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En effet, l'Assemblée législative, souvent jugée avec sévérité, avec passion même, est justifiée par la force des choses. Dans l'Assemblée constituante on admire, on doit admirer le génie, la grandeur, la force dans les volontés, la persistance dans les intentions : mais ne légua-t-elle pas à la législature l'invincible désavantage de la position, obstacle insurmontable qui naissait de la qualité de pouvoir constitué? L'une était libre dans ses conceptions, l'autre est bornée dans ses travaux : l'une frappe ou absout selon qu'elle le juge utile, et sans crainte de censure; l'autre atteint les rebelles, et le veto les sauve; le pouvoir constituant avait fait trembler la cour, que d'un mot il pouvait dissoudre; ses membres y étaient accueillis avec respect: au contraire, les députés à la législa– ture chargés de présenter les décrets à la sanction ne reçoivent aux Tuileries que le mépris et l'insulte: sous la première Assemblée l'espoir de posséder une Constitution était plus que la Constitution même ; sous la seconde cette Constitution ressemble à un édifice que chacun admirerait, mais dans lequel personne ne voudrait entrer l'une, soutenue d'abord par l'opinion, ensuite par la force, avait pu commander aux événemens; privée des moyens de les maîtriser, l'autre est contrainte de se laisser entraîner par eux : l'une enfin avait fait d'un trône despotique un trône constitutionnel; chargée de maintenir la métamorphose, l'autre l'essaya vainement; un trône ébranlé peut-il jamais se raffermir? Le nouvel ordre de choses réclamait des hommes nouveaux. S'il eût été possible à l'Assemblée constituante de donner à la France, avec sa belle Constitution, une nouvelle dynastie; là peut-être se serait terminée la révolution.

Disons pour terminer que la seconde Assemblée eût compté autant que l'autre des hommes d'état et de grands législateurs si elle eût pu prétendre aux mêmes titres de gloire, si elle eûtpu comme elle déployer le génie de la création : mais quand les partis l'agitent; quand la foule de hommes nuls ou hypocrites sème la défaveur sur ses pas ; quand la cour s'arme contre elle des mépris, du mensonge et de l'intrigue, de sa liste civile et de la corruption; quand des prêtres factieux

portent dans les départemens les torches du fanatisme; quand des rebelles émigrés tarissent dans l'intérieur les sources de confiance etderichesses, et appellent du dehors tous les fléaux sur leur patrie; quand les puissances, conjurées à leurs prières, menacent la France d'un envahissement; quand tout annonce la ruine, l'Assemblée législative ne désespère pas du courage national; elle se refuse à toute transaction honteuse; elle décrète la guerre ! Et si quelques revers inévitables suivent e! cette grande décision, l'injustice seule peut l'en rendre responsable; reconnaissons plutôt qu'elle a sauvé la France du réasservissement, et donné le signal de triomphes immortels!

On citera les orateurs de l'Assemblée constituante ;' on nommera l'immense Mirabeau; mais Mirabeau fut l'homme unique : les Thouret, les Barnavé et les Duport, les Lameth, les Beaumetz et les Chapelier, les Cazalès et les Maury ont-ils donc laissé veuve la tribune nationale en la cédant à Vergniaud, Guadet et Gensonné, à Brissot et à Isnard, aux Pastoret, aux Vaublanc, à Condorcet enfin; eux aussi ils vont lancer les foudres de l'éloquence!

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Ouverture.

TABLEAU DES PREMIÈRES SÉANCES.

Prestation du serment. Hommage rendu à la
Constitution et à ses auteurs.

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1. Octobre 1791. Il est dix heures ; le peuple remplit les tribunes, impatient d'accueillir et d'encourager les nou

(1) L'ère de la liberté prit naissance sur les ruines de la Bastille; le patriotisme l'adopta. Cépendant l'ère vulgaire continuait d'être seule

des moyens d'influence qu'elle lui avait d'abord refusés. (Tome VI.) Par là, sans pouvoir jamais attiédir la haine implacable des hommes de l'ancien régime, que ses premiers travaux lui avaient si bien méritée, cette Assemblée augmenta encore les inquiétudes et le mécontentement des patriotes ardens.

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Elle se sépare enfin ; elle emporte l'amour et la reconnaissance de ce grand nombre de Français paisibles qui sentent mieux le besoin de la gratitude qu'ils ne savent apprécier les moyens de jouir du bienfait reçu: mais sa Constitution, qui est monarchique, en même temps qu'elle reste l'objet continuel des sourdes attaques de l'aristocratie, devient immédiatement et nécessairement l'héritage des démocrates. Ils étaient partout; ils triomphent aussitôt que le colosse a disparu.

On se rappelle qu'à l'époque du retour du roi une scission s'était opérée dans la société des Amis de la Constitution siégeant aux Jacobins, elle avait donné naissance à la société des Amis de la Constitution siégeant aux Feuillans, société composée de monarchiens et de monarchistes, et qui n'obtint que des demi-succès dans sa rivalité avec l'autre. (Voyez tome V, page 96.) La société des Jacobins, servie dans tous les départemens, dans presque toutes les villes par des sociétés qui lui étaient affiliées, exerça une grande influence sur les élections à la législature; elle y porta ses membres les plus distingués : les Feuillans, ne se comptant que dans la minorité, se virent réduits à combattre aveec leur seule épigraphe, la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution; mais déjà les Jacobins en risquaient une à laquelle le peuple souriait, la république, toute la république, rien que la république. On en était au point que se dire constitutionnel c'était presque se dire aristocrate. Tous les prestiges détruits, on n'avait pas conservé assez de calme pour voir les choses telles qu'elles sont : l'idée de la royauté, justement appréciés par l'Assemblée constituante, avait fini par devenir insupportable; la cour des Tuileries était l'objet d'un mépris général; on traitaitles ministres comme les stipendiés du pouvoirexécutif, et ce pouvoir comme un ennemi. Enfin l'extrême gauche de l'Assemblée constituante se consolait de ses défaites par les

