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minorité. Appuyé! - Aux voix! - L'ajournement! - Non! non!

M. Ramond. « Dans une matière aussi importante je crois l'Assemblée ne peut se dispenser d'ordonner l'ajourne

que

ment. »

M. Girardin. « Vous n'avez déjà que trop tardé à remplir votre devoir, à obéir à vos sermens! » ( Aux voix, aux voix!)

Après quelques momens d'agitation le décret proposé par M. Girardin est adopté, sauf rédaction, au bruit des applaudissemens de la grande majorité de l'Assemblée et des tribunes publiques.

Le 30 on discuta longtemps pour savoir si par ces mots, dans le lieu de ses séances, relativement à la proclamation à faire pour requérir le premier prince français de rentrer dans le royaume, la Constitution entendait la ville où se trouverait le corps législatif, ou seulement la salle de ses séances : l'Assemblée décida qu'il fallait entendre la ville. On discuta ensuite sur le délai à accorder, et l'Assemblée le fixa à deux mois. Sur la proposition de charger le pouvoir exécutif de la notification au frère du roi, l'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer; elle décréta que la réquisition ne serait notifiée au prince par d'autre mode que celui de la proclamation, mais que, conformément à l'acte constitutionnel, la promulgation de la loi serait faite par le pouvoir exécutif. Ces différentes décisions furent renvoyées au comité diplomatique, chargé de la dernière rédaction, et le lendemain, 31 octobre 1791, M. Gensonné, au nom de ce comité, soumit à la délibération et les décrets et la proclamation, que l'Assemblée adopta définitivement dans les termes ci-après :

Premier décret. « L'Assemblée nationale, considérant que l'héritier présomptif de la couronne est mineur, et que LouisStanislas-Xavier, prince français, parent majeur premier appelé à la régence, est absent du royaume ;

» En exécution de l'article 2 de la Section III de la Consti

tution française, décrète que Louis-Stanislas-Xavier, prince français, est requis de rentrer dans le royaume sous le délai de deux mois à compter du jour où la proclamation du corps législatif aura été publiée dans la ville de Paris, lieu actuel de ses séances.

» Dans le cas où Louis-Stanislas-Xavier, prince français ne serait pas rentré dans le royaume à l'expiration du délai ci-dessus fixé, il sera censé avoir abdiqué son droit à la régence, conformément à l'article ci-dessus cité de l'acte constitutionnel.

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Second décret. « L'Assemblée nationale décrète qu'en exécution du décret du 30 de ce mois la proclamation dont la teneur suit sera imprimée, affichée et publiée sous trois jours dans la ville de Paris, et que le pouvoir exécutif fera rendre compte à l'Assemblée nationale, dans les trois jours suivans, des mesures qu'il aura prises pour l'exécution du présent décret. »

Proclamation. « Louis-Stanislas-Xavier, prince français, l'Assemblée nationale vous requiert, en vertu de la Constitution française, titre III, chapitre II, section III, article 2, de rentrer dans le royaume dans le délai de deux mois à compter de ce jour, faute de quoi et après l'expiration dudit délai, vous serez censé avoir abdiqué votre droit éventuel à la régence.

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Le 12 novembre suivant le roi sanctionna ces décrets (Voyez plus loin, page 226.)

Cette grande détermination prise, le président annonce que la discussion doit s'ouvrir sur la seconde partie du projet de M. Condorcet. Ce projet en effet conservait la priorité; mais les décrets ci-dessus le réduisaient, ainsi que toute la question, aux mesures à prononcer contre les émigrans en général, et les vues de M. Condorcet, exposées dans son discours du 25 (voyez plus haut), ne paraissaient pas suffitantes : son projet ne s'était soutenu que par l'addition qu'il y avait faite du paragraphe concernant le premier prince français; de sorte que la priorité qu'il avait obtenue le 28 lui fut disputée le 31.

VIH.

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M. Isnard (Séance du 31 octobre 1791.)

«Messieurs, le projet de décret de M. Condorcet peut satisfaire à ce que nous devons à la prudence; mais il ne satisfait point à ce que demande la justice, à ce que réclament tous les Français.

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» Il est souverainement juste de ne plus envoyer l'or de la nation à ceux qui conspirent contre elle, et d'appeler au plutôt sur ces têtes coupables le glaive des lois. Pour prouver invinciblement la justice de deux mesures que je vais proposer, je me permettrai de faire deux questions importantes auxquelles je désirerais que quelqu'un voulût bien répondre.

» Je demande à cette Assemblée, à la France entière.... »

M. Léopold. « Ne demandez qu'à la moitié, car ce n'est qu'à elle que vous parlez. (L'orateur était tourné vers la gauche.)

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M. Isnard. «Je demande à l'Assemblée, à la France entière, (en désignant M. Léopold) à vous, monsieur ( on rit et on applaudit), s'il est quelqu'un qui de bonne foi et dans l'aveu secret de sa conscience veuille soutenir que les princes émigrés ne conspirent pas contre la patrie! Je demande en second lieu s'il est quelqu'un dans cette Assemblée qui ose soutenir que tout homme qui conspire ne doive pas être au plutôt accusé, poursui et puni !.... S'il en est quelqu'un, qu'il se lève, et réponde........( Applaudissemens et murmures.) Puisque chacun se tait, il est donc vrai, il est donc convenu.......... » (Bah!)

