Page images
PDF
EPUB

toutes ces intrigues qui nous environnent, de tous ces mouvemens qui nous menacent! Que de calamités la France se serait épargnées si son ministère patriote avait eu le courage de n'envoyer que des hommes profondément révolutionnaires : que des Popilius, des Sidney, des Dorislaüs, de ces hommes qui, le pistolet sur le sein, soutiennent en face des tyrans le caractère fier dont ils sont revêtus!... Nous aurons sans doute un jour ce bonheur; la diplomatie se purifiera comme les autres parties du gouvernement; mais en attendant le bien public nous ordonne de rechercher d'avance tout ce qui intéresse la sûreté extérieure et la dignité de la nation française: sans cette sûreté vous exposez la nation à une ruine certaine ; sans cette dignité vous compromettez son honneur et sa liberté, car qui ne se respecte pas, qui ne se fait pas respecter, cesse bientôt d'être libre ! »

L'effet de ce discours que de vives acclamations avaient interrompu et suivi, fut d'affaiblir dans les esprits le penchant à l'indulgence envers les émigrans. L'impression était demandée à la presque unanimité; un membre s'y opposa en faisant observer que l'orateur s'était servi des mots ci-devant princes à l'égard de personnages que la Constitution reconnaissait pour princes français. Il est facile de calmer l'inquiétude de l'opinant, répliqua M. Brissot; le mot cidevant sera supprimé. — Et l'Assemblée décréta l'impression au bruit des applaudissemens.

M. Brissot avait électrisé la majorité de l'Assemblée. Un orateur essaya de parler dans le sens de M. Lémontey; on ne l'écouta qu'avec impatience: M. Gaston appela sur les émigrans la juste sévérité de l'Assemblée; on l'applaudit., M. Ramond voulut atténuer l'effet du discours de M. Brissot; il avait d'abord pensé que la question préalable aurait, dû terminer la discussion; mais convenant que M. Brissot, en avait agrandi le cadre; il demanda l'ajournement jusqu'après la distribution du discours de cet orateur : l'Assemblée adopta la question préalable, mais contre la proposition de M. Ramond, et la discussion fut continuée.

[ocr errors]

C'est dans cette disposition des esprits que la parole échut à M. Dumas...

OPINION de M. Dumas. (Séance du 20 octobre 1791.)

Messieurs, puisqu'il est devenu nécessaire de discuter au sein du corps législatif l'application des principes mêmes de la Constitution; puisqu'il ne s'agit de rien moins que de courber la loi devant les circonstances, j'examinerai d'abord la prohibition proposée des émigrations dans toutes la rigueur des principes; j'en appliquerai ensuite les conséquences aux circonstances où nous nous trouvons; enfin j'indiquerai les mesures que je crois propres à remplir vos vues.

» Notre pacte social est fondé snr les droits de l'homme : il faut remonter à cette source pure, et voir si dans la définition de la liberté on peut trouver le principe d'une obligation individuelle à faire partie du corps social. L'article 4 de la Déclaration des Droits, éternelle barrière entre le despotisme et la licence, s'exprime ainsi :

» La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à » autrui; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme » n'a de bornes que celle qui assurent aux autres membres de » la société la jouissance de ces mêmes droits : ces bornes ne » peuvent être déterminées que par la loi. »

» Or le pacte social n'a point posé de telles bornes ; il n'a point fixé d'époque et déterminé de circonstance où les citoyens français seraient privés du droit de disposer de leurs personnes et de leurs propriétés. Nous tous, contractans, nous avons dit: Tant que nous serons réunis dans les limites de l'empire français nous vivrons sous de telles lois...... Mais nous sommes-nous engagés à ne jamais nous en séparer? Aucun article de notre Constitution ne prescrit cette conscription rigoureuse. Faut-il, d'accord avec nos ennemis, ériger en principe que le corps politique n'existe que par la plénitude numérique et la présence absolue de tous les individus ? mais, me dira-t-on, quel est le point où la loi peut atteindre le citoyen qui abuse de son égide protectrice?...

» Je réponds par l'article 5, que « la loi n'a le droit de

» défendre que les actions nuisibles à la société. » Et qu'on ne pense pas qu'il soit exact de conclure que, l'émigration étant nuisible à la société, la loi doive la défendre! (Murmures.) Non, messieurs; une action nuisible dans le langage des lois est un mal positif, une infraction, une résistance que la loi doit réprimer : mais l'absence, la fuite hors de son pays est un mal négatif, une sorte de privation de civisme et de vertu que l'opinion publique peut réprouver, mais que la loi ne saurait saisir.

» Je sais que des circonstances qui aggravent l'expatriation peuvent caractériser des délits particuliers; je ne parle ici que de l'expatriation en général, et si je consacre ces principes d'éternelle vérité je n'en sens pas moins leur apparente contradiction avec la suprême loi, le salut du peuple. On a répeté dans cette tribune, où l'ombre de Montesquieu a été si souvent et si justement rappelée, qu'il fallait quelquefois jeter une voile sur la statue de la loi : mais dans cette discussion mémorable l'orateur de la liberté, Mirabeau, ne voulut reconnaître aucun intérêt suprême; il ne composa point avec la nécessité. Voulezvous l'entendre lui-même traitant cette importante question avec toute la force, toute la grandeur de ses conceptions?

