Page images
PDF
EPUB

les conditions résolutoires ne placent pas la chose hors du commerce; le propriétaire qui n'a qu'un droit résolutoire ne peut transmettre aux tiers que des droits également résolutoires; mais il peut aliéner, donc il n'y a pas prohibition d'aliéner.

Il y a des arrêts qui s'expliquent et se justifient par des motifs analogues. Ainsi il a été décidé qu'un père peut, en faisant le partage de ses biens entre ses enfants par actes entre-vifs, imposer à ceux-ci la condition de ne pas aliéner les biens donnés, de son vivant, sans son consentement (1). Il n'y a pas là de prohibition d'aliéner, c'est un partage d'ascendant fait sous condition résolutoire, ce qui est très-licite. A plus forte raison doit-on considérer comme valable la clause d'un partage d'ascendant qui oblige l'un des copartageants, dans le cas où il voudrait aliéner son lot, à en proposer préalablement l'échange contre l'un des lots échus à ses copartageants (2). Un père fait une institution contractuelle au profit de son fils; celui-ci, après la mort de sa femme, se remarie; le père intervient au contrat de mariage pour ratifier la première institution, sous la condition que le fils donataire ne pourra avantager les enfants du second lit au préjudice de ceux du premier. La cour de cassation a décidé que cette convention était un pacte de famille et non une prohibition d'aliéner. Elle maintient donc le principe que la prohibition d'aliéner est illicite; mais il ne faut pas confondre avec la prohibition d'aliéner qui met les biens hors du commerce, des conditions qui, tout en laissant les biens dans le commerce, restreignent la liberté de disposer à titre gratuit (3).

§ III. De la propriété révocable (4).

104. La propriété est de sa nature irrévocable, c'està-dire perpétuelle. Bien que la loi ne le dise pas, cela est

(1) Angers, 29 juin 1842 (Dalloz, 1846, 4, 163); Orléans, 17 janvier 1846 (Dalloz, 1846, 2, 203).

(2) Limoges, 1er juillet 1840 (Dalloz, au mot Dispositions entre-vifs, n° 180, 4®).

(3) Arrêts de rejet du 11 ventose an x et du 7 février 1831 (Dalloz, au mot Dispositions entre-vifs, no 180, 1° et 3°.

(4) Aubry et Rau, t. II, p. 400, § 220 bis.

admis par tout le monde, parce que cela résulte du pouvoir absolu qu'a le propriétaire de disposer de la chose, droit qui ne se concevrait pas si la propriété était temporaire. En faut-il conclure que la propriété est irrévocable et perpétuelle de son essence? Avant d'examiner la question, il faut voir dans quels cas la propriété peut être révoquée, résolue, annulée ou rescindée, et quelles sont les conséquences qui en résultent. On met parfois sur la mêm、 ligne les divers cas dans lesquels la propriété est anéantie; il importe de les distinguer, car ils sont régis par des principes différents.

103. La propriété est résoluble quand elle est transmise sous une condition résolutoire, expresse ou tacite. Lorsque la condition s'accomplit, elle rétroagit; il en résulte que celui dont la propriété est résolue n'a jamais été propriétaire. On ne peut pas dire qu'il y ait, dans ce cas, une propriété temporaire; la propriété est censée n'avoir jamais été transmise, par conséquent l'ancien propriétaire est resté propriétaire. Il ne faut pas confondre la propriété résoluble avec la propriété qui serait résolue par la convention des parties, après avoir été transmise purement et simplement telle serait une vente pure et simple que les parties déclareraient résolue. Ce n'est pas là une résolution, c'est une nouvelle vente; la première a produit son effet, l'acheteur est devenu propriétaire en vertu du contrat; les parties ne peuvent plus résoudre leur convention, parce que la transmission de la proprieté est un fait accompli, que le consentement contraire des parties ne peut pas détruire; tout ce qu'elles peuvent faire, c'est que par un nouveau concours de consentement l'ach teur revende la chose au vendeur; il y aura donc deux ventes, tandis que dans le cas de la condition résolutoire qui s'accomplit, il n'y a jamais eu de vente. Nous reviendrons sur ces principes au titre des Obligations.

La conséquence qui résulte de la résolution est que le propriétaire sous condition résolutoire n'ayant pu conférer aux tiers que des droits également résolutoires, ces droits sont résolus par cela même que la propriété de celui qui les a concédés est résolue: il n'a jamais été propriétaire,

il n'a donc pas pu faire d'acte de propriété. Ainsi la résolution réagit contre les tiers. Si le propriétaire sous condition résolutoire a aliéné la chose, l'ancien maître peut la revendiquer après que la condition résolutoire se sera accomplie. Il y a exception s'il s'agit de meubles; l'exception ne porte pas sur la résolution et sur ses effets, elle tient au principe qu'en fait de meubles, possession vaut titre (art. 2279), principe qui ne permet pas de revendiquer des objets mobiliers contre un tiers possesseur de bonne foi, ni d'exercer aucun droit réel mobilier contre le tiers possesseur. Y a-t-il aussi exception au principe quant aux fruits? c'est-à-dire, le possesseur peut-il les gagner en invoquant sa bonne foi? Nous traiterons la question au titre des Obligations.

