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au point de lui persuader que les dogmes de sa croyance ont été changés, et que la Constitution lui commande le sacrifice de ses opinions religieuses.

» Ce qu'il y a de plus déplorable encore c'est que par un zèle mal entendu les hommes les plus attachés à la révolution ont beaucoup contribué à accréditer ce préjugé en poursuivant indistinctement comme ennemis de la liberté publique tous ceux qui, égarés par de perfides insinuations, par leur propre faiblesse ou par défaut de lumières, ont cédé aux frayeurs d'une conscience timorée, et ont conservé pour les prêtres auxquels ils étaient habitués une confiance que la loi ne leur commandait pas de donner à d'autres.

» C'est ainsi que dans quelques départemens on a persécuté, 4 on persécute encore le peuple des campagnes; qu'on a mis en opposition son attachement à ses principes religieux avec l'amour de la patrie; qu'on a désigné sous l'absurde et ridicule dénomination d'aristocrates de simples et crédules cultivateurs; qu'on leur a persuadé et qu'ils ont fini par se persuader eux-mêmes qu'ils devaient hair la Constitution parce qu'ils ne veulent pas exercer le culte que la nation salarie; qu'on leur a fait envisager comme destructive de la liberté des consciences une loi dont toutes les dispositions ne tendent qu'à la rendre illimitée; c'est ainsi enfin que par la plus inconcevable méprise on les a forcés en quelque sorte d'identifier l'amour ou la haine de la Constitution avec l'adoption de tel ou tel système en matière de religion.

» Il serait inutile de s'appesantir sur le détail de tous les maux particuliers que cet état des choses entraîne; ce qu'il importe de ne pas perdre de vue ce sont les principaux résultats que cet affligeant tableau présente.

» Daus les lieux où la majorité du peuple est attachée aux prêtres non assermentés les difficultés qu'elle éprouve pour l'exercice de son culte, ses déplacemens, ses fatigues, sa perte de temps, qui en sont la suite, l'impossibilité d'assurer par des preuves légales l'état civil des citoyens, le sentiment profond de l'injustice dont cette partie du peuple est victime, les mouvemens de jalousie que doit naturellement exciter la perspective du bonheur et du repos dont jouissent ceux qui suivent le culte des prêtres conformistes; toutes ces circons

tances réunies ont tellement exalté les têtes que le peuple est prêt à chaque instant de se porter et se porte quelquefois aux excès les plus graves, soit contre les prêtres assermentés, soit contre les citoyens qui leur ont donné leur confiance: là cette majorité du peuple, séduite ou égarée, accuse la loi d'être la cause immédiate de l'oppression qu'elle éprouve; là tous les liens civils sont relâchés, la force publique dispersée, et les municipalités désorganisées.

» Dans les lieux au contraire (et c'est le plus grand nombre) où la majorité des citoyens a donné sa confiance aux prêtres assermentés, le petit nombre de ceux qui s'imaginent avoir une autre opinion religieuse, non seulement n'a pas la liberté d'exercer son culte, mais est exposé chaque jour à des vexations; le peuple, irrité contre les hommes qui ont vu dans cette division d'opinions religieuses des moyens d'attaques contre la Constitution, confond dans son indignation les innocens avec les coupables: là pour être réputé ennemi de la patrie il suffit de n'avoir pas la même opinion religieuse; là l'esprit d'intolérance et de persécution passe pour du patriotisme; là, par le plus déplorable préjugé, on croit servir la Constitution en violentant la liberté des consciences.

» Telle est, messieurs, la situation générale de la France, et l'on ne peut envisager sans frémir les dangers dont la liberté publique serait environnée si vous aggraviez le mal par de fausses mesures ou par une funeste insouciance.

» C'est sans doute parce qu'on a ignoré ce déplorable état des choses, c'est parce qu'on n'a pas fait attention à la fausse direction que l'opinion publique a prise sur cet objet, et que de mauvaises lois ont fait naître et propagent encore: c'est parce qu'on a oublié que la liberté des opinions religieuses, inutilement proclamée dans la Déclaration des Droits et la charte constitutionnelle, est encore aujourd'hui contrariée par des lois réglementaires, qu'on a pu proposer la question préalable, je dois vous le dire, messieurs, contre l'intention de ceux qui l'ont proposée, la question préalable donnerait au préjugé que vous devez vous attacher à détruire la consistance la plus alarmante; elle deviendrait le signal de l'intolérance, de la persécution, peut-être même de la guerre civile.

» Ceux qui vous ont proposé seulement des moyens de répression contre les prêtres qu'ils appellent réfractaires n'attaquent que l'une des causes du désordre, et manquent également le but que vous devez vous proposer; ils vous conduiraient aux mêmes résultats que les premiers par des moyens d'autant plus prompts que ces funestes mesures, ne remédiant à rien et augmentant l'aigreur des esprits, donneraient aux causes du désordre une nouvelle énergie.

» M. Fauchet en vous proposant l'abolition du serment ecclésiastique, a parlé d'une mesure qui ferait infiniment plus de mal, qui attaquerait bien plus ouvertement et plus directement le principe de la liberté des opinions religieuses que ne l'a fait le serment particulier qu'il supprime. M. Ramond, en regardant comme une inconséquence la détermination que la nation a prise de se charger du salaire accordé au clergé constitutionnel, vous a proposé d'être plus inconséquens encore en salariant les ministres de tous les cultes possibles, sans priviléges entre eux comme sans exception: M. Ramond n'a pas fait attention que le salaire du clergé constitutionnel n'est point un privilége; la nation, en disposant pour la dette nationale, pour la dette de tous, des biens affectés à l'entretien des ministres du culte catholique, a dû se charger de cet entretien : à la vérité ceux qui par caprice ou mauvaise volonté se sont séparés du culte n'ont rien à prétendre dans ce salaire ; ils y renoncent en profitant de la liberté que la loi leur donne de s'en séparer.

