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288. Il reste une hypothèse, la plus facile et la moins douteuse. L'atterrissement s'est formé insensiblement sous les eaux, puis il apparaît subitement sur la surface des eaux après une inondation. Est-ce une alluvion, ou est-ce un de ces atterrissements subits que la jurisprudence attribue à l'Etat ? La cour de Nimes a jugé que ce n'est pas une alluvion, parce que l'atterrissement paraît subitement audessus des eaux. C'est confondre la formation de l'atterrissement avec son apparition. Il était formé quand il a paru sur la surface, et il s'était formé, on le suppose, successivement et imperceptiblement. Donc c'est une alluvion. Comme le dit très-bien la cour de cassation, la retraite des eaux, après l'inondation, ne fait que révéler à tous les yeux et mettre à découvert l'alluvion qui s'etait formée avec tous les caractères voulus par la loi, ainsi que l'arrêt de la cour de Nîmes le constatait. Dès lors il devait être cassé (1).

289. Aux termes de l'article 558, l'alluvion n'a pas lieu à l'égard des lacs et étangs. La loi explique en quel sens : « Le propriétaire conserve toujours le terrain que l'eau couvre quand elle est à la hauteur de la décharge de l'étang, encore que le volume de l'eau vienne à diminuer. Réciproquement, le propriétaire de l'étang n'acquiert aucun droit sur les terres riveraines que son eau vient à couvrir dans des crues extraordinaires. » Que dans ce dernier cas il n'y ait pas lieu à alluvion, cela est évident, car il s'agit d'une inondation, laquelle, passagère de sa nature, et étant un cas fortuit, ne change rien aux droits des propriétaires intéressés, comme nous le dirons plus loin. Quant à la diminution des eaux, elle ne donne jamais lieu à un relais, car l'eau ne se porte pas d'une rive à l'autre, vu que ce n'est pas une eau courante. Dès lors toutes les conditions de l'alluvion font défaut. Il s'agit d'une proprieté limitée qui, comme toutes les propriétés, conserve toujours ses anciennes bornes (2).

Que faut-il entendre dans l'article 558 par cette expres

(1) Arrêt de cassation du 25 juin 1827 (Dalloz, au mot Propriété, no 469). La doctrine est d'accord (Aubry et Rau, t. II, p. 249 et note 11). (2) Faure, Rapport au Tribunat, no 18 (Locrẻ, t. IV, p. 90).

sion quand l'eau est à la hauteur de la décharge de l'étang? La cour de cassation a décidé qu'il faut entendre par là, non le seuil du déversoir de l'étang, mais le point extrême d'élévation de ses eaux au moment des crues ordinaires de la saison d'hiver (1). Nous reviendrons, au titre des Servitudes, sur cette question, ainsi que sur les autres difficultés auxquelles l'article 558 donne lieu (2).

290. La loi ne parle pas des canaux ni des rivières canalisées. Faut-il leur appliquer le principe des articles 556 et 557, ou faut-il appliquer par analogie ce que l'article 558 dit des lacs et étangs? C'est ce dernier principe qui doit recevoir son application aux canaux. Faits de main d'homme, de même que les étangs, les canaux sont des propriétes limitées. Les francs-bords sont une dépendance du canal, à ce point que la jurisprudence admet qu'à titre d'accessoire ils sont présumés appartenir au propriétaire du canal; donc, si des atterrissements se forment le long des francs-bords, ils doivent lui appartenir également. Quant aux rivières canalisées, il faut distinguer; tant qu'elles conservent leur cours naturel, ce sout des rivières ordinaires, et par conséquent elles restent dans le droit commun quant aux alluvions: là où des travaux d'art leur ont donné un cours artificiel, ce sont de vrais canaux, et partant on doit leur appliquer ce que nous venons de dire des canaux. La doctrine est unanime sur ces points (3).

291. Aux termes de l'article 557, le droit d'alluvion n'a pas lieu à l'égard des relais de la mer. Cela veut dire que ces relais n'appartiennent pas aux propriétaires riverains, ils appartiennent à l'Etat. Ceci n'est pas une exception, c'est au contraire une application des principes qui régissent l'alluvion. Qui profite des relais? Le propriétaire de la rive découverte, dit l'article 557. Et qui est propriétaire des rivages de la mer? L'Etat; c'est donc à lui que les relais doivent appartenir. L'application du principe donne

(1) Arrêt de rejet du 13 mars 1867 (Dalloz, 1867, 1, 270). (2) Voyez le tome VII de mes Principes, nos 242 et suiv.

(3) Aubry et Rau, t. II, p. 248 et note 3. Demolombe, t. X, p. 39, nos 44

lieu à de grandes difficultés, lorsque des fleuves, à leur embouchure, reçoivent les eaux de la mer et semblent se confondre avec elle. Faut-il, dans ce cas, appliquer les principes qui régissent les fleuves ou ceux que la loi établit pour les rivages de la mer? La solution dépend de la question de savoir jusqu'où s'étend le rivage la mer. Nous l'avons examinée plus haut (n° 6). Ce qui est certain, c'est que les atterrissements qui se forment sur les rives d'un fleuve, par l'effet du flux de la mer, appartiennent aux riverains (1). Reste seulement à fixer la limite où le fleuve devient mer. Nous renvoyons à ce que nous avons dit des schoores et des polders (n° 46). Les principes que le code civil établit sur l'alluvion ne s'appliquent pas aux terres d'alluvion appelées schoores : ces terres, assimilées, par le décret du 11 janvier 1811, aux lais et relais de la mer, sont une dépendance du domaine de l'Etat, et n'entrent dans le domaine des particuliers que par voie de concession (2).

