ai tous employés. D'un côté j'ai tout fait pour rappeler les Français émigrans dans le sein de leur patrie, et les porter à se soumettre aux nouvelles lois que la grande majorité de la nation avait adoptées : de l'autre j'ai employé les insinuations amicales; j'ai fait faire des réquisitions formelles et précises pour détourner les princes voisins de leur prêter un appui propre à flatter leurs espérances et à les enhardir dans leurs téméraires projets.

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