Le président. « Je vous ferai observer, M. l'opinant, que la discussion ne peut pas se faire par interrogatoires et par réponses. Continuez votre opinion.

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M. Isnard. « Je vous demande pardon, M. le président ; c'est une figure.

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Une voix. « Je demande que l'orateur prouve la première proposition. >>

M. Isnard. « M. le président, je vous prie de rappeler à

l'ordre monsieur, qui parle ici de charlatanisme........... (Éclats de rire.)

M. le président. « Je conjure au nom de la patrie tous ceux qui l'aiment sincèrement, et qui sont jaloux de la gloire de l'Assemblée nationale, de se tenir dans les bornes de la décence. » (Applaudissemens.)

M. Isnard. « Tant qu'on n'aura pas répondu je dirai que nous voilà placés entre le devoir et la trahison, entre le cou→ rage et la lâcheté, entre l'estime publique et le mépris ; c'est ' à nous de choisir !

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» Et si vous me permettiez de dire tout ce que je sens, je dirais que si nous ne punissons pas tous les chefs des rebelles ce n'est pas que chacun ne reconnaisse dans le fond de son cœur qu'ils sont coupables; mais c'est parce qu'ils sont princes, et que quoique nous ayons détruit la noblesse et les dignités ces vains fantômes épouvantent encore les âmes pusillanimes! (Applaudissemens.) Je vous dirais qu'il est temps que ce grand niveau de l'égalité, qu'on a placé sur la France libre, prenne enfin son aplomb! Je vous demanderais si, en élevant les princes au-dessus des lois, vous persuaderez aux citoyens que vous les avez rendus égaux! si c'est en pardonnant à tous ceux qui conspirent contre la liberté que vous prétendez vivre libres! Je vous dirais, à vous législateurs, que la foule des citoyens français qui se voient chaque jour punis pour avoir commis les moindres fautes demandent enfin à voir expier les grands crimes ; que ce n'est qu'alors qu'on croira à l'égalité, et que l'anarchie disparaîtra; car, ne vous y trompez pas, c'est la longue impunité des grands criminels qui a pu rendre le peuple bourreau. (Applaudissemens.) Oui, la colère du peuple, comme celle de Dieu, n'est trop souvent que le supplément terrible du silence des lois. (Applaudissemens réitérés.) Je vous dirais : Si nous voulons vivre libres il faut que la loi, la loi seule nous gouverne; que sa voix foudroyante retentisse dans le palais du grand comme dans la chaumière du pauvre, et qu'aussi inexorable que la mort lorsqu'elle tombe sur sa proie, elle ne distingue ni les rangs ni les titres. (Applaudissemens.)

» On vous a dit que l'indulgence est le devoir de la force, que la Suède et la Russie désarment, que la Prusse n'a pas intérêt de nous attaquer, que l'Angleterre pardonne à notre gloire, que Léopold attend la postérité; et moi je crains, messieurs, je crains qu'un volcan de conjurations ne soit près d'éclater, et qu'on ne cherche à nous endormir dans une sécurité perfide!

» Et moi je dis que la nation doit veiller sans cesse, parce que le despotisme et l'aristocratie n'ont ni mort ni sommeil, et que si les nations s'endorment un seul instant elles se réveillent enchaînées! (Applaudissemens.) Et moi je soutiens que le moins pardonnable des crimes est celui qui a pour but de ramener l'homme à l'esclavage, et que si le feu du ciel était au pouvoir des hommes il faudrait en frapper ceux qui attentent à la liberté de peuples! (Applaudissemens. )

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» Les assassins, les incendiaires ne nuisent qu'à quelques individus ; les conspirateurs contre la liberté nuisent à des millions de citoyens'; que dis-je! à des milliards, puisqu'ils influent sur le malheur des générations futures. Aussi, messieurs, jamais les peuples vraiment libres ne pardonnent aux conspirateurs contre la liberté publique. A tous les exemples anciens et modernes qu'on vous a cités permettez-moi d'en ajouter un seul. Lorsque les Gaulois escaladèrent une nuit les rochers du Capitole, Manlius, qui s'éveille aux cris des oies sacrées, vole aux ennemis, les combat, les précipite, et la république est sauvée ! Le même Manlius est accusé dans la suite de conspirer contre la liberté publique : il comparaît devant les tribun's du peuple; il présente des bracelets, javelots, douze couronnes civiques, deux couronnes d'or, trente dépouilles d'ennemis vaincus en combats singuliers, et sa poitrine criblée de blessures; il rappelle qu'il a sauvé Rome : n'importe, on le condamne ; il est précipité du haut du même rocher dont il avait culbuté les Gaulois. (Applaudissemens réitérés.)

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Voilà, messieurs, un peuple libre ! Mais le sommes-nous, nous qui le premier jour de la conquête de notre liberté pardonnons à nos patriciens conspirateurs leurs vils complots? Que dis-je, leur pardonner! nous qui depuis trois années

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