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» Ouvrez l'histoire; demandez-lui ce qu'il en coûte aux peuples pour devenir libres. Voyez l'Angleterre, déchirée cinquante ans par des guerres pour obtenir ce fantôme de liberté dont elle se glorifie! Voyez la Hollande, que des flots de sang ont inondée pour secouer la tyrannie de Philippe II! Quand de nos jours le courageux Philadelphien a voulu déclarer son indépendance n'avez-vous pas vu le feu de la guerre s'allumer dans les deux mondes? Jetez les yeux sur les provinces belgiques; que de troubles, que de combats, que de vains efforts pour repousser la tyrannie d'un despote! Et vous croiriez que la révolution française, la plus étonnante qu'ait éclairée le soleil; révolution qui tout à coup arrache au despotisme son sceptre de fer, à l'aristocratie ses verges, à la théocratie ses mines d'or; qui déracine le chêne féodal, foudroie le cyprès parlementaire, désarme l'intolérance, déchire le froc, renversé le piedestal de la noblesse, brise le talisman de la superstition, étouffe la chicane, détruit la fiscalité; révolution (grands applaudissemens) qui va peut-être émouvoir tous les peuples, forcer peut-être toutes le couronnes à fléchir devant les lois, et verser le bonheur dans le monde entier ; vous croyez, dis-je, qu'une révolution pareille s'opérera paisiblement sans que l'on tente de nouveau de la faire avorter!... Non. Ii faut un dénouement à la révolution française! (Applaudissemens.).

» Or, messieurs, puisqu'il n'est que trop à craindre que ce dénouement arrive, je dis que, sans le provoquer, nous devons marcher vers lui avec courage, et, s'il doit avoir lieu, le faire effectuer sans retard, parce que plus vous tarderez, plus votre triomphe sera, je ne dis pas douteux, le triomphe de la liberté ne saurait jamais l'être, mais pénible et arrosé de sang; et je le prouve. (Applaudissemens; quelques murmures.) Ne voyez-vous pas, messieurs, que puisque les contre-révolutionnaires du dedans et du dehors, qui tiennent tous à la même racine, car tout cela ne fait qu'une même milice; que les contre-révolutionnaires du dedans et du dehors veulent vous forcer à les vaincre';'il vaut beaucoup mieux avoir à les combattre dans ce moment, où les citoyens sont encore en haleine, où le souvenir de leurs dan

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gers, de leurs triomphes, de leurs sermens agite encore leurs cœurs où ils éprouvent cette énergie, cette union fraternelle qui accompagnent les premiers instans de la liberté, que vous laissez le temps à l'enthousiasme de se refroidir, aux liens civiques de se relâcher, à la misère de se faire mieux sentir, et à vos adversaires de semer de nouvelles discordes L'expérience prouve ce que j'avance n'est-il pas vrai que nous ne sommes déjà plus ce que nous étions la première année de notre liberté ?..... ( Grande agitation dans l'Assemblée; des membres applaudissent, d'autres murmurent; ceux-ci réclament la liberté d'opinion; ceux-là veulent que l'orateur soit rappelé à l'ordre pour avoir insulié au patriotisme de l'Assemblée; quelques voix opinent pour qu'il soit conduit à l'Abbaye: le président consulte l'Assem blée; il déclare que la parole est maintenue à M. Isnard, qui reprend ainsi après une longue interruption :)

» Messieurs, s'il est dans cette Assemblée des personnes que l'austérité de ines principes et la vérité de mes opinions importunent, qu'elles sachent que ce n'est pas avec du bruit qu'on m'en impose, et que plus on en fera, plus je ferai retentir à leurs oreilles la voix de la liberté dans toute sa force et son énergie... (Applaudissemens réitérées. )