» L'enlèvement, la déportation des prêtres non assermentés, qu'on a également proposée, considérée comme loi pénale, et soit par rapport aux prêtres non assermentés, qui en deviendraient le principal objet, soit par rapport à la partie du peuple qui suit leur opinion religieuse, serait une mesure également absurde, tyrannique et inconstitutionnelle : je vais le prouver.

> En effet cette loi, à l'égard des prêtres non conformistes, aurait d'abord le terrible inconvénient de frapper indistinctement l'innocent comme le coupable; elle confondrait toutes les nuances des délits; elle exclurait la possibilité de la justification; elle écarterait la nécessité d'une instruction préalable; elle punirait enfin des hommes qui ne seraient pas même accusés, ou que des preuves légale n'auraient pas encore convaincus.

>> Ce n'est pas tout; cette loi aurait évidemment un effet rétroactif, et s'appliquerait à des faits antérieurs à sa promulgation. Remarquez en effet, messieurs, qu'en étendant indistinctement la disposition de cette loi à tous les ecclésiastiques non conformistes dont le remplacement a été effectué, et sans distinguer ceux d'entre eux qui se sont rendus coupables de troubles à l'ordre public, vous ajouteriez pour le même fait une nouvelle peine à une peine déjà prononcée et subie, et comme les prêtres qui sont dans le même cas, mais que faute de sujets on n'a pu remplacer, en sont exemptés, il en résulterait que cette circonstance seule du remplacement, circonstance absolument étrange au délit, qui ne l'aggrave ni ne le diminue, déterminerait cependant l'application rigoureuse de la peine ou de son exemption.

>>

Et, à l'égard de ces infortunés habitans des campagnes, de ces hommes qu'on ne peut soupçonner de servir en connaissance de cause les projets de leurs oppresseurs, songez que c'est principalement sur eux que retomberait la rigueur de la loi qu'on vous propose; songez que s'il vous est facile d'ordonner l'enlèvement de leurs prêtres il ne le sera pas autant de guérir leurs préjugés : des actes de violence ne serviront qu'à leur faire pousser de nouvelles racines, qu'à épaissir le funeste bandeau qu'on a eu l'art de leur jeter sur les yeux; qu'à désespérer cette classe intéressante de vos concitoyens; qu'à augmenter leur aversion pour des lois qu'il leur est impossible de ne pas envisager comme la cause immédiate des vexations qu'ils éprouvent; qu'à entretenir ces divisions funestes qui forment le seul espoir de nos ennemis, qui encourageraient les manœuvres des mécontens et les despotes dont ils ont obtenu l'appui, et provoqueraient tôt ou tard contre nous des démarches hostiles.

>> Enfin non seulement ce projet de loi, envisagé sous ces différens points de vue, est le comble de l'injustice et de la tyrannie, mais il porterait l'atteinte la plus directe à la Constitution.

»Vous le savez, messieurs, la Constitution garantit à tout individu comme droit naturel et civil la liberté d'exercer le culte auquel il est attaché; elle veut encore que les citoyens puissent en élire ou choisir les ministres.

» Et cependant le projet qu'on vous propose ne tend à rien moins qu'à détruire cette liberté, qu'à priver les citoyens du droit de s'adresser au prêtre de leur choix, qu'à violenter leur conscience, et à les forcer d'adopter un autre culte par l'impossibilité où ils seraient d'exercer celui auquel ils sont attachés.

» Vainement dirait-on que les églises paroissiales leur sont ouvertes, que le culte est le même, et qu'ils ont toujours la faculté de l'exercer... Vous n'êtes point, vous ne devez pas être les juges de cette différence; quelque absurde que puisse être une opinion religieuse, il suffit qu'elle existe pour qu'elle soit respectée, et le citoyen cesserait d'être libre au moment où son opinion sur cet objet pourrait être réglée ou modifiée au gré des opinions des autres, et par une volonté qui ne serait pas la sienne.

» C'est un principe consacré par la Déclaration des Droits que nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites; c'est encore un autre principe que nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

» Et cependant on vous propose une loi de proscription générale contre une foule d'individus qui ne sont pas tous coupables, ou qui très certainement ne le sont pas tous au même degré ! On vous propose une peine dont l'application se fera sans accusation, sans instruction quelconque, contre toutes les formes, et pour des faits antérieurs à sa promulgation! Enfin, l'une des bases les plus essentielles de la Constitution c'est la séparation des pouvoirs : en aucun cas et sous aucun prétexte le corps législatif ne peut exercer le pouvoir judiciaire; il doit fixer la peine, mais il ne doit ni ne peut en faire l'application à tel cas particulier, à tel ou tel individu.

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» Quels avantages d'ailleurs peut-on se promettre d'une semblable mesure, et par quels moyens pourrait-on en assurer le succès ?

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Quand on aura enlevé les prêtres non assermentés croiton que le peuple des campagnes sera plus éclairé et moins

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