Page images
PDF
EPUB

quant à l'un, de la matière qui lui appartenait; quant à l'autre, en raison à la fois et de la matière qui lui appartenait et du prix de sa main-d'oeuvre.

La décision de l'article 572 reçoit deux restrictions. Si la main-d'œuvre surpasse de beaucoup la valeur des matières employées, la nouvelle espèce doit appartenir à celui des deux propriétaires qui, outre la matière, a employé son industrie ou son art à la spécification. Cela résulte à l'évidence de l'article 571. Alors même que le spécificateur ne fournit aucune matière première, il devient propriétaire de la nouvelle espèce quand le travail est d'une importance majeure. A plus forte raison en doit il être ainsi lorsque, outre son travail, il fournit une partie de la matière.

Il y a une seconde restriction qui résulte, par analogie, de l'article 574. On suppose que la matière d'autrui, employée par le spécificateur, a une valeur supérieure tout ensemble à la matière qui appartient au spécificateur et au prix de la main-d'œuvre. C'est cette chose alors qui est la principale, et par conséquent le maître de cette chose doit devenir propriétaire de l'espèce nouvelle. Le code le décide ainsi, en cas de mélange (art. 574). Il y a identité de motifs en cas de spécification (1).

318. Nous avons déjà cité une application très-singulière des principes sur la spécification. Un voleur confectionne du drap avec la laine qu'il a volée. La matière première étant supérieure à la main-d'oeuvre, le drap devient la propriété du maître auquel la laine a été volée. Mais celui-ci ne réclame pas. C'est en ce cas à l'Etat qu'appartient le corps du délit, c'est-à-dire la chose fabriquée. Prenant la place du propriétaire, l'Etat est aussi tenu des charges qui lui sont imposées : il doit rembourser au spécificateur le prix de la main-d'œuvre. Voilà l'Etat qui est débiteur du voleur; mais il est aussi son créancier pour les frais des poursuites criminelles motivées par le vol; il y aura donc lieu à compensation (2).

(1) Marcadé sur l'article 572, no II (t. II, p. 425). Demolombe, t. X, p. 170, n° 201. (2) Montpellier, 23 avril 1844 (Dalloz, 1845, 2, 90).

No 4. DU MÉLANGE.

319. On appelle mélange la réunion de choses liquides ou liquéfiées appartenant à des propriétaires différents. Les Romains donnaient le nom de confusion à la réunion de choses sèches ou solides. Cette distinction n'est pas reproduite par le code; il n'a qu'une seule exp: ession, celle de mélange pour les deux cas. L'article 573 décide que la chose formée par le mélange de plusieurs matières appartenant à des propriétaires différents, appartient par droit d'accession au maître de la chose principale, si celle-ci est de beaucoup supérieure par la quantité et le prix, ajoute l'article 574; le propriétaire du mélange doit, en ce cas, rembourser à l'autre propriétaire la valeur de sa matière. Si aucune des deux choses ne peut être regardée comme la matière principale, il faut voir si elles peuvent être séparées. En ce cas, celui à l'insu duquel les matières ont été mélangées peut en demander la division. S'il n'use pas de ce droit ou si les matières ne peuvent pas être séparéeș sans inconvénient, ils en acquièrent en commun la propriété dans la proportion de la quantité, de la qualité et de la valeur des matières appartenant à chacun d'eux.

No 5. RÈGLES GÉNÉRALES.

320. L'article 575 porte : « Lorsque la chose reste en commun entre les propriétaires des matières dont elle a été formée, elle doit être licitée au profit commun. » Cela est trop absolu. Il est de principe que nul n'est tenu de rester dans l'indivision (art. 815). L'un des communistes peut donc demander que l'indivision cesse; si les deux copropriétaires sont majeurs et capables, ils pourront mettre fin à l'indivision par telle voie qu'ils voudront choisir. C'est seulement quand l'un des communistes est incapable que la licitation devient une nécessité, le partage étant impossible, comme on doit le supposer, puisque ce n'est que dans ce cas qu'il y a communauté. Nous revien

drons, au titre des Successions, sur l'indivision et sur la licitation.

321. L'article 576 porte : « Dans tous les cas où le propriétaire dont la matière a été employée, à son insu, à former une chose d'une autre espèce, peut réclamer la propriété de cette chose, il a le choix de demander la restitution de sa matière en même nature, quantité, poids, mesure et bonté, ou sa valeur. » D'après les termes de la loi, elle ne s'applique qu'à la spécification. Il faut l'appliquer par analogie à l'adjonction et au mélange, parce qu'il y a même motif de décider (1).

