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vous ne pouvez pas punir ces derniers, qui n'agissent que par instigation, lorsque vous tolérez les auteurs publics de ces instigations!

» Les tyrans qui ont à repousser ce qu'ils appellent des révoltes sont bien plus habiles que les peuples libres dans l'art de les étouffer à leur naissance: ils ne s'acharnent pas contre les subalternes ; ils punissent les chefs, et pardonnent à la tourbe.

» Quand Philippe II voulut éteindre l'insurrection qui a rendu la liberté à une partie des Pays-Bas il respecta le sang des particuliers: Egmont et Horne montèrent seuls sur l'échafaud; Maurice échappa ; et c'était la tête de Maurice que le sanguinaire d'Albe ne cessa de poursuivre.

Quand Joseph II voulut apaiser la trop juste révolte des Valaques il mit à prix la tête d'Horiah: cet infortumé périt, et les Valaques rentrèrent sous le joug.

» Les insurrections, les révoltes ne prennent de consistance que par les chefs: arrêtez, détruisez les chefs, et la révolte s'éteint; voilà la maxime du despote.

» Je ne dis pas à un peuple libre de suivre en tout cette maxime sanguinaire; mais il faut en prendre la base, c'est à dire il faut séparer les chefs de leur meute armée; il faut déployer contre les premiers une sévérité qui doit toujours diminuer à mesure qu'on descend vers les classes inférieures : par là on divise d'intérêt les révoltés, on isole les chefs, on effraie leurs complices, et tout rentre dans l'ordre.

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» Hé bien, on a précisément suivi jusqu'à présent le contrede cette politique; et l'on est tout étonné de l'insuffisance des lois sur l'émigration! Le défaut est dans la loi même : elle n'a pas été respectée par les émigrans parce que les complaisances pour les chefs leur ont fait espérer des ménagemens pour eux-mêmes; elle n'a pas été très ponctuellement exécutée par les patriotes parce qu'un mouvement secret de leur couscience,réclamant contre l'injustice de la loi, leur a dit : Pourquoi serais-tu plus sévère pour de simples citoyens lorsqu'on ne l'est pas pour des chefs bien plus coupables qu'eux?

» On a sans cesse amusé les patriotes avec ces lois sur les émigrations; on calmait leurs cris par ce vain palliatif; et

voilà pourquoi les patriotes éclairés, indépendamment d'un autre motif philosophique que je vous expliquerai dans un instant, s'élevaient eux-mêmes contre ces lois très inutiles; voilà pourquoi vous avez vu les partisans mêmes de la cour et du ministère les solliciter eux-mêmes : ils se popularisaient ainsi aux dépens du peuple même qu'ils jouaient : voilà pourquoi vous avez vu un orateur célèbre par son éloquence, dans un temps où le patriotisme le comptait parmi ses défenseurs, réclamer dans un beau mouvement contre la loi des émigrations, tandis qu'il voulait une loi spéciale contre les chefs: il parlait en philosophe; mais comme politique, comme initié dans les mystères diplomatiques, comme appartenant lui-même à la caste privilégiée, il taisait le vrai mot de l'énigme, on ne persécute point safamille, et surtout lorsque le succès d'une révolution est douteux. S'il eût existé une assemblée toute plébéienne on ne parlerait pas aujourd'hui de Coblentz ni de Worms. (Applaudissemens.)

