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les conditions et les formes que la loi prescrit pour les aliénations faites par un incapable (1).

336. Il y a aussi des conditions requises dans la personne de l'usufruitier. Elles varient selon que l'usufruit est établi à titre gratuit ou à titre onéreux. Il y a des conditions spéciales de capacité exigées pour recevoir à titre gratuit celui qui est incapable de recevoir la propriété par donation ou testament est par cela même incapable de recevoir un usufruit à titre gratuit. Quelles sont ces incapacités? C'est au titre des Donations et Testaments que se trouve le siége de la matière; nous y renvoyons. Quant aux actes à titre onéreux, on applique le droit commun; il faut avoir la capacité de contracter, ce qui nous oblige de faire un nouveau renvoi au titre des Obligations.

337. En droit romain, l'usufruit s'établissait aussi par jugement. C'est-à-dire que, dans les partages judiciaires, le juge avait le droit d'adjuger la jouissance du fonds à l'un des copartageants et la nue propriété à l'autre, lorsqu'un héritage n'était pas susceptible de partage sans détérioration, ou qu'il fallait établir l'égalité des lots par une soulte. On demande si les tribunaux ont encore ce droit sous l'empire du code civil. Maleville et Zachariæ le croient. On serait parfois tenté de répudier la tradition romaine, quand on voit avec quelle inintelligence on l'applique. Conçoit-on que les juges aient le pouvoir de démembrer la propriété sans qu'un texte leur accorde ce droit? Le silence du code suffit pour décider la question, si question il y a. Mais il y a mieux. La loi prévoit le cas où un héritage est impartageable, et que décide-t-elle? Qu'il sera licité (art. 827). La loi prévoit le cas où il y a lieu à soulte, et que décidet-elle? Qu'on rétablira l'égalité entre les copartageants par un retour, soit en rente, soit en argent (art. 833). Ainsi il y a des textes qui disent au juge ce qu'il a à faire. On s'écarte donc de la loi, ce qui veut dire qu'on la viole, pour revenir au droit romain. Si au moins le droit romain était plus rationnel! Mais dans l'espèce il ne mérite certes

(1) Genty, De l'usufruit, p. 18, no 27 et 28; Duranton, t. IV, no 478 et 480.

pas le beau nom de raison écrite qu'on lui a donné. L'usufruit est un droit chanceux, aléatoire par essence, puisqu'il dépend de la vie de l'usufruitier. Donc adjuger l'usufruit à l'un et la nue propriété à l'autre, c'est faire un contrat aléatoire. Et l'on veut que, malgré eux, les copartageants jouent leur fortune ou une partie de leur fortune! Les tribunaux ont été plus sages que les auteurs; jamais l'idée ne leur est venue de créer un usufruit par voie d'adjudication. C'est une de ces questions oiseuses que l'on ferait hien de laisser de côté (1).

338. L'usufruit peut-il s'acquérir par la prescription? Sur ce point la doctrine et la jurisprudence sont unanimes (2); au point de vue des principes, l'affirmative n'est pas douteuse. La prescription est un mode général d'acquérir la propriété, donc aussi l'usufruit, puisque l'usufruit est un démembrement de la propriété (art. 712 et 2219). Il faudrait une disposition expresse qui dérogeât aux articles 712 et 2219 pour que l'on pût admettre que, par exception, l'usufruit n'est pas susceptible de s'acquérir par prescription. Il suffit donc qu'il y ait silence de la loi pour que l'on reste dans le droit commun. On pourrait dire que l'article 579, en mentionnant la loi et la volonté de l'homme comme sources de l'usufruit, exclut la prescription. Ce serait très-mal raisonner, car la prescription se fonde aussi sur le fait de l'homme. Les articles 690 et 691 fournissent une objection un peu plus spécieuse; ils disposent formellement que les servitudes réelles s'acquièrent par la prescription quand elles sont continues et apparentes : si le législateur, dit-on, avait voulu admettre la prescription en matière d'usufruit, ne s'en serait-il pas expliqué, comme il le fait pour les servitudes réelles? Nous reproduisons l'objection, bien qu'elle ait été péremptoirement réfutée, pour montrer combien les arguments dits a contrario ont peu de valeur. Le législateur a dû s'expliquer sur la prescription des servitudes, parce que toutes ne

(1) C'est l'opinion généralement suivie. Voyez les autorités citées dans Dalioz, au mot Usufruit, no 75, et dans Aubry et Rau, t. II, p. 466, note 2. (2) Voyez les autorités dans Dalloz, au mot Prescription, nos 93 et 94, et dans Aubry et Rau, t. II, p. 466, note 1.

s'acquièrent pas par la prescription; tandis que rien n'obligeait le législateur à parler de la prescription de l'usufruit, puisque le droit commun suffisait.

Quel est ce droit commun? Il faut distinguer entre les meubles et les immeubles. En matière de meubles, il n'y a d'autre prescription que celle qui s'opère instantanément, par application de la maxime qu'en fait de meubles, possession vaut titre. Si le vendeur d'une chose mobilière n'en est pas propriétaire, l'acheteur en acquiert immédiatement la propriété, pourvu qu'il soit de bonne foi (art. 2279). Par la même raison, l'usufruit s'acquerrait par la possession instantanée. Il n'en est pas de même des immeubles. Le code civil admet deux prescriptions acquisitives: celle qui suppose bonne foi et titre, c'est-à-dire l'usucapion par une possession de dix ou vingt ans ; et celle de trente ans, qui n'exige que la possession, sans titre ni bonne foi. En matière d'usufruit, il y a lieu à la prescription trentenaire et à l'usucapion. Seulement la première sera très-rare; celui qui possède sans titre ni bonne foi possédera presque toujours comme propriétaire, et acquerra par conséquent la propriété entière.

