Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces visà-vis les puissances étrangères pour faire cesser ces désordres, rétablir la tranquillité sur la frontière, et obtenir des réparations convenables des outrages dont les citoyens de Strasbourg ont été plus particulièrement les victimes.» (Applaudissemens.)

L'Assemblée ordonna l'impression et l'ajournement du rapport de M. Koch.

Dans la même séance M. Bruat communiqua à l'Assemblée une lettre des administrateurs du département du HautRhin dans laquelle, entre autres circonstances relatives à la situation des frontières, on lisait le passage suivant :

[ocr errors]

« Pour surcroît d'inquiétude M. Wimpfen (1), général, >> nous a dit hier en plein directoire qu'on lui avait fait de la » part des princes français émigrés la proposition de livrer » New-Brisack par trahison, et qu'il avait fait part de cette proposition et de sa réponse à M. le général Luckner. (2) » Après une explosion bien naturelle des sentimens que devait faire naître une telle révélation, l'Assemblée décida que le ministre de la guerre serait invité à donner des renseignemens sur cette affaire. Le 25 M. Duportail fit remettre à l'Assemblée la lettre que le général Wimpfen avait écrite au général Luckner, et que ce dernier lui avait envoyée. Voici le passage de cette lettre qui justifie l'assertion des administrateurs du Haut-Rhin :

[ocr errors]

Colmar, ce 13 novembre 1791.

La lettre de l'émigrant porte sur mon premier serment d'être fidèle au roi ; et, croyant sans doute, ou se plaisant à le supposer, que Sa Majesté n'a pas accepté de bonne foi la Constitution, il essaie de me disposer à livrer dans l'occasion New-Brisack aux princes, au nom desquels il me parle ; et pour me déterminer à cette horrible trahison il me dit qu'en suivant la route de l'honneur par ma fidélité à mon premier serment je travaillerai efficacement au bien-être de ma famille.

>> Cet homme sait que j'ai douze enfans, et nulle autre fortune que

(1) Ce n'est pas le général Wimpfen (Felix) qui avait été membre de l'Assemblée constituante.

[ocr errors]

(2) Le général Luckner avait alors le commandement en chef des cinquième et sixième divisions.

les bienfaits de la nation; mais il ignore qu'ayant inspiré mes sentimens à mes enfans, ils aimeraient mieux se voir dans l'abandon et dans le malheur que de devoir leur bien-être à l'infamie de leur père. J'ai répondu avec franchise que je tenais à mon serment plus qu'à la vie, et que je suis prêt à mourir à chaque instant pour la patrie; que les princes, au nom desquels il m'écrit, auraient abandonné il y a longtemps leurs espérances si tous ceux dont le devoir est de combattre pour le maintien d'une Constitution que le roi vient d'accepter étaient pénétrés des mêmes principes que moi, principes d'honneur et de fidélité qui, ne m'ayant jamais abandonné dans le cours de la carrière la 'plus traversée par des vicissitudes sans nombre', 'm'animeront jusqu'à 'mon dernier soupir; et afin d'ôter à cet aventurier tout espoir que l'invasion dont il semble me menacer puisse jamais s'effectuer impunément, et lui montrer que son projet est, un projet purement romanesque, je lui fais entendre qu'il y a prêts à marcher et à agir en masse, partout où les circonstances l'exigeraient, plus de dix mille hommes à qui j'ai inspiré les mêmes sentimens que je manifeste, et que je consens qu'il fasse connaître aux princes, s'il est vrai, comme il l'avance qu'il me parle en leur nom. » (1).

L'Assemblée applaudit à l'exemple de fidélité donnée par le général François Wimpfen, et décréta qu'il en serait fait mention honorable au procès verbal. La lettre fut renvoyée au comité de surveillance. (2).

Nous pourrions consigner ici une foule de faits analogues

(1) Le général François Wimpfen, sollicité plus tard de faire connaitre l'auteur de cette lettre, dont il avait rayé la signature, s'y refusa en disant qu'il répugnait à ses principes de se constituer délateur.