honneurs rendus à ses chefs; Robespierre venait d'être portéen triomphe, et l'on désignait Pétion pour la première magistrature de la capitale (1), tandis que les clubs applaudissaient au vou (2) d'enlever de la grande salle de l'Hôtel de Ville les bustes de Bailly et de Lafayette, que la reconnaissance publique y avait placés aux premiers jours de la liberté.

C'est sous ces auspices que la France vit se réunir ses députés à l'Assemblée législative; et voici sous quel aspect se présentent les membres composant la majorité de cette Assemblée.

Ils paraissent; déjà on les a devinés; leur seul maintien semble dire: ce qui est ne peut rester ; nous ferons mieux ! On applaudit leurs aînés, présens à la séance d'ouverture : ils se croient insultés. Un hommage solennel est offert aux auteurs de la Constitution : ils le contestent. Le roi va paraî— tre au milieu d'eux : ils ne peuvent sans effroi mesurer le reste de grandeur que la Constitution lui laisse. Les représentans du peuple, les délégués du souverain doivent-ils reconnaître une autre majesté que celle de la nation? Quand des législateurs s'honorent du titre de citoyen doivent-ils appeler sire le mandataire chargé de l'exécution des lois ?... (Voyez plus loin, page 24.) Cependant c'est par la Constitution qu'ils existent : elle reçoit leur serment, et, comme s'il était dans la marche de l'esprit humain d'offrir des contradictions, ce serment est prêté avec franchise, réitéré avec enthousiasme : les esprits cédaient alors à tant d'impulsions diverses, tant de mouvemens étaient reçus, augmentés, diminués ou perdus! C'est ici que l'on l'on peut dire que chaque diversité est uniformité, chaque changement estconstance.

(i) Pétion fut nommé maire de Paris le 16 novembre 1791; sur dix mille six cent trente-deux votans, six mille sept cent huit se prononcèrent en sa faveur : Lafayette eut trois mille cent vingt-six voix. Bailly avait fait accepter sa démission depuis trois mois environ, sous le prétexte « d'une santé délicate, encore affaiblie par de grands travaux littéraires et par l'agitation des affaires publiques.

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(2) Ce vou, longtemps nourri, fat enfin converti en une proposition directe, faite au conseil général de la commune dans sa séance du 24 mars 1792; le conseil la rejeta, mais à une faible majorité.

veaux dépositaires de ses droits. D'honorables citoyens, qui la veille encore étaient membres de l'Assemblée constituante, viennent se perdre dans la foule : mais le peuple les a vus, ils ne peuvent se dérober à sa juste reconnaissance. A ces applaudissemens succèdent ceux que provoquent la confiance et l'espoir; les citoyens députés à l'Assemblée législative ont paru; ils occupent le sanctuaire des volontés nationales.

M. Camus, ex-membre de l'Assemblée constituante, avait été nommé par elle archiviste des législatures: en cette qualité il se présente au bureau ; il donne lecture du décret de

employée sur la plupart des actes et papiers publics; les procès verbaux mêmes de l'Assemblée constituante ne portaient que l'ancien style: le jour de la première Fédération (1790), anniversaire du 14 juillet, on lut pour la première fois en tête du Moniteur: seconde année de la liberté. L'usage de la nouvelle ère, dès lors plus fréquent, se répandit encore davantage lorsqu'il fut adopté par l'Assemblée législative, dont le premier procès verbal joint au vieux style l'ère de la liberté. Toutefois il n'était pas devenu général, aucune loi ne le prescrivant : l'Assemblée législative la consacra enfin par un décret, qui fait remonter à six mois plus haut la naissance de la liberté.

Le 2 janvier 1792, à la lecture du procès verbal, une discussion s'élève sur la rédaction de sa date, qui porte quatrième année de la liberté; on fait observer qué la troisième année ne sera révolue qu'au 14 juillet. MM. Dorizy et Ramond demandent qu'on fasse commencer l'ère de la liberté au 1er janvier 1789, « parce que, disent-ils, dès les » premiers jours de janvier les Français avaient rédigé leurs cahiers, » avaient obtenu pour ce qu'on appelait alors tiers-état la double >> représentation; parce qu'ils avaient déjà donné des preuves de cette » énergie et de cet ardent amour pour la liberté qui les a depuis carac» térisés, et principalement parce que les merveilles opérées pendant >> les six derniers mois de 1789 peuvent bien les faire regarder comme une » année entière. » —M. Rouyer oppose « que le 14 juillet est le jour où >> nos fers ont réellement été brisés, et qu'il doit par conséquent commen>> cer l'ère de notre liberté; que l'on risque en adoptant un autre jour » d'affaiblir le souvenir de la victoire que les Français remportèrent » alors sur le despotisme. » (Expressions du procès-verbal. )

L'Assemblée adopte la proposition de M. Ramond; elle décrète « que l'ère de la liberté commence au premier janvier 1789, et que » tous les actes publics porteront à l'avenir, immédiatement après la » date de l'ère vulgaire, celle de notre liberté. »

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