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toute la plénitude des principes; une demi-philosophie n'est que la caricature de la raison..... (Applaudisseméns. ) Le prêtre doit vivre de l'autel, et le fonctionnaire de la société du produit de ses fonctions civiles: si l'on prend dans le trésor national de quoi salarier les êtres inutiles il est impossible de trouver des fonds pour les citoyens laborieux. Il est beau de voir des hommes benins s'attendrir et s'apitoyer sur le sort d'hommes largement fanatiques ou du moins absolument inutiles à la patrie, tandis qu'ils ne pensent seulement pas à avoir le plus léger attendrissement, la moindre pitié pour une multitude innombrable de pauvres qui demandent à grands cris à la nation du travail et du pain ! On n'a pas craint que la faim dévore cette précieuse portion de famille civique, et l'on jette trente millions à des hommes oisifs, et dont les trois quarts sont dénatùrés au point de s'obstiner à ne vouloir plus nous regarder comme des frères, tandis que nos vrais frères, nos vrais amis, les bons indigens qui nous tendent les mains et nous offrent leurs bras, périssent d'inanition ! C'est cette philosophie barbare, c'est cette morale qui est atroce, c'est cet ordre social qui est l'exécration de la nature! (Applaudissemens.)

» Mais enfin il ne faut pas non plus que ces prêtres meurent de fain ou qu'ils soient obligés de trahir leur conscience... Non sans doute, messieurs; mais puisqu'ils veulent établir un autel à part il est tout naturel de penser qu'ils doivent vivre de leur autel. Quand les fidèles, désabusés, ne voudront plus salarier un culte qui est salarié, à côté du culte des prêtres non conformistes, du fruit des contributions, ces prêtres sans disciples embrasseront d'autres travaux utiles à la société ; le commerce, l'agriculture, les arts leur offriront des ressources: saint Paul faisait des tentes; saint Luc était médecin; saint Alexandre évêque, serait redevenu autrefois charbonnier.... (On rit, on applaudit.) Quiconque a une tête et des bras et qui ne veut rien faire ne mérite pas de vivre; condamner l'homme au travail c'est l'obliger à être homme ; c'est la première loi de la nature; quand sa tête faiblit, quand sa force l'abandonne alors l'humanité lui tend des secours, la patrié le nourrit et le soigne; toute justice est accomplie.

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Laissons donc ces jérémiades prétendues philosophiques qui n'en imposent qu'à l'imagination et qui trompent la sensibilité en égarant la justice! Soyons justes, messieurs, dans toute l'étendue de ce grand devoir, et nous serons compatissans comme il faut l'être, et personne ne souffrira que celui qui l'aura mérité. Finissons par examiner encore l'acte constitutionnel, qui est le seul obstacle qui arrête quelques hommes sages, quelques citoyens sincères dans l'adoption de la mesure paisible que je propose. ( On rit. )

» Cet engagement qui met ces pensions au rang des dettes nationales empêcherait-il que la nation eût le droit d'exiger | le serment civique ( je ne parle que de celui-là, et au fond elle n'en a jamais exigé d'autre ), et qu'elle pût imposer une obligation de service à des hommes qu'elle paie sur un titre qui exigeait un service? Il va survenir de nouvelles lois, qui seront l'ouvrage de cette nouvelle législature : n'exigera-t-on pas des prêtres constitutionnels actuellement en fonction de nouveaux services? S'ils voulaient s'y soustraire, et cependant garder leur traitement, qui est bien sans contestation une dette nationale aux termes de la Constitution; ne se croiraiton pas en droit de les en priver? Le serment civique est toujours exigible de tout citoyen; et la rétractation d'une obligation nationale à quiconque ne veut rien faire dans l'ordre même de cette obligation est toujours de droit. Y a-t-il dans l'acte constitutionnel qu'on ne pourra exiger ni sermens ni service de ces messieurs du culte catholique pensionnés par l'Etat? Cette clause inepte n'y est pas ; et l'on sait que l'Assemblée constituante était bien éloignée de vouloir l'y mettre.

<< De plus longs raisonnemens seraient inutiles; nous sommes en mesure d'exiger le serment de fidélité à toutes les lois et au service relatif à la pension de tous les ci-devant bénéficiers: si nous le pouvons nous le devons, car le grand principe de ne point salarier l'oisiveté et le besoin de ne pas alimenter le fanatisme nous y obligent...... Tandis que nous avons tant de peine à nourrir le travail utile, mettez cette obligation au rang des plus urgentes que nous ayons à remplir.

» Je conclus par demander itérativement le décret le plus juste et le plus indispensable de ne salarier sur les fonds nationaux que des citoyens fidèles, et qui au moins, étant va

lides, se présentent pour remplir les fonctious publiques de la profession en faveur de laquelle ils ont des traitemens alloués par la patrie.

Jusqu'ici près de trente orateurs avaient été entendus; c'était autant de projets de décret, et l'Assemblée ne s'arrêtait à aucun, M. Gensonné, craignant peu d'encourir la qualification de demi-philosophe, dont la réplique (improvisée) de l'évêque du Calvados venait de frapper les partisans d'une loi de tolérance; M. Gensonné prit la parole immédiatement après M. Fauchet pour résumer la discussion en s'élevant contre les mesures de rigueur. Il avait été témoin des troubles religieux qui désolaient plusieurs départemens; ses vues pourraient être considérées comme un complément nécessaire du rapport sur la Vendée aussi lui donna-t-on dès qu'il parut à la tribune les marques d'une grande confiance.