(2) Ce comité venait d'être créé ( même séance du 25) par un décret rendu sur la proposition de M. Basire, qui eut à combattre la répugnance de quelques membres pour tout comité dès recherches : M. Lacroix avait proposé de le nommer comité de sûreté publique, dénomination qui devait prévaloir dans la suite, mais qui alors ne rassurait pas les esprits.

Le comité de surveillance que l'Assemblée législative forma sur la demande de M. Basire était composé de douze membres, dont la moitié se renouvelait tous les trois mois. Les trop nombreuses dénonciations qui parvenaient chaque jour sur les manoeuvres des émigrés et de leurs agens dans l'intérieur avaient rendu indispensable la réunion de ce comité, chargé seulement de prendre des renseignemens particuliers sur les faits dénoncés, d'en présenter le rapport à l'Assemblée, et de lui laisser ainsi un temps précieux qui en séance générale eût été souvent consacré sans fruit à la recherche de la vérité.

au récit de ce général, et dénoncés également à la trîbune ; mais est-il bien de l'intérêt, de la gloire de la France, de conserver de pareils matériaux? Nous ne le pensons pas : oublions donc et ces invitations clandestines faites à des comptables de se transporter au-delà du Rhin avec les deniers de la nation, et ces enrôlemens furtifs payés à Paris même sur des caissee secrètes, et ces enrôlés séduits qu'on dirigeait sur Worms ou sur Comblentz pour augmenter le nombre des ennemis de la Constitution, et ces amis vrais du roi Louis XVI qui portaient sur leurs boutons non Le roi ou la mort, mais UN roi ou la mort; oublions tout ce qui est indigne du nom français, et ne nous attachons qu'aux délibérations des représentans du peuple.

MM. Merlin et Rulh, par des récits authentiques, venaient encore de dévoiler à la tribune la conduite et les projets des tranfuges d'outre-Rhin; ils avaient conclu à la mise en accusation de tous les princes français émigrés : M. Daverhoult prit alors la parole, et remit à l'ordre du jour le rapport fait le 22 par Koch au nom du comité diplomatique. OPINION de M. Daverhoult. (Séance 27 novembre 1791.)

» Ce que nous venons d'entendre n'est pas exactement à l'ordre du jour; mais il est à l'ordre de la patrie, il est à l'ordre de tous les momens. Si vous voulez, messieurs, me donner un instant, je crois que je pourrai vous peindre et l'état des émigrans, et notre état, et peut-être les seules. mesures qu'il nous reste à prendre dans ce moment. Je vous en demande 'la permission; je ne parlerai que lorsque vous me le permettrez. ( Parlez, parlez!)

Messieurs,, quels sont les moyens des Français mécontens attroupés hors du royaume, quels sont leurs desseins, quelle est notre situation quant aux puissances étrangères, quelles sont sous ces rapports les mesures à prendre pour parer aux dangers qui menacent la patrie, voilà, messieurs, les questions importantes auxquelles votre comité diplomatique n'a pas suffisamment répondu. Les démarches officelles qu'il vous propose entraîneraient dans des longueurs inévitables, et vous exposeraient au double inconvénient de ne recevoir, après une perte de temps très considérable, aucune satisfaction de la

part de la diète de Ratisbonne, et de voir mettre en avant par cette même diète, lorsqu'il s'agira des indemnités à accorder aux princes possessionnés en Alsace, les lois de l'empire germanique ainsi que le traité de Westphalie, moyens auxquels vous n'auriez aucune réplique, après en avoir fait vous-mêmes, par la négociation qu'on propose, les seules bases de vos rapports avec les princes de l'Empire.