"

322. « Ceux qui auront employé des matières appartenant à d'autres, et à leur insu, pourront aussi être condamnés à des dommages et intérêts, s'il y a lieu, sans préjudice des poursuites par voie extraordinaire, si le cas y échet (art. 577). Il y a lieu à dommages-intérêts, d'après le droit commun, non par application de l'article 1146, puisqu'il n'y a aucun lien contractuel entre les parties, mais en vertu des articles 1382 et 1383, aux termes desquels chacun répond de son fait, et même de sa négligence et de son imprudence. Il peut aussi y avoir des poursuites criminelles. C'est à cette hypothèse que se rapporte la fin de l'article 577. L'expression poursuite par voie extraordinaire n'est pas en harmonie avec la législation nouvelle; c'est une locution de l'ancien droit. On y distinguait les poursuites extraordinaires dans lesquelles l'instruction et le jugement étaient secrets, et les poursuites ordinaires qui se jugeaient en audience publique. D'après notre droit actuel, tous les procès criminels sont publics. C'est par une négligence de rédaction que les auteurs du code ont maintenu un terme qui n'a plus de sens (2).

(1) Demolombe, t. X, p. 177, n° 207.

Ducaurroy, Bonnier et Roustain, t. II, p. 90, no 138.

[ocr errors]

TITRE III.

DE L'USUFRUIT, DE L'USAGE ET DE L'HABITATION (1).

CHAPITRE PREMIER.

DE L'USUFRUIT.

SECTION I. Principes généraux.

§ I. Définition et caractères de l'usufruit.

"

323. L'article 578 dit que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance. On lit dans le rapport fait au Tribunat que - cette définition est du petit nombre de celles qui donnent une idée parfaite de leur sujet et que l'on obscurcirait en cherchant à les expliquer (2). » Toullier, au contraire, reproche à cette définition, empruntée du jurisconsulte Paul, de ne point faire connaître suffisamment la nature de l'usufruit. Il dit qu'à la rigueur la définition pourrait s'appliquer au bail. Le fermier n'a-t-il pas le droit de jouir des choses dont le bailleur a la propriété? Il a ce droit pendant toute la durée de son bail, qui peut être aussi longue que

(1) Salviat, Traité de l'usufruit, de l'usage et de l'habitation. 2 vol. 1817. Proudhon, Traité des droits d'usufruit, d'usage, d'habitation et de superficie. 8 vol. (1824). Genty, Traité de l'usufruit, de l'usage et de l'habitation. 1 vol. 1859.

(2) Faure, Rapport, no 2 (Locré, t. IV, p. 130).

celle de l'usufruit. Le fermier a aussi le droit de jouir des choses comme le propriétaire lui-même, et il est évident qu'il en doit conserver la substance (1). Est-ce à dire qu'il n'y ait aucune différence entre le bail et l'usufruit? Il y en a une qui est capitale et qui devrait se trouver dans la définition; les Romains l'exprimaient en un mot, en disant que l'usufruit est une servitude, tandis que le bail est un droit d'obligation.

Le code civil ne dit pas que l'usufruit est une servitude; il paraît même dire le contraire; car les Romains ajoutaient que l'usufruit est une servitude personnelle, c'est-àdire une servitude établie en faveur de la personne de l'usufruitier, tandis que l'article 686 défend d'établir des servitudes en faveur de la personne. En faut-il conclure que l'usufruit n'est pas une servitude personnelle? L'article 686 n'a pas le sens absolu qu'il paraît avoir. Il est certain que, malgré cette disposition et malgré le silence du code dans la définition qu'il donne de l'usufruit, l'usufruit est aujourd'hui ce qu'il a toujours été, une servitude dite personnelle. Dans l'ancien droit, Pothier n'hésitait pas à appeler l'usufruit une servitude personnelle (2); et il en faut dire autant sous l'empire du code civil. Cela résulte du texte même de la loi. Aux termes de l'article 637, « la servitude est une chargè imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. » C'est la définition de la servitude réelle. En quoi la servitude réelle différait-elle de la servitude personnelle? En ce que la charge était établie au profit d'un héritage dans la servitude réelle, tandis que dans la servitude personnelle elle était établie au profit d'une personne. Tel est l'usufruit: c'est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité de l'usufruitier, donc c'est une servitude personnelle. Ce que nous disons de l'usufruit est vrai aussi des droits d'usage et d'habitation. Mais s'il y a encore des servitudes personnelles, pourquoi les auteurs du code ne leur donnent-ils pas ce nom? Et pour

(1) Toullier, t. II, p. 149 (édition de Duvergier), no 387.
(2) Pothier, Coutume d'Orléans, Introduction au titre XIII, no 2.

« PreviousContinue »