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Le discours de M. Cérutti avait été couvert d'applaudissemens: une grande majorité voulait que son projet de décret fût sur le champ mis aux voix; cependant une opposition, faible à la vérité, mais dont on doit faire mention à sa naissance, s'élève dans plusieurs parties de la salle le projet est mis aux voix; M. François Chabot veut proposer un amendement :

« Sans doute, s'écrie-t-il, nous devons de la reconnaissance aux législateurs qui nous ont précédés; mais peut-être ne serait-il pas digne de la sagesse de cette Assemblée de dire que la Constitution est la plus parfaite possible.... »

De violens murmures interrompent l'orateur; de toute part on crie aux voix, et l'Assemblée décrète la motion de M. Cérutti; elle ordonne l'impression de son discours, l'insertion au procès-verbal, et l'envoi à tous les départe

mens.

Mais le lendemain, à la lecture du procès-verbal, l'opposition se remontre avec plus de force; elle ne voit qu'une flagornerie dans le décret de M. Cérutti. M. Chabot développe son amendement : il est appuyé par M. Quinette et par plusieurs autres membres, et le décret de M. Cerutti est réduit à ce paragraphe :

་་

« L'Assemblée nationale législative, reconnaissant qu'une Constitution libre est le plus grand bien qu'un peuple puisse recevoir de ses représentans, vote et décrète des remerciemens aux membres de l'Assemblée constituante qui ont fait un fidèle usage des pouvoirs que le peuple français leur avait délégués.

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Du cérémonial à observer à l'égard du roi ; Discussion sur les titres de SIRE et de MAJESTÉ.

Du 5. A l'ouverture de la séance M. Ducastel rendit compte à l'Assemblée de la mission que les soixante membres nommés la veille avaient été chargés de remplir. Ils s'étaient présentés chez le roi à six heures; Louis XVIleur avail fait dire par le ministre de la justice qu'il ne pourrait les

:

recevoir que le lendemain à midi : cette remise parut une inconvenance à la députation; elle crut devoir insister, et fut en effet rçue le jour même à neuf heures du soir. M. Ducastel, qui la présidait, dit au roi : « Sire, l'Assemblée nationale législative est définitivement constituée; elle nous a députés vers Votre Majesté pour l'en instruire. » Le roi avait répondu : « Je ne puis vous aller voir avant vendredi. » On applaudit à la courte harangue de M. Ducastel en ce qu'elle ne compromettait en rien l'Assemblée; la réponse du roi fut trouvée un peu familière. Mais une circonstance qu'on remarqua avec peine dans le récit de M. Ducastel c'est l'intermédiaire du ministre de la justice; on y vit la violation d'un décret formel de juillet 1789, portant que l'Assemblée nationale communiquerait toujours directement avec le roi de là une foule de propositions tendant à faire respecter la dignité de la nation dans la personne de ses représentans. M. Grangeneuve expose que le corps législatif et le roi sont deux pouvoirs indépendans l'un de l'autre, deux pouvoirs suprêmes, par conséquent deux pouvoirs égaux....(Non, non. - Ah! ah!) Ce sont des blasphemes politiques qui ne doivent point être prononcés à la tribune, s'écrie l'abbé Audrein. M. Grangeneuve, interrompu presque à chaque phrase, abandonne les développemens de son opinion, et finit en demandant la suppression des mots sire et majesté, la Constitution, dit-il, donnant au roi un plus beau titre, le seul titre de roi des François. La nouveauté de cette proposition frappa l'Assemblée d'étonnement; la majorité applaudit, et voulut aller aux voix .Plusieurs membres réclament l'ajournement; il est adopté quant à la manière de correspondre avec le roi, attendu qu'un décret de 1789 porte que ce sera directement, sans l'intermédiaire d'un ministre, et qu'il ne reste plus qu'à le faire exécuter; mais l'Assemblée décide qu'il y a lieu à délibérer sur un nouveau cérémonial à observer pendant la présence du roi à l'Assemblée. (Voyez tome V, page 137, le cérémonial adopté par l'Assemblée constituante.) Diverses propositions sont faites; M. Couthon les réunit dans un projet de décret qu'il motive en ces termes :

<< Messieurs, dit-il, je me suis trouvé présent lorsque l'Assemblée nationale constituante a pris dans son sein des mesures pour recevoir le roi, et je vous avouerai, messieurs, que trois choses m'ont bien étonné dans les mesures qu'elle arrêta; la première, que lorsque le roi se présenterait dans la salle tous les membres seraient debout: jusque là il n'y avait point de mal; mais ces mesures ajoutaient que, le roi une fois arrivé à sa place, tant qu'il resterait debout tous les membres resteraient également debout; quand il resterait découvert tout le monde resterait également découvert, comme si en présence du premier fonctionnaire du peuple les représentans de ce peuple se transformaient tout à coup en véritables automates, qui ne peuvent agir, qui ne peuvent penser, parler et se mouvoir que par la volonté d'un homme! (Applaudissemens.)

>> Une seconde chose qui m'étonna beaucoup ce fut de voir qu'au moment où le roi arrivait au bureau l'on expulsât, si je puis me servir de cette expression, le fauteuil du présidant pour y substituer un fauteuil couvert de dorure, comme si le fauteuil national ne valait pas le fauteuil royal!

