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tant de têtes qu'il en manquera pour compléter ce nombre. Car il lui suffit, ajoute Domat, de jouir des profits qu'il tire des animaux, et d'avoir de plus tout ce qui passe le nombre qu'il doit conserver (1). Vainement dit-on que les jeunes têtes deviennent la propriété définitive de l'usufruitier, à titre de fruits naturels. Sans doute elles lui appartiennent, mais avec la charge d'entretenir toujours le troupeau au complet. Il en est ainsi des réparations d'entretien. dont l'usufruitier d'un bâtiment est tenu. Les réparations sont une charge des fruits, sans distinguer entre les fruits futurs et les fruits déjà perçus; c'est-à-dire que l'usufruitier ne peut se dispenser de les faire, en disant que les fruits de l'année ne suffisent pas pour couvrir la dépense; il doit les payer, en ce cas, avec les bénéfices qu'il a déjà recueillis en percevant les fruits, à moins qu'il ne préfère renoncer à l'usufruit, comme nous le dirons plus loin (2).

On a proposé une distinction : l'usufruitier, dit-on, doit, à la vérité, employer le croît antérieur à remplacer les têtes mortes, s'il le possède encore, puisque l'article 617 veut que le croît serve à remplacer les têtes qui périssent (3). Mais s'il a vendu les jeunes animaux, il n'y a plus de croît et le prix est entré définitivement dans son domaine. Cette distinction n'est ni juridique ni rationnelle. Tout le croît, comme le dit Domat, doit servir à tenir le troupeau au complet; qu'importe que l'usufruitier le garde ou qu'il le vende? est-ce qu'un fait purement accidentel peut restreindre les obligations de l'usufruitier? Les jeunes têtes sont entrées dans son domaine aussi bien que le prix qu'il retire de la vente; il faudrait donc, pour être logique, dispenser l'usufruitier d'employer à la reconstitution du troupeau tout le croît qu'il a perçu. Mais, dans cette opinion, on se met en opposition avec le texte, avec les principes et avec la tradition (4).

(1) Domat, Lois civiles, livre I, tit. XI, sect. III, art. 5.

(2) Ducaurroy, Bonnier et Roustain, t. II, p. 145, no 217; Proudhon, t. III, p. 71, nos 1094 et 1095; Aubry et Rau, t. II, p. 529 et note 15. (3) Marcadé, t. II, p. 506, art. 616, no II; Demolombe, t. X, p. 281, n° 315; Demante, t. II, p. 542, no 458 bis II.

(4) Voyez, dans le sens de notre opinion, Genty, De l'usufruit, p. 185, n° 228; Duranton, t. IV, p. 606, no 630.

537. Il y a des dispositions spéciales concernant l'usufruit des bâtiments. L'usufruitier est tenu de certaines réparations, que la loi appelle réparations d'entretien (article 605), ou réparations usufructuaires (art. 1409, no 4); il n'est pas tenu des grosses réparations. Il y a encore des réparations que le code appelle locatives, parce que le locataire en est tenu (art. 1754). Les réparations usufructuaires sont plus étendues que les réparations locatives. Ainsi l'obligation de l'usufruitier, en ce qui concerne les réparations, est d'une nature particulière, en ce sens qu'elle n'embrasse que les réparations déterminées par la loi. Cette matière donne lieu à de sérieuses difficultés; nous devons la traiter séparément.

II. Des réparations d'entretien et des grosses réparations.

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538. L'article 606 définit les grosses réparations, puis il ajoute: «Toutes les autres réparations sont d'entretien. » Il nous faut donc voir quelles sont les réparations que la loi qualifie de grosses; par cela seul nous saurons quelles sont les réparations d'entretien. L'article 606 porte: « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières; celui des digues et des murs de soutenement et de clôture, aussi en entier. » C'est une disposition traditionnelle, elle est empruntée à la coutume de Paris, dont l'article 262 est conçu comme suit : « La femme qui prend le douaire coutumier est tenue d'entretenir les héritages de réparations viagères qui sont toutes réparations d'entretenement, hors les quatre gros murs, poutres et entières couvertures et voûtes. » L'interprétation que l'on donnait, dans l'ancien droit, à la coutume de Paris nous servira à expliquer l'article 606, qui ne fait que la reproduire telle qu'elle était appliquée par la jurisprudence (1).

Les réparations des gros murs et des voûtes sont de grosses réparations, alors même qu'il ne s'agit pas de re

(1) Proudhon, t. IV, p. 74, no 1625.

construire les murs et les voûtes en entier; car la loi n'ajoute pas ces mots, comme elle le fait en parlant des murs de soutenement. Est-ce à dire que toute réparation à un gros mur soit une grosse réparation? Si l'on ne consultait que le texte de l'article 606, il faudrait répondre affirmativement avec Delvincourt et Taulier; mais nous venons de dire que le code doit être interprété par la tradition. Or, Pothier nous apprend que les grosses réparations étaient plutôt reconstructions que réparations. Il faut donc qu'il y ait reconstruction totale ou partielle; une réparation de menu entretien, quoique faite à un gros mur, ne serait pas une grosse réparation; ainsi le recrépiment d'un mur resterait à la charge de l'usufruitier. Le texte même de la coutume de Paris nécessite cette distinction: elle appelle les grosses réparations des réparations viagères, c'est-à-dire d'une telle importance qu'elles durent pendant toute la vie de l'usufruitier, ou qu'on ne les fait qu'une fois dans sa vie : et telles ne sont certes pas les réparations qui ont seulement pour objet de réparer le mur, sans qu'il y ait lieu de le reconstruire en tout ou en partie (1).