La loi du 16 septembre 1807 permet au gouvernement de concéder les relais de la mer. Naît alors la question de savoir à qui appartiennent les relais nouveaux qui se forment le long des terrains concédés. Il nous semble que ces alluvions doivent profiter au concessionnaire. N'est-il pas propriétaire des terrains concédés? Pourquoi donc n'aurait-il pas droit aux relais? L'opinion contraire est cependant généralement suivie (3). Elle se base sur les termes absolus de l'article 557, qui semblent exclure toute alluvion au profit des riverains de la mer. Nous ne comprenons pas que ce texte ait arrêté les interprètes. Il suppose évidemment que l'Etat est resté propriétaire des rivages de la mer. Comme nous venons de le dire, c'est l'application du droit commun en vertu duquel l'alluvion profite au riverain. Or, dans l'espèce, ce n'est plus l'Etat qui est riverain. Donc le même principe qui a fait attribuer les relais de la mer à l'Etat doit les faire attribuer aux concessionnaires des relais. A quel titre l'Etat réclame

(1) Arrêt de rejet du 22 juillet 1841 (Dalloz, au mot Propriété, no 106). (2) Bruxelles, 12 août 1856 (Pasicrisie, 1857, 1, 25).

Demolombe, t. X, p. 21, no 22 et les auteurs qu'il cite.

rait-il des rélais, alors qu'il a cessé d'être riverain là où de nouveaux relais se forment?

II. A qui profite l'alluvion!

292. L'article 556 dit que l'alluvion profite au propriétaire riverain, c'est-à-dire, comme l'a décidé la cour de cassation, au riverain qui joint immédiatement le fleuve. Ce principe découle de la nature même de l'alluvion. En cas de relais, la chose est évidente, puisque c'est la propriété riveraine qui s'étend à mesure que les eaux se retirent d'une rive pour se porter sur l'autre. Elle est tout aussi évidente en cas d'alluvion, puisque la terre d'alluvion s'est formée successivement et imperceptiblement en accroissant le fonds riverain, ce qui implique une adhérence immédiate, une jonction sans intermédiaire (1). On conçoit que les terres d'alluvion se formant insensiblement appartiennent par droit d'accession aux propriétaires riverains; mais quoique successifs et imperceptibles, ces accroissements sont parfois très-considérables. Les terrains de nouvelle formation se forment aux dépens d'autres riverains; ne serait-il pas juste que ceux-ci fussent indemnisés de cette lente expropriation que produit l'action des eaux? La loi ne leur accorde aucune indemnité, parce qu'il est impossible de déterminer quels sont les riverains qui ont gagné ce que d'autres perdent. Quand une rivière se porte d'une rive sur l'autre, on sait bien qui est le propriétaire gagnant, mais on ignore où se portent les parcelles de terre que les eaux enlèvent au propriétaire de la rive; et en cas d'alluvion proprement dite, on ne sait pas davantage de quels fonds proviennent les accroissements insensibles qui enrichissent les uns aux dépens des autres. Il est donc impossible d'appliquer la maxime d'équité qui défend de s'enrichir aux dépens d'autrui.

L'article 557 impose cependant une obligation aux riverains qui profitent de l'alluvion, celle de laisser le

(1) Arrêt de cassation du 16 février 1836 (Dalloz, au mot Propriété, no 486). Arrét de rejet du 17 juillet 1844 (Dalloz, ibid., no 472).

marchepied ou chemin de halage, conformément aux règlements. On sait que le marchepied ou chemin de halage est une servitude légale établie dans l'intérêt de la navigation (art. 650). Nous y reviendrons au titre des Servitudes. Le riverain reste donc propriétaire du terrain sur lequel cette servitude s'exerce; quoique destiné à un usage public, le chemin de halage ne devient pas un chemin public. Il résulte de là une conséquence importante en cas d'alluvion; c'est que l'alluvion profite à celui à qui appartient le terrain grevé de servitude; il continue à supporter cette charge, mais elle se déplace; elle s'exercera sur la terre d'alluvion, et par cela même elle cessera de grever l'ancien terrain, lequel sera affranchi de la servitude de marchepied; par suite, le riverain en reprend la pleine et entière propriété (1).

Il se peut que, par exception, le terrain qui sert de chemin de halage appartienne à l'Etat ou à une commune; on applique alors le principe que c'est au riverain qu'appartient l'alluvion, quel qu'il soit. L'application du principe fut d'abord contestée en ce qui concerne les chemins vicinaux et les chemins publics; on prétendait, en se fondant sur l'ancien droit, que l'alluvion devait appartenir aux propriétaires des terrains situés au delà de la route. La jurisprudence a repoussé ces prétentions; elle a écarté l'ancien droit, qui est abrogé par la législation nouvelle. Quant au droit nouveau, il ne laisse aucun doute. Le code attribue l'alluvion au propriétaire riverain, sans distinction entre les particuliers et les communes ou l'Etat; or, les communes sont généralement propriétaires des terrains qui servent de chemins vicinaux (), de même que l'Etat est propriétaire des chemins publics. Cela décide la question (3). Par application du même principe, il a été jugé que si une alluvion se forme le long d'une digue construite par une association de propriétaires, elle appartient non

(1) Montpellier, 5 juillet 1833 (Dalloz, au mot Propriété, no 490). (2) Nous reviendrons sur la propriété des chemins vicinaux, au titre des Servitudes.

(3) Arrêts de cassation du 12 décembre 1832 (Dalloz, au mot Propriété, n° 488, 2o) et du 16 février 1836 (Dalloz, ibid., no 486).

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