>>

Enfin, messieurs, une troisième chose porta dans mon âme plus que de l'étonnement; ce fut de voir que le président, qui parlait au roi, se servait encore de mots proscrits. Une loi (1) porte expressément que le titre de seigneur et de monseigneur ne sera donné ni pris par personne, et la Constitution, qui nous rend tous égaux et libres, ne veut point qu'il y ait d'autre majesté que la majesté divine et la majesté du peuple. (Applaudissemens. Bravo, bravo!) Le président se servit du mot sire, et dans le vieux langage le mot sire signifie seigneur, comme celui de messire signifie monseigneur. Je demande donc, messieurs, que le cérémonial, comine l'a dit le préopinant, soit réglé : nous ne pouvons et ne devons pas adopter le réglement qu'avait adopté l'Assemblée constituante; voici, messieurs, celui que je proposerais.

» Il me semble convenable que, le roi se présentant dans cette

(1) Voyez tome II, page 122, et tome V, page 32 et suiv.

salle, tous les membres de l'Assemblée le reçoivent debout et découverts, mais qu'une fois le roi arrivé au bureau chacun ait la faculté, bien naturelle sans doute, de s'asseoir et de se mettre comme bon lui semblera; de même que le roi lui-même a cette faculté, nous devons l'avoir. Je demande, messieurs, que, le roi une fois arrivé au bureau, il ne lui soit pas présenté un fauteuil peut-être scandaleux par sa richesse; je demande que, le roi s'honorant de s'asseoir et de se placer sur le fauteuil du président d'un grand et puissant peuple, le fauteuil du président lui soit offert par déférence; je demande, messieurs, que quant au fauteuil il en soit placé un absolument semblable pour le président; je demande enfin que le président de l'Assemblée nationale, s'adressant au roi, ne lui donne d'autre titre que celui qui est porté par la Constitution, roi des Français. (Applaudissemens ; agitation. )

1

M. Guadet, « Il n'y a peut-être rien que les bons citoyens désirent autant que l'harmonie et le concert entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ( applaudissemens); cependant, messieurs, dans les rapports qui existent nécessairement entre ces deux pouvoirs il n'y a rien d'indifférent, et le roi, qui s'accoutumerait à régler dans nos séances le mouvement de nos corps, pourrait croire bientôt pouvoir régler aussi le mouvement de nos âmes ( applaudissemens); il est donc essentiel de régler la forme invariable avec laquelle le roi sera reçu quand il se présentera dans l'Assemblée nationale. Je ne reviendrai point sur ce qui a été dit à cet égard ; je dirai seulement que j'adopte de tout mon cœur la motion qui a été faite pour que des membres du corps législatif, en donnant au roi tout ce que la dignité du peuple qu'ils représentent ne défend pas de lui donner, s'arrêtent cependant là où l'on pourrait commencer à apercevoir les marques de l'esclavage et de la servitude.

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Quant à la distinction qu'on a faite entre le fauteuil doré qu'on donne au roi et le fauteuil simple que nous donnons à notre président, j'aime à croire que le peuple français vénérera toujours beaucoup plus dans sa simplicité le fauteuil sur lequel s'asseoit le président des représentans de la natiou que

le fauteuil doré sur lequel s'asseoit le chef du pouvoir exécutif. (Applaudissemens.)

» Je ne parlerai pas, messieurs, des titres de sire et de majesté; je m'étonne que l'Assemblée nationale mette en délibération si elle les conservera: le mot sire signifie seigneur; il tenait au régime féodal, qui n'existe plus; pour celui de majesté on ne doit plus l'employer que pour parler de Dieu et du peuple. » (Applaudissemens.)

Les propositions réunies par M. Couthon furent encore appuyées par MM. Lacroix, Goupilleau et Chabot; aucun membre n'ayant parlé contre, M. Couthon les soumit à la délibération article par article, et l'Assemblée les adopta successivement. Mais au moment où le président mit aux voix le décret un assez grand nombre de membres invoqua la question préalable sur le tout: cette réclamation inattendue excita quelques momens de trouble et de bruit. Dès lors on distingua un côté gauche et un côté droit, avec cette différence entre l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative, que dans l'une le côté droit s'était constamment montré l'ennemi du nouvel ordre de choses, et qu'ici il ne se montre opposant à de nouvelles mesures que par son religieux respect pour la Constitution et pour tout ce qu'avait fait ou conservé l'Assemblée constituante; en un mot, on peut voir la majorité du côté gauche de l'Assemblée constituante dans le côté droit de la législature, et dans le côté gauche de celle-ci la minorité fort accrue du côté gauche de la première Assemblée; et si le lecteur veut se rappeler entr'autres les discussions relatives aux événemens du mois de juin et à la révision de la Constitution, il ne s'étonnera pas que sous un certain rapport le côté droit de l'Assemblée législative soit encore le parti du trône, lequel retrouvait là, par son apparent amour de la Constitution, des amis et des défenseurs.

Cependant la question préalable fut rejetée, et le décret de MM. Grangeneuve et Couthon passa à une grande majorité. Du 6. - Mais les opposans avaient un moyen qui souvent avait réussi dans l'Assemblée constituante; c'était de profiter dans la séance du lendemain de la lecture du procès verbal

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