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mauvaise; mais cette exception ne peut avoir lieu actuellement et s'il est vrai qu'on ait pu mettre une différence entre les sermens, le premier serment ne pouvait pas comprendre des articles qui n'existaient pas encore d'une manière positive et précise; c'était un engagement de patriotisme différent d'un serment positif sur un article existant; il ne faut donc pas confondre le serment du 4 février avec le serment solennel et positif qu'on a juré depuis que la Constitution est finie; le serment de la maintenir ne donne lieu à aucune exception, à aucun prétexte de le violer. »

La réplique de M. Condorcet n'était pas propre à rendre à son projet la faveur qu'il avait d'abord obtenue. M. Isnard, par la chaleur de son raisonnement et la vivacité de ses apostrophes, et M. Girardin, par ses objections pressantes, avaient d'ailleurs fait une trop grande impression sur les esprits: l'Assemblée décréta qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur le projet de M. Condorcet.

Le projet de M. Vergniaud, qui comprenait dans ses dispositions tous les princes français émigrés, était fortement appuyé; néanmoins l'Assemblée se détermina à renvoyer tous les projets à l'examen de son comité de législation, qui n'était pas encore formé au commencement de la discussion. Après huit jours elle entendit le rapport suivant.

RAPPORT fait au nom du comité de législation par
M. Ducastel. ( Séance du 8 novembre 1791.)

K

« Messieurs, depuis les premiers momens de la révolution des Français, faibles ou coupables, factieux ou séduits, ont successivement abandonné le royaume.

» Les uns,

rassemblés vers nos frontières, ont des chefs, osent menacer notre Constitution, cherchent ou préparent ridiculement les moyens d'asservir une grande nation qui veut être libre.

"

» D'autres annoncent des préventions fâcheuses, des désirs blåmables, des espérances criminelles.

Tous inquiètent, épuisent et affligent leur patrie, qui les rappelle vainement.

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Quelles mesures l'Assemblée nationale doit-elle prendre dans cette position?

» Divers orateurs vous en ont proposé, et ils ont indiqué leurs motifs. Vous avez particulièrement fixé votre attention sur quatre projets de décrets. On a réclamé la priorité pour l'un d'eux; vous l'avez décrétée. En conséquence une nouvelle discussion a été ouverte sur ce projet : elle n'a pu vous satisfaire ; mais vous avez renvoyé à votre comité de législation tous les projets et discours.

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Votre comité de législation civile et criminelle s'est empressé de répondre à vos vues ; il a médité profondément tous les projets de décret : aucun ne lui a paru suffisant ou convenable. Il croit donc devoir vous en présenter un nouveau,

» Les Français fugitifs forment deux classes principales : dans la première sont ceux qui composent les rassemblemens; dans la seconde sont tous les autres.

» Dans la première on distingue des princes français; dans la première et dans la seconde on trouve des fonctionnaires publics.

» Ces fonctionnaires doivent être vus sous un double aspect: les uns ont lâchement abandonné leurs postes avant l'amnistie, les autres les ont plus lâchement encore abandonnés depuis.

» Votre comité croit que l'on doit mettre une différence entre les Français rassemblés sous des chefs et ceux qui ne le sont pas; qu'il faut prendre à l'égard des princes français absens des mesures spéciales et provisoires, et que tous les fonctionnaires publics fugitifs ne sont point également coupables. Je vais vous exposer les motifs de votre comité.

» L'émigration n'est point l'absence ou la fuite.

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L'émigration véritable a lieu lorsqu'un citoyen abandonne réellement sa patrie et en adopte effectivement une autre, alors il n'est plus membre du premier état, et il devient membre du second : c'est pourquoi l'acte constitutionnel porte que la qualité de citoyen français se perd par la naturalisation en pays étranger.

» L'homme peut à son gré changer de patrie : sous ce rapport l'émigration, dans les circonstances ordinaires, n'est pas

un crime; elle est même dans la position où nous sommes un malheur , et non un délit.

» Mais les Français qui sortent du royaume en y conservant leur domicile, en ne renonçant pas à leur qualité de citoyen soit par une déclaration expresse, soit par la naturalisation effective, sont des Français absens ou fugitifs, et non des émigrés; ne cessant point d'être Français, ils ne peuvent cesser d'être soumis aux lois de la France.

» Telle est la position de tous les Français que l'on nomme mal à propos émigrans: ce sont de simples absens ou fugitifs; la patrie peut les rappeler, et quand ils ne reviennent pas elle doit les regretter, et non les punir. (Les tribunes publiques murmurent.)

» Mais si ces citoyens se rassemblent vers nos frontières sous les chefs ennemis de la révolution, s'ils manifestent des desseins hostiles, mendient l'appui des puissances étrangères, répandent l'alarme dans le royaume, y entretiennent des dissensions, obligent la nation de mettre en mouvement la force publique, occasionnent des dépenses, altèrent le crédit et retardent les effets de la plus sage administration; ces individus ne sont alors que des citoyens rebelles en état de conjuration contre leur patrie. (Applaudissemens de l'Assemblée et des tribunes.)

