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être détruite au dedans, si ce n'est par les fautes de ceux à qui elle est confiée, ni qu'aucune cause extérieure y puisse apporter de changement, si ce n'est par les fausses mesures auxquelles on nous entraînerait, et par l'oubli des moyens simples et naturels qui sont l'objet véritable de notre mission!

» Voulez-vous donner à quelques mécontens une telle importance que de les reconnaître pour une portion considérable des citoyens de l'empire, avec lesquels le peuple français entrerait en guerre? Faut-il par une loi qui produira certainement l'effet contraire, chercher à diminuer de quelques centaines d'hommes cette romanesque armée, à laquelle votre indignation donne seule quelque existence?

» On a dit avec raison que cette émigration était un fléau destructeur de l'industrie; mais on n'a pas assez dit au peuple que le seul remède à ce fléau est l'établissement des lois et la contenance ferme d'une nation constituée : la pire espèce des flatteurs, les flatteurs du peuple (murmures), n'ont cessé de lui faire considérer dans d'inutiles mesures de rigueur l'espérance de la prospérité, qui ne fleurit qu'à côté de la paix. Démentez donc l'histoire de tous les âges, et plus particulièrement la nôtre, si vous voulez établir que des lois rigoureuses contre des propriétaires émigrés arrêtent le cours des émigrations!

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Quand on dévie un instant des principes d'équité on ne sait jamais jusqu'où entraînent les conséquences. Examinez l'effet qu'ont produit les lois sur les émigrations après la révocation de l'édit de Nantes : sans doute le fanatisme de l'orgueil ne commande pas de moindres sacrifices que le fanatisme de la religion; pourquoi donc, après l'avoir détruit, voulez-vous lui donner de nouvelles forces? N'est-il pas plus sûr d'agir toujours conséquemment aux bases que vous avez posées ? Votre position vis à vis des émigrans ne changera pas; ceux que ne retiennent pas la sainteté des lois et l'amour de la patrie ne seront pas retenus par des lois de rigueur.

» Considérez-vous les émigrans tous ensemble comme des traîtres qui ont juré la ruine de leur pays? Hé bien, votre loi serait insuffisante s'ils ne combattent pas ils achèvent d'annuler leurs moyens de résistance; s'ils combattent seuls contre vous leur punition sera mémorable; s'ils se lient à des ennemis

que vous puissiez compter vous sévirez avec justice et sans troubler l'ordre intérieur: il faut donc considérer les émigrations sous deux rapports; celui du citoyen qui se dérobant à ses devoirs, renonce au pacte social; il faut le plaindre; c'est un suicide politique; ou celui d'un traître dont vous n'avez pas le droit de présumer l'action, et que vous punirez justement lorsqu'il l'aura manifestée. (Murmures.)

>> En suivant cette division vous trouverez, ce me semble, messieurs, la solution de ce problème, et en reconnaissant que vous ne devez pas faire de loi contre les émigrans vous prendrez tous les moyens de poursuivre, les délits réels, et d'en arrêter les effets. Les seules mesures qu'il soit convenable et utile de prendre en ce moment sont relatives aux militaires qui abandonnent, qui désertent leurs postes sans congé et sans avoir donné leur démission: ces militaires ne sont pas sur la même ligne que les simples citoyens, qui peuvent, suivant les principes de la liberté, cesser lorsqu ils le jugent à propos de faire partie du corps social; ce sont des fonctionnaires publics qui ont des devoirs, des obligations attachées à leur état, et qui ne peuvent quitter cet état sans remplir les formalités que la loi a établies : leur éloignement dans ce cas est une véritable défection que vous devez frapper de toute l'ignominie qui doit être le partage de ceux qui, engagés envers la patrie par le poste qu'elle leur a confié, ne rougissent pas de l'abandonner au moment du péril! ( Applaudissemens. )

» Les articles que je vous proposerai me paraissent propres à remplir cet objet, et ils auront de plus l'avantage de faire connaître d'une manière positive aux militaires qui ont déserté leurs postes qu'ils les ont perdus pour jamais, et à ceux qui les ont remplacés que leur existance est aussi solide que la confiance que la nation a mise dans leur patriotisme.

»Je vous propose de vous borner à ces précautions, les seules qu'exigent les circonstances actuelles : vous aurez bientôt ou à vous applaudir d'avoir conservé les dispositions généreuses du corps constituant, ou à prendre des dispositions plus sérieuses et les plus efficaces, suivant vos nouveaux rapports avec les puissances étrangères.

»Ne hâlez donc pas l'instant qui s'approche, et montrez

vous dignes de prendre votre place par votre confiance en vos propres forces! (Applaudissemens.

» Mais aujourd'hui pouvons-nous nous-mêmes nous écarter de la marche de nos prédécesseurs sans dégrader la dignité nationale? Si nous voulons que la nation française soit imposante et respectée au dehors donnons-lui une marche grave et toujours conséquente à elle-même la nation est une quoique différens représentans lui servent successivement d'organes.

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» Le corps constituant a révoqué il n'y a pas un mois la loi qu'il avait rendue contre les émigrations; pouvons-nous la renouveler aujour'dhui sans que la nation française présente aux étrangers la plus grande inconstance dans les délibérations? Le roi vient de publier une proclamation par laquelle il rappelle les émigrans dans le sein de leur patrie par de sentiment de leurs devoirs et de leurs intérêts; pouvons-nous, sans attendre l'effet de cette invitation, rendre une loi rigoureuse sans présenter la marche du corps législatif en opposition avec celle du roi, et détruire aux yeux des étrangers ce concert qui fait notre force, et qui plus que tout nous assurera leur considération? Ces petits moyens, toujours sans effet, ne feront que dégrader notre puissance, et prêteront une consistance à nos ennemis en nous faisant supposer une faiblesse également éloignée de la réalité.