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Si à cette époque de la naissance de notre liberté le fanatisme avait osé lever sa tête impie la loi l'aurait aussitôt immolé; tandis qu'à présent ce parti semble s'enorgueillir de sa force, et qu'en effet il gagne chaque jour quelque peu de terrein : ce qui devait être, parce que l'aristocratie machine sans cesse, tandis que le patriotisme se repose sur sa bonne cause; chaque jour le nouvel ordre de choses augmente de quelque peu le nombre des mécontenset la rage de l'aristocratie (vifsapplaudissemens), tandis que chaque jour le citoyen patriote se refroidit, parce que ses affaires particulières, auxquelles il est naturellement ramené, le détachent en quelque sorte de la chose publique mais i serait bientôt en état de faire sa seule affaire de cette chose publique! Ainsi qu'on ne se trompe pas sur ses véritables sentimens... Il est donc de la politique de ne pas tarder à décider la victoire; et vous ne pouvez mieux y réussir qu'en provoquant

suivant la loi des arrêts de mort (1) contre les grands coupables, parce qu'alors ou ils rentreront dans le devoir par la crainte, ou vous les soumettrez par le glaive; ou, s'ils sont assez forts pour vous livrer bataille, vous les écraserez par des victoires! (Applaudissemens. ) Et ces victoires, messieurs, ces victoires sont certaines; car le civisme du peuple n'est pas étein, il n'est que refoidi, messieurs, et vous pouvez le ranimer par votre courage, et c'est de ce courage que tout dépend!

» Dans les grandes affaires où il n'y a qu'un parti à prendre, comme le disait un orateur américain, trop de circonspection cesse d'être prudence; c'est faiblesse; tout ce qui est extrême veut une résolution extrême; alors les démarches les plus courageuses sont les plus sages, et l'excès de la fermeté même devient le moyen et le garant du succès.

C'est surtout à l'occasion des révoltes qu'il faut être tranchant, et les éteindre au moment qu'elles naissent: lorsqu'on 'est bien attentif à punir les premiers fauteurs des troubles publics on arrête facilement le désordre; mais si on laisse aux révoltés le temps de s'assembler et de se multiplier alors la rébellion devient impunissable, et se répand dans l'empire comme un torrent que rien ne peut arrêter.

>> Les despotes ne connaissent que trop ces maximes, et c'est en les suivant qu'un seul individu en retient des millions dans les fers heureusement Louis XVI n'y pas employé de semblables moyens à l'époque de la première résistance des parlemens; sans cela nous ne serions pas ici, et la nation serait en faillite et sous le joug. L'exercice de cette rigueur est un grand forfait lorsque c'est le despotisme qui s'en sert pour perpétuer la tyrannie; mais lorsque c'est le vrai souverain, lorsque c'est le corps entier d'une nation qui s'en sert pour conserver sa liberté et punir les vrais coupables alors c'est un grand acte de justice, et les législateurs qui ne l'emploient pas commettent eux-mêmes un grand délit social, car en fait de liberté publique pardonner lecrime c'est presque le partager.(Applaudissemens.) >> Messieurs, une pareille rigueur, je dis ceci avec le cœur

(1) Voyez plus loin la discussion et le décret sur les émigrans.

déchiré, une pareille rigueur fera peut-être couler du sang, je le sais; mais si vous ne la déployez pas il en coûtera bien davantage! La guerre civile, dont nous voyons les symptômes trop caractérisés, est une gangrène qui attaquerait le corps politique; il faut couper les chairs gangrenées pour sauver le reste du corps; et si vous ne voulez pas prendre cette précaution vous augmenterez les ravages de la maladie et vous compromettrez la puissance représentative, la souveraineté du peuple; et voici pourquoi.