» Ils la fuient parce qu'ils n'y dominent plus; ils se rassemblent pour nous asservir : nous ne devons notre liberté qu'à leur impuissance; ils nous perdraient s'ils pouvaient nous vaincre; ils sont nos ennemis, et ils veulent redevenir nos tyrans! (Applaudissemens réitérés.) Voilà le motif de leur

réunion.

n

Quand ils ne seraient pas des conjurés ils seraient au moins très soupçonnés de l'être. La nature ne peut tolérer cette incertitude : vous avez le droit de prescrire un terme à leur rassemblement. S'ils se divisent, s'ils reconnaissent encore l'empire des lois, ils effaceront leur crime par leur obéissance : s'ils ne se divisent point, s'ils dédaignent votre pouvoir, plus de doute en ce cas; il sera évident qu'ils se révoltent, qu'ils demeurent réunis pour réaliser d'odieux projets, qu'ils sont conjurés

contre la patrie, et qu'ils sont sujets à la peine de ce crime: cette peine est la mort. (Applaudissemens.)

» Votre comité vous propose de les déclarer seulement suspects de conjuration; de leur accorder un délai jusqu'au premier janvier 1792, et de les avertir qu'à cette époque ceux qui se trouveront rassemblés seront poursuivis comme conjurés, et punis de mort : cette loi serait à la fois juste et politique.

» En effet, si les Français et leurs chefs ainsi réunis vers les frontières sont seulement d'abord déclarés suspects de conjura'tion c'est par grâce, et ils ne peuvent se plaindre. Qu'exigezvous d'eux ensuite? Est-ce leur retour en France? Non; s'ils y reviennent leurs personnes seront sous la protection des lois comme leurs biens y sont maintenant; mais vous ne les contraignez pas d'y rentrer; vous voulez seulement qu'ils ne soient plus rassemblés. En leur commandant au nom de la patrie et pour la tranquillité générale une démarche aussi facile vous ne blessez ni les droits de l'homme ni ceux du citoyen; vous ordonnez un léger sacrifice à ceux que vous pourriez traiter plus rigoureusement. S'ils n'obéissent pas dans le délai prescrit ils se dévoilent tout à fait; ils sont des conspirateurs ; ils veu→ lent demeurer unis pour effectuer leurs complots. Sous cet aspect les ménagemeus seraient une faiblesse : le crime est constant; on doit le punir.

» La loi que votre comité propose est donc juste.

» Il n'en existe point contre des rassemblemens de cette espèce; une loi nouvelle ne peut donc avoir d'effet rétroactif; aussi ce n'est pas sur les rassemblemens actuels que cette loi mais elle en défendra seulement la continuité, et pour posera; l'avenir elle les déclarera criminels à une époque déterminée, Le délai qu'elle désigne est suffisant..

» Les effets politiques de cette loi sont sensibles. Ou les Français qu'elle concerne obéiront ou ils n'obéiront pas : s'ils obéissent nous parviendrons au but désiré; tant qu'ils ne seront point rassemblés ils ne seront jamais à craindre: s'ils n'obéissent pas ils sont, dès l'expiration du délai, déclarés coupables ; le rassemblement est alors un crime suivant la loi; quiconque fera partie du rassemblement sera coupable par cela seul ; il ne s'agirà plus que de constater le fait.

» Vous connaîtrez bientôt les chefs, les principaux moteurs, les complices de la conjuration; vous saurez quels conspirateurs on doit punir, quels ennemis on doit combattre.

» Parmi vos orateurs plusieurs ont cru que la loi devait frapper uniquement les chefs des rebelles : cette distinction ne serait pas constitutionnelle, et elle s'écarterait du code pénal; mais la mesure que le comité propose remplit toutes les vues; en atteignant les conspirateurs quelconques elle ne permet à aucun d'échapper; les chefs et leurs premiers agens seront sous le glaive judiciaire; trop connus pour qu'on s'y méprenne, trop convaincus du crime pour s'en justifier, ils seront les premiers poursuivis et condamnés. Ils ne se le dissimuleront pas lorsqu'ils connaîtront votre loi, et il se peut que, jetant un regard effrayé sur l'avenir, ils voient leur tort et donnent l'exemple de l'obéissance: fasse le ciel que nous ne soyons jamais obligés de punir! Mais enfin la loi proposée est un mode efficace sous tous les rapports; elle est juste dans son principe et dans ses effets; elle n'excepte nul conspirateur; elle imprime à chaque coupable la même crainte; elle annonce également le pardon ou la mort.

» En vain l'on dirait que les rebelles éluderont facilement la loi, qu'ils feindront de se diviser, et qu'ils se réuniront ensuite selon les circonstances... L'objection n'aurait nulle force: votre loi prohibe les rassemblemens postérieurs au mois de décembre prochain; elle a pour objet les rassemblemens continués ou nouveaux ; elle déjoue ainsi toutes les intentions, perverses, tous les criminels complots; nul ne peut la trouver injuste ou rigoureuse, puisque chaque individu est libre de s'éloigner des conspirateurs ou de ne pas s'y réunir.

» C'est avec douleur, messieurs, que votre comité pose le cas où les Français maintenant rassemblés au delà des frontières ne cesseraient pas de l'être au premier janvier 1792; mais il doit prévoir une résistance possible, quoiqu'elle soit invraisemblable; il pense donc que dans les quinze premiers jours du même mois la haute cour nationale doit être convoquée : il est utile de le décréter à présent, et il sera doux de ne pas avoir besoin de ce décret.

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