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pour les lois on redoute de parler de l'amour pour la liberté ! S'il n'existe plus aucune espèce de danger, d'où viennent ces troubles intérieurs qui déchirent les departemens, cet embarras dans les affaires publiques? Pourquoi ce cordon d'émigrans qui, s'étendant chaque jour, cerne une partie de nos frontières? Qu'on m'explique ces apparitions alternatives de quelques hommes de Coblentz aux Tuileries et de quelques hommes des Tuileries à Coblentz. Qu'ont de commun des hommes qui ont fait serment la renverser la Constitution avec un roi qui a fait serment de la maintenir ? La raison permetelle de leur supposer d'autre projet que d'imprégner jusqu'aux murailles du poison de leurs séductions! Que signifie cette puissante armée de ligne répandue dans les départemens du nord et ces nombreux bataillons de gardes nationales par lesquels vous la renforcez? Si vous ne jugez pas inutiles ces précautions dispendieuses pour la nation, pourquoi vous récriez-vous avec tant de force lorsqu'on propose de prendre une mesure secondaire qui pourra produire de grands effets, et sera lucrative au trésor public?

>> TROISIÈME QUESTION. Quelles sont les mesures que la nation doit prendre?

» Ici, messieurs, je distingue avec M. Brissot, parmi les émigrans, les princes français, les officiers déserteurs et les simples citoyens.

» On a paru douter qu'il fût juste d'assujétir la propriété de ces derniers à une contribution plus forte que celle des autres citoyens. S'ils paient, a-t-on dit, leur part de la contribution commnne, ils ont droit à la protection dont cette contribution et le prix; il faut les considérer comme des étrangers qui auraient des propriétés dans le royaume...

» On se trompe : il faut les considérer comme des traîtres qui, ayant violé leurs obligations envers la nation, l'ont affranchie de celles qu'elle avait contractées envers eux, il faut les considérer comme des ennemis auxquels elle doit. indignation et non assistance; que si malgré leur perfidie elle veille encore sur leurs propriétés, elle peut déterminer à son gré le prix de cette surveillance volontaire : que si pour

déjouer leurs complots et assurer sa tranquillité elle est induite à des dépenses extraordinaires, la justice lui désigne leurs propriétés comme le dédommagement naturel de ses frais.

» On a observé que cette niesure est petite et peu digne de l'Assemblée nationale... Eh! qu'importe sa grandeur ou sa petitesse? C'est de sa justice qu'il s'agit; pour être assez grande et digne de l'Assemblée il suffit qu'elle soit juste. (Applaudissem ns.)

» Je n'ai rien à dire sur les officiers déserteurs; leur sort est déjà réglé par le code pénal.

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Quant aux princes français, il y a dans la Constitution une disposition qui concerne particulièrement Louis-StanislasXavier, ci-devant Monsieur. L'ordre de sa naissance l'appellerait à la régence si le roi venait à mourir, et que le prince royal fût encore mineur.

» Or voici, relativement au régent, les dispositions de la loi constitutionnelle : on les trouve au chapitre II, section III, article 2; il est dit :

» Si l'héritier présomptif est mineur le parent majeur pre» mier appelé à la régence est tenu de résider dans le royaume. » Dans le cas où il en serait sorti et n'y rentrerait pas sur >> la réquisition du corps législatif il sera censé avoir abdiqué » son droit à la régence

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» La loi est claire : vous avez juré de la maintenir ; je craindrais de vous outrager en vous observant que votre négligence même serait un parjure. (Applaudissemens.)

» Mais la réquisition que vous allez faire ne vous suffit pas; vous devez un mémorable exemple à l'Europe.

» Elle sait que tous les princes français fugitifs se sont hautement déclarés les chefs de la horde nobiliaire qui conjure contre vous; elle a retenti de leurs plaintes incendiaires, de leurs déclarations calomnieuses contre la nation; elle a été un instant agitée par les efforts qu'ils ont faits pour l'associer à leurs complots: ce préliminaire d'une ligne des despotes contre les peuples, la fameuse déclaration de Pilnitz, est le fruit de leurs intrigues: leurs attentats sont connus ; il faut que vous fassiez connaître votre justice,

» Il faut ou que par des ménagemens inciviques vous avilis

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siez la nation et la montriez tremblante devant eux, ou que par une actitude ferme vous les fassiez trembler devant elle : d'un côté sont les intérêts de quelques rebelles qui regorgent de bienfaits et d'ingratitude, de l'autre ceux du peuple : il faut opter d'un côté est la gloire de signaler votre amour pour la patrie par un acte sévère, mais équitable, mais nécessaire; de l'autre la honte de signaler votre insouciance pour elle par une faiblesse coupable même aux yeux de la justice: il faut opter! On parle de la douleur profonde dont sera pénétré le roi..... Brutus immola des enfans criminels à sa patrie : le cœur de Louis XVI ne sera pas mis à une si rude épreuve ; mais il est digne du roi d'un peuple libre de se montrer assez grand pour acquérir la gloire de Brutus.