» Cette cause n'existe plus aujourd'hui ; nous ne devons donc point redouter la même mollesse. Eh! qu'attendrez-vous pour prendre une détermination vigoureuse ? Que les princes se corrigent et rentrent dans le devoir ? Trois années de vie errante et mendiante, trois années de défaites et de conspirations avortées, trois années marquées par une adhésion constante du peuple français à la révolution ne les ont point corrigés, n'ont point fait tomber le prestige qui les aveugle : leur cœur est endurci dès leur naissance; ils se croient et se croiront toujours les souverains nés du peuple, et chercheront toujours à le ramener au joug. Attendrez-vous de nouvelles preuves de leur haine pour la Constitution et l'égalité, qui en est la base ? N'ont-ils pas assez accumulé de protestations et d'écrits scandaleux? La dernière protestation contre l'acceptation du roi, que leur persévérance dans la révolte autorise à leur attribuer, ne met-elle pas le comble à leurs crimes? Tant d'armemens, tant de préparatifs, les bords du Rhin et les villes des Pays-Bas couverts de fugitifs armés et menaçans, et cent autres faits ne déposent-ils contre leurs desseins hostiles? Ces desseins ne sont-ils pas écrits dans ces émigrations qu'ils commandent de leurs repaires, qui se multiplient précisé

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ment au moment où le roi accepte la Constitution? Ignorezvous que c'est un article de foi parmi les émigrans qu'un noble ne peut plus rester en France sans être déshonoré au delà du Rhin; qu'on menace de dépouiller de la noblesse ceux qui ne se joindront pas aux révoltés?... Et l'on mettrait encore en problème s'il existe une révolte, s'il faut punir les chefs de la révolte Exigerez-vous des preuves judiciaires de tous ces fails. pour poursuivre les princes? Il faudrait donc démentir la France, l'Europe entière; il faudrait, pour l'amour des formes judiciaires, se résoudre à voir consumer par les flammes nos plus belles provinces avant que de punir!

» C'est en observant trop rigoureusement ces formes que les peuples qui se régénèrent perdent le fruit de leur liberté : la mollesse envers les grands coupables encourage et prépare de nouvelles révolutions.

>> Voulez-vous les prévenir? Ce n'est pas en faisant des lois trop minutieuses sur les émigrations; c'est en punissant les chefs des rebelles; c'est au-delà du Rhin qu'il faut frapper, et non pas en France; une bonne loi sur les émigrations est dans une loi sévère et contre les chefs et contre les traîtres du second ordre.

» Ou ces chefs effrayés rentreront enfin dans le devoir, ou ils résisteront, s'ils cèdent la tourbe les suivra bientôt et rentrera paisiblement dans ses foyers.

>>>S'ils résistent, si vous avez le courage de déclarer crime contre la nation tout paiement qui leur serait fait de leurs traitemens, de confisquer leurs biens, d'ordonner qu'on leur fasse leur procès, alors, n'en doutez pas, ils seront bientôt délaissés par leurs courtisans, réduits à la misère et à traîner une vie obscure et errante dans les pays étrangers.

» C'était ainsi, c'était par des mesures aussi rigoureuses que les hommes intrépides qui voulurent dans le siècle dernier affranchir l'Angleterre du despotisme parvinrent à empêcher Charles II de traverser la cause de la liberté : ils ne s'amusèrent pas à faire de petites lois sur les émigrations; mais ils ordonnèrent aux princes étrangers de chasser de leurs états les princes ennemis de leur liberté ; ils les menacèrent de leur vengeance, et le fier Louis XIV était forcé d'expulser lui-même son parent. Charles II, vivant misérablement sur la modique et

clandestine aumône de la France, sur les quêtes faites parmi les serviteurs des Stuarts, était hors d'état de soutenir un parti. Nos ennemis auront le sort de Charles II; ils l'auront constamment, car il n'existera pas de Cromwell pour nous; ils cesseront de nous causer des inquiétudes aussitôt que nous prendrons des mesures énergiques pour leur ôter partout et le feu et le lieu. On avait senti dans la précédente Assemblée la nécessité de déployer cette sévérité; mais d'abord on se borna au ci-devant prince de Condé (1); première faute : on en suspendit ensuite l'effet sur je ne sais quelles considérations d'état ; seconde faute, plus grave encore, car la liberté ne se perd que par des pas rétrogrades, que par ce mystère qui cache la faiblesse ou la complicité. (Applaudissemens.)