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Lorsqu'on veut vous porter à l'indulgence c'est un grand 'piége qu'on vous tend, car si vous adoptiez ce système vous vous trouveriez tout à coup abandonnés de la plus grande partic de la nation, et quand il n'y aura plus de rapports entre vous et la nation là commence l'anarchie; et c'est là où l'on veut vous conduire. Le parti des prêtres non assermentés, qui est extrêmement lié à celui de l'aristocratie, qui est le même, ne vous haïra pas moins, quoi que vous fassiez pour lui; et le parti des prêtres qui ont prêté le serment, auquel se trouvent naturellement joints tous les bons patriotes, ce qui suppose les trois quarts ou plutôt les cinq sixièmes de la nation, indignés de se voir abandonnés par vous à la rage de leurs ennemis, devien• dront peut-être les vôtres. Vous serez alors des chefs sans pouvoir; il n'y aura plus de rapports intimes entre la tête et les bras du corps politique; ceux-ci agiront peut-être sans que celle-là commande, et alors commence une anarchie dont personne ne peut plus calculer les désordres, qui acheverait peutétre par là le triomphe du patriotisme, et dont vous seriez les premières victimes, parce que vous vous trouveriez en butte à tous les coups! (Applaudissemens. )

» Messieurs, en tout temps, et surtout au commencement d'une révolution, il faut nécessairement que le corps législatif soit étayé du corps de la nation s'il veut résister aux attaques qui se préparent; et vous ne pouvez vous attacher le corps de la nation qu'en châtiant avec justice, mais avec sévérité, les fanatiques et tous les factieux: je dis tous les factieux, car pe croyez pas que ce ne soit qu'aux tyrans et aux fanatiques que je déclare ici la guerre; messieurs, voici ma profession de foi: j'en veux à tous les factieux; je suis déterminé à les combattre

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tous : le loi, voilà mon Dieu; je n'en connais point d'autre (1); le bien public, voilà ce qui m'intéresse, voilà ce qui m'embrase. (Applaudissemens.)

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Déjà vous avez fait pour les émigrans ce que vous deviez faire; encore un décret vigoureux contre les prêtres perturbateurs, et vous avez conquis la confiance publique. (Applaudissemens.) Une fois, messieurs, cette confiance acquise, vous êtes placés derrière un rempart inébranlable, vous disposez de dix millions de bras, vous acquérez cette force, cette puissance irrésistible avec laquelle vos prédécesseurs ont pu tout détruire et tout créer, avec laquelle vous pouvez tout, et sans laquelle vous n'êtes rien ! (Applaudissemens.)

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» Messieurs, je n'ai point fait de projet; je croyais que nous discuterions le projet du comité, que je ne pouvais deviner être aussi nul et aussi insignifiant.... (Applaudissemens.) Mais, messsieurs, mes moyens les voici : c'est d'abord d'assujétir tout Français, je ne parle point des prêtres seulement, au serment civique, et de décider que tout homme qui ne voudra pas prêter le serment civique, comme il est clair d'après ce refus qu'il ne veut pas signer le contrat social des Français, que cet être-là ne jouira plus d'aucune pension ni fonction : à cet homme-là, en saine politique et en justice exacte, vous

(1) M. Isnard, à qui quelques personnes avaient fait un crime de cette phrase, l'explique ainsi dans une lettre adressée aux journaux du temps:

<< Une expression figurée dont je me suis servi à la tribune natio >> nale dans un moment où j'improvisais avec chaleur m'a fait soupçon»ner d'athéisme. J'ai dit : ne croyez pas que ce ne soit qu'aux tyrans et » aux fanatiques que je déclare la guerre; j'en veux à tous les fac» tieux : la loi, voilà mon Dieu; je n'en connais point d'autre.

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» Aurais-je pu croire qu'il existât un seul homme qui ne s'aperçût » pas que ce mot Dieu était employé dans cette phrase au figuré? » Sans doute la loi est une divinité pour moi; mais c'est dans l'ordre >>> politique et comme citoyen.

» Il est tout à fait absurde de penser qu'en rendant cet hommage à » la loi, et surtout dans un moment où je parlais avec tout le feu du » patriotisme, j'aie voulu nier l'existence de l'Etre suprême. J'ai contemplé la nature; je ne suis point insensé je dois donc croire à >> Dieu. »

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