No 2. FORMES,

I. Entre les parties.

339. La constitution de l'usufruit est-elle un acte solennel, c'est-à-dire un fait juridique pour l'existence duquel il faut observer certaines formes ou solennités? Il faut distinguer s'il est établi à titre gratuit ou à titre onéreux. Le droit français ne connaît que deux titres gratuits, la donation et le testament, et l'un et l'autre sont des actes solennels. Si donc l'usufruit est constitué par donation ou par testament, il devient par cela même un acte solennel; donc l'usufruit n'existera que si les formes prescrites par la loi ont été remplies. Quelles sont ces formes? et quelle est la conséquence de leur inobservation? C'est ce que nous verrons au titre des Donations et Testaments.

Parmi les titres onéreux, il y en a aussi un qui est un

acte solennel, c'est le contrat de mariage; et, comme nous l'avons dit, c'est d'ordinaire par contrat de mariage que l'usufruit est établi dans nos moeurs. C'est une libéralité faite au profit du survivant des époux. Si les formes prescrites par la loi n'ont pas été observées, il n'y aura pas de contrat de mariage, et par suite pas d'usufruit; les époux n'auront d'autres droits que ceux qu'ils ont sous le régime de la communauté légale. Les autres actes à titre onéreux ne sont pas solennels. C'est dire qu'ils existent par cela seul qu'il y a concours de consentement des parties contractantes; l'écrit, si l'on en dresse un, ne sert que de preuve. Par suite, la nullité de l'écrit n'a aucune influence sur le fait juridique qui y est constaté. L'usufruit existera et produira tous ses effets entre les parties, pourvu que le contrat existe. Quelles sont, dans les contrats non solennels, les conditions requises pour l'existence de la convention? C'est ce que nous dirons au titre des Obligations.

340. Par application de ces principes, il a été jugé que la constitution de l'usufruit peut se prouver par témoins et par présomptions, lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit. En effet, les présomptions de l'homme, que le code abandonne à la prudence et aux lumières des magistrats, sont admises comme preuve, dans les cas où la loi admet la preuve testimoniale (art. 1353). Or, la preuve par témoins est admise, quel que soit le montant du litige, quand il y a un commencement de preuve par écrit (art. 1347). Cela décide la question de preuve (1). Cette question est indépendante de celle de savoir si le fait juridique lui-même est valable. Il pourrait y avoir preuve, soit littérale, soit testimoniale, qu'un usufruit a été établi à titre onéreux, et l'usufruit pourrait néanmoins ne pas être valable, si une condition requise pour la validité ou pour l'existence du fait juridique n'était pas remplie. Si, dans l'espèce jugée par la cour de cassation, celui qui constitua l'usufruit avait été incapable de consentir, pour cause de démence, l'usufruit aurait été inexistant, comme

(1) Arrêt de rejet du 4 février 1823 (Dalloz, au mot Obligations, no 3980).

nous disons, ou radicalement nul, comme d'autres disent. Si le consentement avait été vicié par l'erreur, la violence ou le dol, le contrat aurait existé, à la vérité, mais il eût été annulable, malgré la preuve littérale et les présomptions invoquées par la cour. C'est l'application élémentaire des principes que nous exposerons au titre des Obligations. 341. La forme donne lieu à un autre ordre de difficultés. En droit français, il n'y a point de termes sacramentels. Il n'est donc pas requis que les parties se servent du mot usufruit; le législateur lui-même se sert parfois du mot de jouissance (art. 543). Et quand même les parties n'auraient employé ni l'une ni l'autre de ces expressions, leur volonté de constituer un usufruit n'en serait pas moins certaine, si elles avaient clairement déclaré que le droit de jouir est concédé à titre de droit réel, ou est démembré de la propriété. Par contre, il ne suffit pas qu'il y ait une jouissance quelconque pour qu'un usufruit soit constitué. Il arrive assez souvent que le vendeur se réserve la jouissance du fonds vendu pendant un temps plus ou moins long. Que le vendeur ou le donateur puissent se réserver l'usufruit de la chose vendue ou donnée, cela va sans dire; le code lui-même prévoit le cas et dispense cet usufruitier de donner caution (art. 601). Mais suffit-il d'une réserve quelconque de jouissance ou de possession pour qu'il y ait usufruit? Non, certes. Il faut voir, avant tout, si la toute propriété du fonds a été donnée ou vendue. Dans ce cas il est évident qu'il n'y a pas de réserve d'usufruit. Ce sera une vente ou une donation avec un terme pour la délivrance. Ce terme se trouve presque dans toutes les ventes d'immeubles; il est rare que la tradition se fasse immédiatement. Provisoirement le vendeur reste en possession. Quel est le caractère de cette possession et de la jouissance qui l'accompagne? Dans le silence du contrat, la chose est douteuse. M. Demolombe dit que c'est un bail tacite (1). Cela est difficile à admettre. Il n'y a pas de bail sans prix, et où est, dans l'espèce, le loyer ou le fermage? On est

(1) Demolombe. t. X, p. 203, n° 230 bis. En sens contraire, Dalloz, Répertoire, au mot Usufruit, no 123.

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