Les chefs des rebelles s'aperçurent bientôt que toutes ces lois n'étaient qu'un jeu, que la terreur ou la complaisance dirigeaient le comité diplomatique, et qu'ils pouvaient être criminels impunément: la même idée s'empara de tous les mécontens, et c'est dans cette mollesse que vous trouverez la cause la plus active des prodigieuses émigrations qui vous affligent.

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Ces étranges considérations d'état, qui ont toujours été couvertes du mystère pour le public, n'auraient-elles pas été de simples considérations de famille? Si cela était la cause de la suspension serait une trahison envers l'Etat même, car le roi. d'un peuple libre n'a point de famille, ou plutôt sa première famille est le peuple entier. (Applaudissemens.)

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Craignait-on de frapper un si grand coup? Craignait-on que la France ne fût pas en état de soutenir la confiscation des biens du ci-devant prince de Condé, ne fût pas assez forte pour le repousser s'il attaquait? Ah, messieurs! dans un siècle, daus une révolution ou la France était divisée en plusieurs partis, où le pouvoir des Condé était immense, où ce pouvoir était soutenu par les talens du prince qui portait ce nom et la nombreuse suite de ses partisans, Mazarin eut le courage de faire arrêter, d'embastiller les princes de Condé et de Conti..... Et ce qu'un prêtre astucieux, aussi petit dans ses vues que dans ses

(1) Le décret concernant le prince de Condé est du 11 juin 1791 (voyez tome VII, page 241, à la note); mais il avait été annulé par l'amnistic du 14 septembre suivant (voyez tome V, page 80 ),

moyens, entouré d'ennemis puissans, haï et méprisé de la nation entière; ce que ce prêtre, qui n'avait pour lui qu'une femme aveuglée, n'a pas craint d'exécuter, les représentans d'une grande nation, d'une nation qui n'a qu'un sentiment, qu'une âme, que la haine du despotisme, qui réunit à des forces puissantes un concert plus puissant encore; ces représentans auraient redouté un prince qui, à un profond dénuement de toute espèce de moyens, ne joint qu'une réputation honteuse de courtisan, que des hauteurs ridicules! Si de pareilles craintes ont agité les dépositaires de nos droits ils n'étaient pas, je dois le dire, à la hauteur de la révolution. Vous devez vous y élever, messieurs; vous devez faire respecter la Constitution par les rebelles, et surtout par leurs chefs, ou bien elle tombera par le mépris le néant est là; il attend ou la noblesse ou la Constitution; choisissez : ce décret va vous juger. (Applaudissemens.) Ils vous croient timides, effrayés par l'idée de frapper sur des individus que la précédente Assemblée a épargnés : qu'ils apprennent enfin que vous avez le secret de votre force, et que si l'Assemblée précédente, au milieu des embarras inséparables d'une Constitution nouvelle, a cru devoir se permettre des pardons trop faciles pour des révoltés opiniâtres, ces pardons deviendraient aujourd'hui des crimes et une trahison envers le peuple! La Constitution est achevée; nous avons tous juré de la maintenir : les chefs des rebelles doivent donc aussi s'agenouiller devant elle, ou ils doivent être à jamais proscrits. Tout milieu serait un parjure, toute mollesse un crime, car vous avez juré la Constitution ou la mort. (Applaudissémens.)

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Craindriez-vous d'être imprudens en frappant ce coup! C'est le prudence même qui vous l'ordonne: tous vos maux, toutes les calamités qui désolent la France, l'anarchie que sèment sans cesse des mécontens, la disparition de votre numéraire, la continuité des émigrations, tout part du foyer de rébellion établi dans le Brabant, et dirigé par les princes français éteignez ce foyer en poursuivant ceux qui le fomentent, en vous attachant opiniâtrément à eux, à eux seuls, et les calamités disparaîtront.

» Continuez à respecter et ce foyer et les princes, et vos malheurs ne feront qu'augmenter. Voulez-vous, par exemple,

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