[ocr errors]

:

Après avoir cité sa prophétique lettre à Frédéric-Guillaume il disait : « L'homme ne tient pas par des racines à la terre ; » ainsi il n'appartient pas au sol : l'homme n'est pas un champ, » un pré, un bétail; ainsi il ne saurait être une propriété » l'homme a le sentiment intérieur de ces vérités simples; ainsi » on ne saurait lui persuader qu'aucune loi puisse l'enchaîner » à la glèbe : tous les pouvoirs se réuniraient en vain pour lui inculquer cette infâme doctrine. »

» Mirabeau déclara donc solennellement, et qu'il me soit permis de conclure avec lui qu'une loi sur les émigrans est inconciliable avec les principes de la Constitution. (Voyez tome III.)

Cependant quelle différence entre les circonstances où Mirabeau parlait et celles où nous nous trouvons! entre le corps constituant, obligé de défendre par des moyens de révolution la Constitution encore inactive, encore pour ainsi dire sur le chantier, et nous, appelés pour l'exécuter, pour en maintenir

rigoureusement tous les principes! Cette dernière considération me conduit à la seconde partie de mon opinion.

» Nous ne pouvons pas faire une loi contre les émigrations : j'ajoute que si nous le pouvions nous ne le devrions pas.

» En effet, messieurs, lorsque cette question fut agitée de nouveau dans le corps constituant, au mois de juillet dernier, les mêmes principes ont été invoqués, et les mêmes difficultés reproduites (Voyez tome V.) On définit alors l'émigration une renonciation au pacte social, et l'on chercha vainement des remèdes à cette maladie politique; il fallut renoncer à faire une loi : l'Assemblée constituante fut seulement entraînée par le malheur des circonstances à prendre une mesure extraordinaire dont l'illégalité, l'insuffisance, le danger, démontré d'avance, n'ont été que trop bien justifiés depuis. C'est donc dans la parité des circonstances qu'il faudrait chercher non un juste motif, mais un prétexte politique: affligeante alternative, dont l'achèvement de la Constitution nous garantit!

[ocr errors]

Ici, messieurs, pour prévenir le reproche d'avoir atténué les dangers qui alarment la patrie, je prie l'Assemblée d'examiner notre situation par rapport aux Français émigrés, et l'effet vraisemblable de leurs intrigues; peut-être trouvera-t-elle dans cet exposé des moyens de juger sans aucune prévention les dangers d'une loi et les avantages des mesures que je me propose de soumettre à sa délibération.

>> Jetez les yeux sur la bizarre composition de cette première troupe d'aventuriers, grossie depuis par des insensés : voyez leurs chefs, cherchant vainement à donner quelque substance aux rêves de l'orgueil et quelque éclat à leur chimère, annonçant chaque jour de grandes entreprises pour le lendemain, arrachant de leurs foyers les victimes d'une aveugle crédulité leur présenter définitivement pour tout gage de succès cette déclaration conditionnelle qu'a fait évanouir pour jamais la conduite sage et ferme de l'Assemblée nationale constituante! (Applaudissemens.)

»Voyez les soldats de cette croisade disséminée sur une étendue immense, dans des villes où le spectacle de leur dépit et de leur misère accélère plus qu'on ne pense le développement

de l'esprit de liberté, et prépare un juste salaire aux hôtes imprudens qui leur ont offert un asile! (Applaudissemens.)

» Si je calcule leurs moyens propres je ne trouve pas une troupe de cinq cents hommes rassemblée: point d'armes, point de munitions de guerre, point d'ensemble, l'horrible jalousie semant entre eux ses poisons, voilà l'état de cette formidable armée, dont une partie déplore son sort, et, s'immolant au plus cruel des préjugés, goûte les fruits amers de l'inégalité, et trouve sa ruine dans les principes mêmes qu'elle voudrait faire triompher!

>> Ici au contraire le corps politique est constitué; l'organisation sociale est terminée; la Constitution existe par ellemême; les pouvoirs constitués suffisent à sa conservation : quelles que soient encore les résistances individuelles, il n'en doit plus exister à nos yeux qui ne rencontre une loi répressive, et ne cède à son effort. Pour mettre en mouvement le système constitutionnel il a fallu sans doute, par des moyens hors de la loi, écarter les obstacles qui s'opposaient à son établissement; mais aujourd'hui elle se suffit, et le corps politique est pour jamais livré à ses oscillations, puisque toutes les forces sont disposées de manière à contribuer à l'équilibre général, à produire et régulariser le mouvement.

[ocr errors]

Quand on faisait la Constitution, quand l'ouvrage était incomplet, et que les moyens qui résultent de son ensemble ne pouvaient exercer encore leur influence et leur activité, il pouvait être nécesaire de la défendre et d'en protéger l'achèvement par des moyens pris hors d'elle-même; alors les mesures sur les émigrations, les comités des recherches, les fonctions exécutives, souvent exercées par le corps législatif, étaient des irrégularités justifiées par un concours unique de circonstances, el autorisées par les pouvoirs illimités du corps constituant. mais, lorsque la Constitution est achevée, c'est en l'exécutant qu'il faut la défendre (applaudissemens); c'est dans son sein qu'il faut chercher des moyens plus certains et plus féconds d'opérer le bien de la patrie: malheur à nous si la Constitution n'a pas en elle-même assez de de moyens et d'énergie pour assurer la nation contre le délire passager de quelques individus!

[ocr errors]
[ocr errors]

» Non, il n'est plus vrai de dire que la Constitution puisse

VIII.

12

« PreviousContinue »