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DISCOURS de M. Gensonné. ( Séance du 3 novembre 1791.) Messieurs, le tableau des troubles religieux qui agitent une partie de l'empire, l'examen des causes qui les ont produits, la recherche des moyens propres à en arrêter les progrès offrent à nos discussions des questions importantes qui appellent et commandent toute votre attention.

» C'est du succès de la détermination que vous allez prendre que dépendra la tranquillité intérieure de l'État, peut-être même sa sûreté extérieure: si la mesure que vous adopterez était insuffisante et tendait à aggraver le mal il est impossible de calculer à quel point elle compromettrait la liberté publique.

» Les législateurs qui vous ont précédés, chargés de créer au milieu des orages et des oppositions une Constitution nouvelle, obligés de lutter sans cesse contre l'esprit de parti et des factions qui se heurtaient én sens contraire, entraînés même quelquefois hors du cercle qu'ils s'étaient tracé par des obstacles dont on a vainement tenté d'embarrasser leur marche, n'ont pu qu'établir les principes, fixer les bases constitutionnelles, et ont laissé à leurs successeurs le soin de réunir toutes les parties de ce grand ouvrage, de les polir et de les raccorder, d'en perfectionner le développement et de leur donner plus d'harmonie et le plus d'ensemble.

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» Telle est, messieurs, l'immense carrière que vous aurez à parcourir ; mais pour le succès de ce genre de travaux vous' devez chercher à vous environner du calme et de la paix ; vos premiers regards doivent se porter sur les moyens les plus prompts d'assurer votre tranquillité intérieure: si l'ouvrage de vos prédécesseurs fut l'œuvre du génie et de l'enthousiasme, le vôtre doit être celui de la prudence et de la raison.

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» Le retour de la paix dans l'intérieur du royaume tient presque uniquement à l'existence de ces querelles religieuses : tâchons d'en effacer jusqu'aux moindres vestiges; examinons sang froid notre situation; ne nous dissimulons pas les dangers qui nous environnent; ne nous livrons ni à une fausse sécurité ni à des terreurs exagérées; calculons les résistances, mais sachons apprécier aussi nos moyens et nos forces; écartons surtout de cette importante délibération ces mouvemens passionnés qui en accuseraient hautement la sagesse, et que, son succès soit garanti d'avance par le calme et la réflexion qui l'auront préparée.

>> J'examinerai d'abord quelle est la cause de ces troubles ; comment, sous l'empire d'une Constitution qui garantit à chaque individu pour l'exercice de son culte une liberté indéfinie, ils peuvent exister encore, et enfin par quelle étrange fatalité ils ont pu acquérir une influence alarmante sur l'ordre civil et politique de l'Etat.

» J'examinerai ensuite rapidement les divers systèmes qu'on vous a présentés dans cette tribune, et je prouverai qu'ils sont tous insuffisans, ou absurdes, ou tyranniques et inconstitutionnels.

» Je proposerai enfin des mesures que je crois sûres, et qui pourront concilier le respect religieux que nous devons avoir pour la liberté individuelle et les précautions que la sûreté générale commande contre les perturbateurs de l'ordre public.

» Dans un gouvernement où le droit naturel de la liberté des opinions religieuses est garanti par la Constitution il semble au premier coup d'oeil que l'ordre civil ne devrait jamais être troublé par la diversité des systèmes en matière de religion : on conçoit en effet comment en France toutes les variétés possibles des différens cultes pourraient s'établir aujourd'hui

sans que la tranquillité publique en fût menacée, cependant les deux opinions qui se sont élevées parmi nous sur le culte romain ont produit déjà une scission politique entre les citoyens dont les progrès semblant menacer la Constitution elle-même. Cette situation des choses doit donc évidemment être attribuée à d'autres causes qu'à la seule différence dans l'opinion, et ces causes je pense qu'il est facile de les assigner.

» Elles tiennent presque toutes à l'intimité des rapports qui lient cet objet à notre ordre social; à nos institutions politiques : les uns sont l'effet de l'imperfection de nos lois, de la mauvaise direction qu'elles ont donnée sur cet objet à l'esprit public; les autres proviennent de la ténébreuse malveillance de nos ennemis.

1o. On a laissé subsister trop long-temps la confusion des fonctions civiles et ecclésiastiques qui s'était opérée sous l'ancien régime dans les mains des ministres de la religion : il en est résulté que les personnes qui sont demeurées attachées aux anciens fonctionnaires publics n'ont su après leur remplacement à qui s'adresser pour faire constater leur état civil ou celui de leurs enfans; ainsi, lorsque la Déclaration des Droits: semblait garantir à tous les citoyens le libre exercice de leur culte, la réunion incompatible de ces deux fonctions, exercées par le ministre d'un culte exclusivement à tout autre, subordonnait en quelque sorte l'existence politique des citoyens à l'admission d'un système religieux.

2o. Il ne peut pas être douteux qu'une grande partie du clergé, irritée par la réforme des abus, par la suppression des dîmes et par la perte de l'influence politique qu'il avait usurpée dans le gouvernement, ne se soit coalisée avec les mécontens, n'ait formé un système d'opposition à l'exécution des lois retatives à son organisation, n'ait cherché à irriter le peuple contre une Constitution qui doit faire son bonheur, et ne se soit flattée de reconquérir ses priviléges en livrant à la fois toutes les parties de l'empire aux convulsions du fanatisme et aux horreurs d'une guerre de religion.

» 3°. Il n'est pas douteux encore que dans plusieurs de nos départemens cette faction ne se soit développée avec la plus dangereuse activité; qu'on ne soit parvenu à séduire le peuple

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