Reste à savoir ce qu'il faut entendre par gros murs. La coutume de Paris ne parlait que des quatre gros murs; ma's la jurisprudence avait étendu l'article 262 à tous les gros murs, et c'est cette jurisprudence que les auteurs du code ont entendu consacrer en disant les gros murs en général, c'est-à-dire non-seulement les quatre murs extérieurs du bâtiment, mais encore les murs de refend qui s'élèvent à partir du sol jusqu'au sommet de l'édifice. Il suit de là que l'expression gros murs exclut les murs de simples cloisons construits pour la distribution des appartements, ou la séparation des vestibules (2).

Le rétablissement des poutres est rangé parmi les grosses réparations, parce que, dit Proudhon, les poutres sont comme les gros membres du corps de bâtiment dont elles lient et retiennent les diverses parties. Faut-il qu'il s'agisse

(1) Proudhon, t. IV, p. 75, no 1626; Demolombe, t. X, p. 496, no 562: Pothier, De la communauté, no 272. En sens contraire, Delvincourt, t. Ier p. 150, note 9, et Taulier, t. II, p. 326.

(2) Proudhon, t. IV, p. 76, no 1627; Demolombe, t. X, p. 494, no 560.

des poutres entières? Le mot entières dans l'article 606 pourrait, à la rigueur, s'appliquer aux poutres aussi bien qu'aux couvertures; mais la comparaison du code avec la coutume de Paris prouve que ce mot ne se rapporte pas aux poutres. On lit dans l'article 262 : « Les poutres, entières couvertures et voûtes. » Or, c'est cette disposition, qui ne laisse aucun doute, que le code a reproduite en faisant une simple correction de style. Donc il faut décider aujourd'hui, comme le faisait Pothier, que la substitution d'une seule poutre neuve, à la place d'une poutre qui était pourrie, est une grosse réparation (1).

En parlant du rétablissement des couvertures, l'article 606 ajoute le mot entières. Faut-il prendre cette expression à la lettre? Il en résulterait que le cas ne se présenterait jamais, à moins que le bâtiment même ne s'écroulât, or dans ce cas l'usufruit est éteint et partant il n'est plus question de réparations. Dans le cours ordinaire des choses, il est difficile de concevoir qu'une couverture soit détruite en entier, de manière qu'il ne reste pas une tuile ni une ardoise; il faut donc entendre la loi de manière qu'elle puisse recevoir son application, c'est-à-dire mettre la réparation de la couverture parmi les grosses réparations, quand c'est la presque totalité de la couverture qui est détruite. C'est l'opinion générale (2).

Le rétablissement des digues et des murs de soutenement et de clôture est aussi une grosse réparation quand il faut les reconstruire en entier. Par digues on entend la chaussée d'un étang ou d'une usine, ainsi que les ouvrages construits au bord d'un cours d'eau pour la protection des fonds riverains. Les murs de soutenement, dit l'article 606; cette expression s'applique aux murs qui soutiennent une terrasse ou un canal. Quant aux murs de clôture, tous tombent sous l'application de la loi, quel que soit l'héritage qui est clos. Il y a une condition générale prescrite par la loi, c'est que la réparation soit une reconstruction de la digue ou du mur en entier; s'il s'agit de reprendre quelques

(1) Pothier, De la communauté, no 272; Proudhon, t. IV. p. 82, no 1634; Demolombe, t. X, p. 497, n° 563.

(2) Proudhon, t. IV, p. 80, no 1632; Dalloz, au mot Usufruit, no 517.

brèches, la réparation sera d'entretien, par conséquent à la charge de l'usufruitier (1).

Le code ne prévoit pas textuellement la réparation de la charpente des combles d'une maison; mais l'ancien droit les comprenait parmi les grosses réparations, et la tradition en cette matière est décisive. D'ailleurs, quoique les pièces de charpente ne soient pas des poutres dans un sens rigoureux, elles en remplissent les fonctions, puisqu'elles servent à supporter la couverture, comme les poutres ordinaires servent à supporter les planchers. C'est la remarque de Proudhon (2).

539. Il ne faudrait pas conclure de ce que nous venons de dire que l'article 606 puisse être étendu à des cas qu'il ne prévoit pas, alors qu'il s'agit de réparations à faire à un bâtiment. Le texte même de la loi prouve que l'énumération des grosses réparations faite par l'article 606 est limitative. En effet, après avoir défini les grosses réparations, le code ajoute : « Toutes les autres réparations sont d'entretien. Donc dès qu'une réparation ne rentre pas dans le texte de l'article 606, elle est d'entretien et par suite à la charge de l'usufruitier. C'est en ce sens que la loi a été expliquée par l'orateur du Tribunat (3); l'interprétation restrictive résulte d'ailleurs de la nature même des choses. Que voulait le législateur? Distinguer clairement les réparations que l'usufruitier doit faire et celles. qui restent à charge du nu propriétaire. Il ne pouvait pas énumérer en détail les unes et les autres, parce que les réparations d'entretien sont, par leur nature, trop nombreuses pour qu'on puisse les comprendre dans un texte restrictif. Dès lors il fallait procéder comme a fait le code : énumérer les grosses réparations qui sont peu nombreuses et déclarer que toutes les réparations non comprises dans le texte sont des réparations d'entretien. Si l'on pouvait étendre la disposition de l'article 606, fût-ce par analogie, on manquerait complétement le but de laloi, puisqu'on ne saurait plus ce qui est grosse réparation et ce qui est réparation d'entretien.

(1) Proudhon, t. IV, p. 83, no 1635.
(2) Proudhon, t. IV, p. 86, no 1638.

(3) Gary, Discours, no 22 (Locré, t. IV, p 140).

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