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par des militaires de ne point porter les armes pendant tel nombre de mois ou d'années; parmi les moralistes qui ont discuté ce genre de question aucun n'a combattu la validité de ces engagemens à terme fixe, aucun n'en a justifié la violation.

» Les émigrés qui souscriraient cet engagement, réputés álors étrangers, ne pourraient rentrer dans leurs droits de citoyen actif que de la même manière dont les étrangers peuvent les acquérir les récompenses pour services rendus leur seraient conservées, car leurs services n'en existent pas moins, et une erreur ne peut en affacer la mémoire ; ils continueraient de jouir des traitemens accordés comme indemnités, comme retraite, car leur reñonciation å la patrie n'est pas un délit.

Mais ils doivent perdre et les grades militaires qu'ils peuveut avoir acquis, et le droit qu'ils peuvent avoir à un rempla

cement.

» Toutes ces privations sont une suite nécessaire de la qualité d'étranger, et l'on conviendra sans doute que l'homme qui a refusé d'adopter la Constitution de sa patrie ne peut exiger qu'elle le regarde comme lui appartenant encore.

» Ceux enfin qui dédaigneront de faire la déclaration demandée seront censés avoir des intentions hostiles; et certes, puisqu'ils ont refusé de les désavouer, on peut sans injustice les en reconnaître coupables. On ne peut les punir sans doute, car il faudrait qu'ils eussent été jugés ; il faudrait qu'un délit formel pût leur être imputé; mais une intention ennemie non désavouée et sur laquelle on ne peut avoir de douté donne le droit d'enlever les moyens de nuire : prétendre qu'il faut les teur laisser parce que le crinie n'est pas consommé, ce serait dire que pour désarmer son ennemi il faut attendre qu'il vous ait assassiné. Ainsi, quant à ceux qui refuseront cette promesse de ne pas se rendre coupables, la nation peut sans injustice les priver de la dispositión de toute espèce de revenus, de toute espèce de fonds existans en France. Quel serait done l'effet de l'indulgence que la faiblesse ou la perfidie pourrait réclamer én leur faveur, sinón de conserver à nos ennemis le pouvoir de troubler notre repos, de leur réserver précieuse

ment les moyens, non de nous faire la guerre, non de payer une armée, non de soulever les nations, mais d'acheter contre nous des ennemis à la cour des despotes, dans les bureaux de leurs ministres; mais de continuer cette distribution systématique de mensonges, de fausses nouvelles, de calomnies, source première des vexations que les citoyens français ont éprouvées; mais de désorganiser sans cesse notre armée, d'y corrompre la discipline, de soudoyer l'hypocrisie de nos prêtres séditieux; mais d'établir enfin des manufactures où l'on puisse exercer en grand l'art des faussaires, car ces hommes qui nous parlent sans cesse de l'honneur, ne dédaignent aucune bassesse, pourvu qu'elle puisse servir la noble cause du fanatisme et de la tyrannie! (Applaudissemens.)

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Offrons-leur encore une fois le moyen de cesser d'être pos ennemis; mais s'ils s'obstinent à l'être de vains ménagemens deviendraient une faiblesse, ou plutôt un crime; et de quel droit, par pitié pour des hommes méprisables, sacrifierions-nous la sûreté de nos commettans, exposés, lorsque le besoin les appelle dans les pays étrangers, aux outrages de cette horde insolente et barbare?

» Mais quel sera l'effet de ces mesures de rigueur, qui, justes en elles-mêmes, ont cependant encore besoin d'être justifiées par leur utilité?

Sans doute elles auraient été inutiles si dès les premiers temps de la révolution le ministre des affaires étrangères eût parlé le langage qui convient à l'agent d'une grande nation; si par l'exemple il n'eût pas souffert qu'au moment où la France, agitée par des troubles, fatiguée du désordre de ses finances, oubliait ses propres maux pour secourir l'Espagne menacée, cette même puissance osat refuser tout autre ambassadeur que celui dont une trop juste défiance avait exigé la destitution; s'il ne se fût pas rendu complice des maux que le fanatisme nous fait aujourd'hui en laissant un cardinal chargé de scutenir à Rome la cause de la raison et de la liberté; si aux premières insultes faites à des individus de la nation française il eût osé déployer toute la hauteur d'un peuple libre qui demande justice au nom de la nature humaine outragée.

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Si nos envoyés chez les puissances étrangères, ennemis

couverts ou même publics de la révolution, et conservant dans leurs places une immobilité scandaleuse, n'y avaient établi l'opinion qu'il se préparait une révolution contraire; si pour les remplacemens on n'avait pas affecté de chercher les hommes qu'il était le plus impossible de soupçonner de ne point haïr la liberté; si la conduite du gouvernement n'avait pas sans cesse excité une juste défiance; si les premiers défenseurs des droits du peuple n'avaient pas mérité le soupçon d'en avoir abandonné la cause; si aucun indice n'avait annoncé une connivence coupable entre Paris et Coblentz, alors sans doute la clémence eût pu ne paraître que l'effet de la bonté naturelle au peuple français, et du sentiment de ses forces: mais aujourd'hui elle ne serait que faiblesse; elle réveillerait toutes les défiances, elle fortifierait tous les soupçons.

Notre gouvernement nous a fait dévorer trop d'outrages ; sa timidité, son incertitude nous ont trop montrés à l'Europe comme les jouets d'une intrigue dont les fils nous étaient cachés, pour qu'il soit possible de céder au mouvement qui nous porte à l'indulgence. Que le nom français soit respecté, qu'on rende enfin justice au peuple généreux que nous représentons, et c'est alors seulement que sans le trahir il pourra nous être permis de pardonner en son nom! (Applaudissemens.)