» Mais c'est trop longtemps m'arrêter sur ces considérations, et je ne crois pas que l'Assemblée veuille donner à cette question l'attention et le temps qui sont dus aux véritables objets de ses travaux : nos ennemis souriraient avec trop de satisfaction de nous voir abandonner la guérison du corps politique pour appliquer à des maux extérieurs quelques palliatifs impuissans! Avant de nous laisser aller à des mesures tyranniques et anti-constitutionnelles avons-nous épuisé, avonsnous seulement examiné les moyens naturels et sûrs qui nous sont offerts pour décourager les mécontens, pour décréditer leur cause dans tout l'univers, et réduire leur prétendue vengeance à une impuissance absolue?

Ah! craignons que les hommes qui nous examinent ne nous accusent de chercher bien loin de ressources extraordi

naires, faute de savoir employer les immenses ressources qui sont renfermées dans les bienfaits de la Constitution et dans l'exécution de la loi! Pense-t-on que des Français songent à s'éloigner et que quelqu'un ose encore nous adresser des menaces quand la Constitution ne sera plus un mot, et quand la France sera tranquille? (Applaudissemens.) On veut que nous nous fassions craindre? Commençons donc pour nous faire respecter. Ne nous appliquons pas à dégrader tous les pouvoirs qui doivent concourir avec nous;, ne souffrons pas nousmêmes qu'on prête au corps législatif le délire de quelques individus. Quand les saintes expressions de patriotisme et de liberté seraient perdues dans l'opinion par le mélange de toutes les extravagances; quand, à force d'avoir flatté le peuple, on en serait sévèrement jugé; quand, au lieu de s'unir contre l'anarchie et pour l'exécution véritable de la Constitution, les différens pouvoirs en s'attaquant se seraient respectivement déconsidérés; quand par la négligence ou la timidité des représentans du peuple, la licence, abattue par les derniers efforts du corps constituant, aurait repris son empire; quand la nation, étonnée de ne pas recueillir les bienfaits de la liberté au moment où la Constitution est finie, se lasserait de tant d'efforts et pencherait vers le découragement, c'est alors que les plus faibles ennemis pourraient tenter les plus grandes entreprises. Mais loin de nous de semblables craintes! Nos prédécesseurs ont rendu la France libre et lui ont donné. Constitution: nous avons été envoyés pour en faire chérir, pour en fixer les bienfaits par la paix et la prospérité; nous remplirons notre tâche, et nous ne nous laisserons pas plus aveugler par les piéges du faux patriotisme que par l'usurpation du pouvoir que nous sommes destinés à contenir. »

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M Brissot avait laissé l'avantage aux partisans d'une loi sur les émigrans: M. Dumas rétablit l'équilibre, le côté droit l'applaudit fortement; du côté gauche il n'obtint que des murmures: aux uns il rendait le courage; il appelait les autres à recommencer le combat, A la demande de Kimpression de son discours les deux côtés se heurtorent... Oui Non, non.... On ne doit, s'écria M. Basire,

oui....

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ordonner l'impression que, des discours qui peuvent apprendre quelque chose à l'Assemblée et au peuple; or je soutiens qu'il n'y a rien à apprendre dans le discours de M. Dumas. En conséquence je demande la question préalable. (Applaudissemens et murmure.) Cependant les deux côtés, chacun par un sentiment contraire, penchaient pour l'impression, et l'impression fut décrétée à une grande majorité.

Sur la proposition de M. Condorcet l'Assemblée ajourna La discussion jusqu'à ce qu'elle eût reçu des renseignemens sur la situation extérieure des frontières. Les députés du Bas et du Haut-Rhin et des départemens limitrophes furent successivement entendus leurs déclarations étaient rassurantes; elles présentaient les émigrans comme des bandes peu redoutables, sans argent, sans discipline, sans union, et méprises des étrangers. Néanmoins ces éclaircissemens ne parurent pas à plusieurs membres devoir suspendre le cours de la justice nationale: MM. Rougier-Labergerie, Voisard Roujoux, insistaient pour de mesures contre les émigrans, et présentaient chacun un projet de décret; la question préalable était demandée par M. Dubois-Dubais; MM. Thorillon, Aubert-Dubaget et Jaucourt, soit en proposant des délais, soit en séparant les points de la discussion, soit en invoquant les principes de la liberté individuelle, s'en remettaient en quelque sorte à la sagsse du roi M. Condorcet prend la parole. !

OPINION de M. Condorcet. ( Séance du 25 octobre 1791.)

« C'est une grande erreur de croire que l'utilité commune ne se trouve pas constamment unie avec le respect pour les droits des individus, et que le salut public puisse commander de véritables injustices! Cette erreur a été partout l'éternelle excuse des attentats de la tyrannie, et le prétexte des menées artificieuses employées pour l'établir.

» Au contraire, dans toute mesure proposée comme utile il faut d'abord examiner si elle est juste ne l'est-elle pas, il faut en conclure qu'elle n'avait qu'une vaine et trompeuse apparence d'utilité.

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