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>> Quels succès d'ailleurs ne peut-il pas se flatter d'obtenir auprès des princes fugitifs par ses sollicitations fraternelles et même par ses ordres pendant le délai que vous leur accorderez pour rentrer dans le royaume? Au reste s'il arrivait qu'il échouât dans ses efforts, si les princes se montraient insensibles aux accens de sa tendresse en même temps qu'ils résisteraient à ses ordres, ne serait-ce pas une preuve aux yeux de la France et de l'Europe que, mauvais frères et mauvais citoyens, ils sont aussi jaloux d'usurper par une contre-révolution l'autorité dont la Constitution investit le roi que de renverser la Constitution elle-même ? (Applaudissemens ) Dans cette grande occasion leur conduite lui dévoilera le fond de leur cœur, et s'il a le chagrin de n'y pas trouver les sentimens d'amour et d'obéissance qu'ils lui doivent, que, défenseur de la Constitution et de la liberté, il s'adresse au cœur des Français, il y trouvera de quoi se dédommager de ses pertes. ( Longs applaudissemens.)

>> Encore deux mots, et je termine cette longue discussion. » On a dit et répété avec beaucoup d'affectation qu'une loi sur les émigrations serait impolitique en ce qu'elle exciterait des alarmes dans le royaume...

>> Je réponds qu'une loi sur les émigrations n'apprendra rien aux Français que ce qu'ils savent tous; c'est qu'il s'est formé à Worms et à Coblentz une conspiration contre leur liberté : la loi ne les effraiera point, au contraire elle comblera leurs vœux; il y a longtemps qu'ils la désirent.

» On a dit encore qu'elle serait inutile et sans effet...

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Pourrais-je demander aux auteurs de cette objection quelle divinité les a doués du merveilleux don de prophétie? Voyez, s'écrient-ils, les protestans sous Louis XIV; plus on aggrava les peines contre les émigrans, plus les émigrations se multiplièrent... C'est avec bien de l'irréflexion qu'on a cité un pareil exemple! Ce ne fut pas à cause des peines prononcées contre les émigrans que les protestans sortirent alors du royaume, mais à cause des persécutions inouïes dont ils étaient les victimes dans le royaume ; ce fut la violence qu'on ne cessait de faire à leur conscience qui les obligea à chercher une autre patrie. Or au lieu de menacer de violences les Français aujourd'hui émigrés, la patrie leur tend les bras avec bonté, et les recevra comme des enfans chéris dont elle a déjà oublié les égaremens.

>> Enfin, j'observe que dans tous les événemens le succès est l'affaire du destin; vous ne sauriez en être responsables; mais les précautions pour le préparer sont de votre ressort, et dès lors un devoir impérieux vous commande de les prendre.

>> Je propose le projet de décret suivant, ou plutôt, quelques articles de ce projet ayant besoin de la sanction, d'autres pouvant s'en passer, je propose de rendre deux décrets distincts; ils sont la conséquence des principes que je viens de développer. » (L'orateur dépose deux projets, l'un contre les émigrés simples citoyens, l'autre contre le princes français émigrés.)

Ce discours, premier triomphe de M. Vergniaud à la tribune nationale, portera enfin l'Assemblée à une grande détermination. En s'attachant, comme on l'a vu, à réfuter plus particulièrement MM. Lémontey et Dumas, l'orateur venait de combattre et de vaincre tous les opposans aux mesures répressives de l'émigration: M. Brissot, après lui MM. Voisard, Roujoux et Condorcet, avaient déjà appelé contre les transfuges la sévérité des législateurs ; ce vœu va devenir celui de la majorité. M. Pastoret, succédant à M. Vergniaud, opine dans le même sens, avec moins de chaleur, mais autant dé solidité dans le raisonnement: il cite Grotius, Montesquieu, Rousseau; il puise des exemples dans les annales d'Athènes

approu

et de Rome, dans celles de l'Angleterre, et il prouve qu'il est des cas où une loi sur l'émigration peut être vée par la philosophie, par la Constitution, par la Déclaration des Droits de l'homme. » Soixante membres s'étaient fait inscrire pour parler sur la question; vingt environ avaient seulement été entendus: néanmoins l'Assemblée, suffisamment éclairée, ferme la discussion quant au fond, et remet à trois jours la lecture de tous les projets présentés.

Cette opération eut lieu le 28. Les projets de MM. Brissot, Condorcet et Vergniaud balancèrent la priorité; celui de M. Condorcet l'obtint : pour la rigueur il tenait le milieu entre les deux autres, et semblait ainsi promettre une consolation au côté droit; mais bientôt l'Assemblée déclarera qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet de M. Condorcet, dont la disposition principale, celle relative au premier prince français, était d'ailleurs commune aux trois projets.

Pour le moment celui de M. Condorcet avait donc la pricrité : le président le soumet à la délibération : aussitôt plusieurs membres demandent l'ajournement...

M. Girardin. (28 octobre 1791. ) « Je demande à parler contre l'ajournement. Le projet de M. Condorcet contient une proposition distincte et séparée ; c'est celle relative au premier prince français. Je demande l'exécution de la loi constitutionnelle, qui porte qu'il sera tenu de résider dans le royaume sous peine d'être déchu de son droit à la régence; c'est un devoir que l'Assemblée doit remplir à l'instant même. Je demande qu'elle décrète l'article que voici :

» Conformément à ce qui est prescrit par l'acte constitutionnel, l'Assemblée nationale fera dans trois jours, et dans le lieu de ses séances, une proclamation pour requérir Louis-Stanislas-Xavier, premier prince français, de rentrer dans le royaume; et s'il ne se conforme pas à la réquisition de l'As semblée nationale il sera censé avoir abdiqué son droit à la régence. » (Agitation.)

» C'est ici l'exécution de la loi constitutionnelle; il n'y a pas lieu à discussion ni à ajournement. Je demande l'exécution de la loi.» (Nombreux applaudissemens; murmures de la

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