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C'est de notre conduite envers cette lie de la nation, qui ose encore s'en nommer l'élite, que dépend l'opinion des nations étrangères, si nécessaire au succès de nos travaux : soyez modérés et justes, mais fermes, vous serez respectés par elles ; mais si vous suivez les mouvemens d'une juste indignation on vous croira faibles; si vous accordez un pardon qu'on ne vous demande point on vous croira ou dupes de l'artifice de vos énnemis, ou dominés par une influence secrète, et plus occupés des intérêts d'une famille que du salut d'un grand peuple. (Applaudissemens.)

» D'autres considérations me paraissent devoir encore vous déterminer à prendre ces mêmes mesures.

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Un grand nombre d'émigrans n'a pour la Constitution française qu'une aversion fondée sur d'anciens préjugés, n'a été déterminé à la fuite que par la crainte des troubles, trop réels sans doute, mais qu'une exagération coupable a rendus

plus effrayans; il faut y joindre le désagrément passager d'un changement dans leur importance personnelle : presque tous, une fois assurés de la stabilité de la Constitution francaise, désireront d'en partager les avantages; encore quelque temps, et ils conviendront qu'il n'y a point de proportion entre la suppression d'un vain titre et celle de la Bastille ; ils sentiront qu'il est doux d'être libre, et quand vous leur offrirez un moyen de prouver qu'ils tiennent encore à la nation; qu'ils ne doivent point perdre sa confiance et que vous leur laisserez en même temps la liberté de choisir le moment de leur retour, beaucoup profiteront des avantages de cette loi bienfaisante et juste ; croyez qu'ils ne voudront point se déclarer étrangers, et sacrifier des biens réels pour le vain orgueil de conserver de l'humeur pendant quelques mois de plus : quant à ceux dont les préjugés sont plus enracinés, mais qui n'ont point formé de projets criminels, qui n'y sont entrés que par complaisance ou par air, en voyant que leur obstination les exposerait à des malheurs plus grands, croyez qu'ils céderont à la voix de la raison. Ainsi nous verrons le nombre de nos ennemis diminuer en même temps que nous apprendrons à les connaître.

Ajoutons ici que si cette espérance était trompée, si l'obstination était générale, elle annoncerait des espérances bien coupables; elles nous apprendrait que nous devons multiplier les précautions et les efforts.

»Une amnistie accordée sans les réserves, sans les précautions qui doivent accompagner ces actes de clémence, n'a eu jusqu'ici d'autre effet que de confondre l'innocent avec le coupable: il est temps de les séparer; il est temps que l'homme retenu chez l'étranger par des motifs puissans, que l'homme faible poursuivi par des terreurs imaginaires ne puisse plus être confondu avec le citoyen parjure, avec l'ennemi de la patrie. Ceux-ci, dira-t-on, nous tromperont encore; ils signeront ce qu'on voudra, et ne respecteront cette nouvelle signature que comme ils ont respecté leurs premiers sermens...

Mais ne serait-ce rien que d'avoir ôté à leur perfidie une dernière excuse, que de les avoir réduits à un état où il n'y aura plus que des princes, des courtisans et des ministres qui osent ne point paraître les mépriser?

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» Je n'ai point proposé de mettre entre eux aucune distinction que l'émigrant qui renonce au titre de citoyen ou qui refuse de s'engager à ne pas troubler la paix soit un des suppléans du trône, ou qu'il soit appelé à remplir à son tour une lieutenance dans un régiment; qu'il abandonne la résidence imposée au régent présomptif du royaume, ou celle qu'on exige du fonctionnaire public le moins important, tous son égaux aux yeux de la loi; tous placés dans les mêmes circonstances, doivent également perdre tous leurs droits, et voir également tous leurs revenus suspendus. Osons enfin tout envisager d'un œil égal, et ne caressons par l'orgueil, même par la distinction d'une rigueur plus grande; seulement la publicité nécessaire de leur conduite les empêchera de se soustraire à la loi. Mais que deviendront les familles des hommes dont t on séquestrera les biens? Ce que deviennent les familles de ceux qui ont été ou qui sont tombés dans un autre genre de demence, et auxquels il a fallu retirer l'administration de leur fortune.

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»Je ne dis plus qn'un mot: toute mesure est inutile, toute espérance d'en imposer aux puissances étrangères est illusoire, toute démarche pour leur faire respecter le nom français, pour les empêcher d'aider nos ennemis, ne sera qu'une honte de plus tant que les noms de nos ambassadeurs, choisis parmi ceux les événemens de la révolution ont consacrés dans les fastes que de la liberté, n'apprendront pas aux rois et à leurs ministres qu'il n'existe plus parmi nous qu'une seule volonté efficace et puissante, celle du peuple français. » (Nombreux applaudissemens. L'Assemblée décrète l'impression du discours et du projet de M. Condorcet.)

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DISCOURS de M. Vergniaud. (Méme séance)

» Est-il des circonstances dans lesquelles les droits naturels de l'homme puissent permettre à une nation de prendre une mesure quelconque relative aux émigrations?

"La nation française se trouve-t-elle dans ces circonstances? » Si elle s'y trouve, quelles mesures lui convient-il de prendre.

Telles sont, messieurs, les questions dont je pense que

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