» Cette perte inutile d'un temps précieux serait d'autant plus dangereuse qu'elle laisserait aux mécontens attroupés celui de se former plus complétement; de lier de plus en plus leurs trames secrètes, et enfin de jouir de l'avantage que procurent à celui qui attaque l'incertitude de son adversaire, et la division de ses forces lorsque plusieurs points sont menacés à la fois.

• Examinons, pour rendre ceci plus sensible, la situation actuelle des mécontens émigrés. On sait que le nombre de ceux en état de porter les armes peut aller à vingt mille hommes, dont environ quatre à cinq mille officiers et soldats déserteurs ou anciens militaires : le recrutement continuel, les achats d'armes, de chevaux, d'équipages, de munitions et de vivres, tout prouve qu'ils n'ont point abandonné l'espoir criminel de rétablir dans leur patrie le règne des préjugés ; ils comptent sur les troubles intérieurs qu'ils excitent et entretiennent par toutes sortes de moyens, ainsi que sur les relations secrètes qu'ils peuvent avoir conservées dans quelques unes des places frontières.

» Soutenus par l'or étranger, en mesure pour profiter des événemens, et à portée d'en saisir l'occasion favorable plutôt qu'en force pour les faire naître, ils inquiètent, menacent, intriguent pour augmenter en nombre, et temporisent afin de saisir le moment qui leur paraîtra propice : voilà leur situation militaire et leur système politique. Il suffit de l'annoncer pour prouver que le nôtre doit être formé en sens inverse: tout délai de notre part entretient l'inquiétude des bons citoyens, refroidit leur zèle, augmente l'espoir des ennemis secrets, occasionne des séditions, et prépare à ceux d'outre-Rhin cet instant favorable qu'ils guettent.

? Ne nous laissons point éblouir; nos forces ne seront

respectables qu'autant qu'elles seront bien dirigées : mais si nos ennemis exécutaient leur plan tandis qu'elles seraient en partie employées à réprimer des séditions; si une quantité considérable de mécontens qui se trouvent dans l'intérieur se joignait à l'armée ennemie ; si les alarmes et le désordre paralysaient une partie de nos moyens; si l'incertitude des points d'attaque avait fait prendre le change à nos généraux; și la marche rapide de l'armée ennemie avait produit de la consternation dans les âmes faibles, et rendu les patriotes de circonstance à leur premier caractère.; si dans cet instant il existait de la mésintelligence entre les deux pouvoirs ; si dans Paris même, à l'approche de l'armée ennemie, il se trouvait des traîtres soudoyés par l'étranger, quelle serait notre position!

» Permettez, messieurs, que je cite un exemple récent. Proscrit en Hollande, et sur le point d'y périr sur l'échafaud pour la cause de la liberté, j'y ai vu cette cause sublime perdue en temporisant : c'est pour avoir employé des 'demi-moyens, c'est pour ne point avoir écrasé ses adversaires lorsqu'il en était temps, c'est pour s'être attachée aux effets sans attaquer les causes, c'est pour avoir attendu jusqu'à ce que ses ennemis fussent soutenus par une des puissances du premier ordre, que la Hollande est dans les chaînes !

» Ne croyez pas que, placés sur un théâtre plus vaste, et pouvant disposer de moyens plus considérables, vous puissiez impunément mépriser l'exemple que la Hollande asservie offre aux nations libres ! Sachez que l'assaillant calcule ses moyens d'attaque sur ceux de défense.

[ocr errors]

Après avoir examiné le système des mécontens attroupes, jetons un regard sur la situation actuelle de l'Europe, et bannissons dans cet examen les exagérations de la crainte et les illusions de l'espérance.

» C'est une erreur grossière en politique que de calculer les plans des princes sur l'intérêt des peuples et même sur le leur: combien de guerres follement entreprises et dans lesquelles sinon tous les deux, au moins l'un des partis, sacrifiant des avantages solides au désir des conquêtes, à la soif des vengeances ou à l'intrigue des cours, n'auraient pas dû nous détromper sur une théorie constamment démentie par l'expé

1

« PreviousContinue »