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courir directement à la nomination de leur pasteur : c'est précisément pour l'exercice de ces sortes de fonctions qu'il est à désirer que le sujet élu obtienne une confiance individuelle ; et soyez convaincus, messieurs, que si les remplacemens se fussent effectués de cette manière on n'eût pas trouvé autant de facilité à irriter le peuple des campagnes contre le pasteur qu'il se serait choisi.

» C'est à ces vues que je crois devoir borner les mesures que vous devez prendre pour tarir les sources de nos troubles religieux. Il suffit de remonter aux premières causes de ce désordre pour en apercevoir le remède : écartez l'intolérance et l'esprit de persécution, réprimez par des peines sévères, mais justes, et légalement appliquées, les manoeuvres des séditieux, et la paix se rétablira d'elle-même : attachez-vous fortement aux principes, élevez-vous au-dessus de tous les préjugés. Cette grande question a déjà fixé sur vous l'attention générale; la détermination que vous allez prendre donnera à la France, à l'Europe entière votre véritable mesure : offrez-lui l'exemple de la force qui se modère; rappelez-vous que le respect pour la liberté individuelle est le plus sûr moyen de conserver la liberté publique, et qu'on ne doit jamais cesser d'être juste, même envers ses ennemis. »

L'Assemblée avait prêté une attention soutenue au discours de M. Gensonné ; son projet de décret, rédigé dans les mêmes principes, excita le même intérêt ; plusieurs membres voulaient qu'on lui accordât la priorité, et que la discussion fût fermée; l'Assemblée se décida en effet à clore la discussion; mais elle se borna à ordonner le renvoi pur et simple de tous les projets à son comité de législation (1).

Cependant l'impunité enhardissait la coalition des prêtres, qui portaient leurs fureurs dans presque tous les départemens; chaque jour de nouveaux crimes étaient dénoncés à l'Assemblée le 6, par un décret formel, elle invita le comité à lui proposer sans délai des mesures que le salut

(1) Au commencement de la discussion les comités n'étaient pas encore formés.

VIII.

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public réclamait impérieusement. Les 12 et 14 novembre le comité lui soumit enfin un projet de décret : mais ce projet était plus qu'insuffisant; à peine eût-il été acceptable à la naissance des troubles; aussi fut-il unanimement rejeté : le rapporteur s'excusa sur le défaut de temps et sur la divergence des opinions qui partageaient le comité.

L'Assemblée ayant décrété qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur le projet du comité de législation, M. Isnard prit la parole sur le fond.

DISCOURS de M. Isnard. ( Séance du 14 novembre 1791. )

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Puisque la matière paraît encore neuve je demande à dire des choses qui n'ont point été dites. (Murmures; on'demande le renvoi au comité; l'Assemblée, consultée, décrète que M. Isnard sera entendu.)

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Messieurs, les ministres du culte troublent l'ordre public; pouvons-nou, devons-nous faire une loi pour réprimer ces délits, et quelle doit être cette loi? Voilà, je crois, le vrai point de la question. Beaucoup de bons esprits ont pensé que nous ne pouvions pas faire une loi directement contre les prêtres perturbateurs, et voici à cet effet leur argument dans toute sa force. De deux choses l'une, disent-ils; ou le prêtre est hérésiarque ou il est perturbateur: s'il n'est qu'hérésiarque vous ne pouvez pas faire de loi contre lui, parce que la liberté des cultes et des opinions est garantie par la Constitution; s'il est perturbateur il existe déjà des lois communes à tous les citoyens vous n'avez donc rien à décréter; il ne reste donc plus qu'à exécuter la loi..... Ce dílemme, je l'avoue, est très pressant, et c'est parce qu'on n'y a pas encore répondu que je vais tâcher d'en démontrer le vice.

Messieurs, je soutiens en principe fondamental que le prêtre perturbateur, c'est à dire tous les ministres de quelque culte que ce soit qui troublent l'ordre public, ne doivent point être classés parmi les perturbateurs ordinaires; et que la loi pour être juste doit punir d'autant plus sévèrement ces minisque leur ministère sacré leur donne de plus nombreux et de plus puissans moyens de séduire et d'égarer le peuple (Applaudissemens.) La religion doit être considérée dans ce

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moment-là comme un instrument avec lequel on peut faire infiniment plus de mal à la société qu'avec tout autre, et c'est à raison de cela que je soutiens que la loi doit être plus sévère contre tous ceux qui s'établissent pour intermédiaires entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes, parce que, comme dit Montesquieu, le prêtre a de si grandes menaces devers lui et de si grandes promesses!... Il prend l'homme au berceau et le conduit au tombeau; il n'est pas surprenant qu'il ait de si grands moyens de séduire le peuple, et c'est pour cela que vous devez le punir d'autant plus sévèrement lorsqu'il en abuse.

» Messieurs, ce principe posé, il en résulte que nous devons sévir contre tous ces ministres de Dieu qui sous prétexte da ciel troublent le repos des hommes.

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» A présent, messieurs, que j'ai tâché de prouver que nous sommes fondés en justice pour faire une loi, quelle doit être cette loi? Voilà le second point de la question.

» Je soutiens, messieurs, qu'il n'est qu'une peine vraiment appropriée à ce genre de délit, qu'il n'en est qu'une qui puisse faire cesser tous ces bruits et ces désordres ; c'est l'exil hors du royaume. (Vifs applaudissemens d'une partie de l'Assemblée et de toutes les tribunes publiques.) Messieurs, je soutiens qu'il n'y a que l'exil qui puisse obvier aux désordres auxquels nous voulons remédier; et en effet, messieurs, ne voyez-vous pas que ce n'est que par ce moyen que vous pouvez faire cesser l'influence dangereuse de cette sorte de coupables? Ne voyez-vous pas qu'il faut séparer le prêtre de ses prosélytes? Si j'osais me servir d'une expression triviale, je vous dirais que ce sont comme des pestiférés qu'il faut renvoyer dans les lazarets de Rome et de l'Italie.... (Applaudissemens et murmures.) Monsieur le président, je vous prie de maintenir la liberté d'opinion..... (Oui, oui! s'écrie-t-on.) Ne voyez-vous pas que si vous punissez les ministres de Dieu de toute autre manière, et que vous leur laissiez en les punissant la facilité de prêcher, de messer ( on rit), de confesser; si vous leur laissez, dis-je, cette liberté, et jouir de toutes les facultés que vous ne pourriez pas leur ôter d'après la liberté des cultes ; si vous les laissez dans le royaume ils vous feront beaucoup plus de mal punis qu'absous.

» Messieurs, trouverait-on cette mesure trop sévère ?

» Mais quoi vous avez donc oublié que tous les coins de la France sont souillés des crimes de cette caste? Vous êtes donc sourds aux cris douloureux de la patrie? Messieurs, vous devez punir tous ces perturbateurs, puisque de toute part on vous le demande. Ignorez-vous que le prêtre seul peut vous faire plus de mal que tous vos ennemis ensemble? Et cela doit être, messieurs, parce que le prêtre n'est jamais pervers à demi; lorsqu'il cesse d'être vertueux il devient le plus inique des hommes. (Applaudissemens des tribunes. }

» Mais, me dira-t-on, il ne faut pas persécuter le prêtre... Messieurs, je réponds que punir n'est pas persécuter je conviens avec tous ceux qui ont soutenu ce système, et avec M. l'abbé Maury, à qui je l'ai entendu soutenir ici, que rien n'est plus dangereux que de faire des martyrs; mais j'observe, messieurs, que le danger n'existe que lorsqu'on envoie au supplice des hommes vraiment saints ou des fanatiques égarés de bonne foi, qui croient voir dans l'échafaud les portes du paradis ouvertes.

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» Mais ici la circonstance est différente; car s'il existe des prêtres qui de bonne foi n'approuvent point votre Constitution ce ne sont pas ceux-là qui troublent l'ordre public: ceux qui cabalent contre la patrie et la Constitution sont des hypocrites avides, des hommes qui ne prêchent que la religion est perdue que parce qu'ils perdent leurs richesses acquises, ou l'espérance d'en acquérir; et des hommes pareils craignent beaucoup le châtiment, car si l'amour de l'or fait beaucoup de scélérats il ne fait pas de martyrs. (Applaudissemens.)

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Sans doute, messieurs, vous ne craindrez point en exilant les prêtres d'augmenter la force armée des émigrans, car chacun sait qu'en général le prêtre est aussi lâche que vindicatif .. (applaudissemens); qu'il ne connaît d'autre arme que celle de la superstition, et qu'accoutumé à combattre dans l'arène mystérieuse de la confession il est nul sur le champ de bataille.

» Toute voie de pacification est désormais inutile: je demande en effet ce qu'ont produit jusqu'ici tant de pardons réitérés Vos ennemis n'ont fait qu'augmenter leur audace

en proportion de votre indulgence. Il est temps de changer de système, et de mettre enfin en œuvre les moyens de rigueur. Eh! qu'on ne me dise pas que vouloir réduire le fanatisme sera redoubler sa force! Ce monstre, messieurs, n'est pas ce qu'il était autrefois; blessé déjà par la philosophie, il tombera bientôt sous vos coups, et l'univers entier applaudira à cette grande exécution parce qu'en tout temps, en tout lieu, les prêtres fanatiques sont le fléau des sociétés, les assassins de l'espèce humaine!... Toutes les pages de l'histoire sont tachées par leurs crimes; partout ils aveuglent un peuple crédule; ils effraient l'innocence par la crainte, et trop souvent ils vendent au crime le ciel, que Dieu n'accorde qu'à la vertu. (Applaudissemens réitérés.) Châtier avec ri ́gueur une pareille classe d'hommes c'est non seulement faire un grand acte de justice et venger l'humanité outragée; je dis, messieurs, que c'est encore faire un grand acte de politique; et ici je vous prie de m'accorder toute votre attention.

» Je sais que la première politique d'un peuple libre est d'être juste; mais c'est aussi parce que je vous ai prouvé que la justice se rencontrait dans la mesure que je vous propose que je vais l'envisager sous le rapport de la politique. Je ne vous parlerai point d'abord des foudres de Rome; chacun sait qu'elles viendront s'éteindre sur le bouclier de la liberté. ( Applaudissemens.) Une grande révolution s'est opérée en France; mais elle n'est pas encore terminée : la crise créatrice a fini; la crise conservatrice va commencer : l'horizon politique est trop nébuleux pour qu'il s'éclaircisse sans de nouveaux orages; ce serait bien peu connaître le cœur humain que de croire que les hommes oublient à ce point ce qu'ils appellent des outrages, et qu'ils sacrifient ainsi leurs plus chères idoles, l'intérêt et l'orgueil! On croit que les défaites qu'ont éprouvées nos ennemis les ont découragés... Mais les méchans ulcérés et impunis ne se lassent pas du crime! Ces hommes-là, messieurs, ces hommes ne cesseront de vous nuire que quand ils n'en auront plus les moyens il faut qu'ils soient ou vainqueurs ou vaincus; voilà ~ où il en faut venir; et tout homme qui ne voit pas cette grande vérité est à mon sens un aveugle en politique.

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