Que faut-il decider des baux faits par le propriétaire dont le droit est résolu? L'ancien maître doit il les respecter? On enseigne l'affirmative en se fondant sur l'article 1673, qui règle les effets de la clause de rachat (1). Ce pacte est une vraie condition résolutoire potestative; or, quand le vendeur use du droit de rachat, il est tenu d'exécuter les baux faits saus fraude par l'acquéreur. Il y a même motif de décider, dit-on, dans les autres cas de résolution, donc on doit appliquer par analogie la disposition de l'article 1673. Nous croyons que l'interprétation a alogique est inadmissible dans l'espèce. En effet, l'article 1673 est une exception: la résolution ayant cet effet que l'acheteur est censé n'avoir jamais eu aucun droit sur la chose, les baux qu'il consent devraient tomber, car pour donner à bail, il faut ou être propriétaire, ou usufruitier, ou du moins avoir le droit d'administration; or, l'acheteur, quand la vente est résolue, n'a eu aucun droit sur la chose, le bail devrait donc être resolu aussi bien que les actes de disposition. Puisque c'est par dérogation à un principe général que l'article 1673 maintient les baux, on ne peut l'étendre à des cas non prévus, l'exception ne peut jamais devenir une règle (z).

(1) Aubry et Rau, t. II, p. 402, note 12.

Voyez le tome Ier de mes Principes, p. 351, no 277.

106. Les principes qui régissent la résolution s'appliquent aussi aux cas où le titre du propriétaire est annulé ou rescindé. En effet, l'annulation ou la rescision impliquent un vice qui infecte le titre d'acquisition et qui le rend nul ou rescindable. Quand la nullité ou la rescision est prononcée par le juge, il en résulte que le titre est censé n'avoir jamais existé. C'est en ce sens qu'il faut entendre l'adage que ce qui est nul ne produit aucun effet : le jugement remonte nécessairement au moment où le titre a pris naissance, puisque c'est à ce moment que le vice existe, et c'est à raison de ce vice que le tribunal déclare que l'acte est nul. Il y a une différence entre la résolution et l'annulation, c'est que la condition résolutoire, quand elle est expresse, opère de plein droit, en vertu du contrat, sans l'intervention du juge et sans que les parties doivent manifester leur volonté; tandis que la nullité n'agit jamais de plein droit; elle doit être demandée en justice, et c'est le juge qui la prononce. Cette différence n'influe pas sur l'effet rétroactif de l'annulation; la nullité n'existe pas à partir du jugement, car ce n'est pas le tribunal qui la crée, il ne fait que la déclarer. Mais la difference n'est pas sans importance quand il s'agit des droits que le propriétaire dont la propriété est résolue ou annulée a concédés à des tiers. En cas de résolution, la condition résolutoire expresse opérant de plein droit, le titre du propriétaire s'évanouit dès l'instant où la condition s'accomplit; dès ce moment aussi, les droits qu'il a conférés à des tiers tombent, et par suite l'ancien maître peut revendiquer sa chose entre les mains de ceux qui la détiennent. Il n'en est pas de même lorsque le titre du propriétaire est annulable ou rescindable; ce titre n'étant pas nul de plein droit, l'ancien maître doit agir en nullité; il ne peut intenter l'action que contre celui avec lequel il a contracté, puisque l'action naît du contrat; il ne peut pas agir en nullité contre les tiers possesseurs de la chose, car il n'a pas contracté avec eux; c'est seulement après que la nullité aura été prononcée par le tribunal que l'ancien maître pourra agir contre les tiers, en revendiquant sa chose; il n'a pas besoin de demander la nullité du titre en vertu duquel les tiers possè

dent, leur titre s'évanouit par l'annulation du titre de leur

auteur.

Il y a encore une autre différence entre le titre résolutoire et le titre nul ou rescindable. Quand la condition résolutoire est expresse, elle opère de plein droit la résolution du titre, c'est-à-dire que les parties ne pourraient pas, quand même elles le voudraient, maintenir le titre primitif. Lors, au contraire, que le titre est nul ou rescindable, le vice qui l'infecte peut disparaître en vertu d'une confirmation, et le titre confirmé est pleinement valable, la confirmation rétroagissant au jour où l'acte a été passé, sauf les droits des tiers. Nous reviendrons sur cette matière au titre des Obligations. C'est aussi là que nous expliquerons les effets de la condition résolutoire tacite : cette condition n'opère pas de plein droit, elle doit être demandée en justice, mais lorsque la résolution est prononcée, elle rótroagit.

107. Les mêmes principes reçoivent leur application au cas où le titre du propriétaire est attaqué par l'action en réduction que les légitimaires intentent pour atteinte portée à la réserve. C'est une espèce de condition résolutoire tacite; celui qui donne au delà de la quotité disponible n'a plus le droit de disposer à titre gratuit; donc la donation est faite sous cette condition qu'en cas d'excès, elle sera sujette à réduction. On peut dire aussi que ces donations sont entachées d'un vice, le défaut de capacité du donateur. De quelque façon que l'on envisage la réduction, l'effet est le même, c'est que le titre du donataire est anéanti rétroactivement; l'annulation et la condition résolutoire tacite opèrent de la même manière, par une demande en justice, et la décision du juge rétroagit, soit qu'il y ait résolution ou annulation. On applique donc au titre réductible ce que nous venons de dire du titre annulable.

108. Les mêmes principes reçoivent encore leur application à la restitution de l'indú. Celui qui reçoit ce qui ne lui est pas dû n'a pas de titre, puisque celui qui a fait le payement indû n'était pas son débiteur. Donc quand le juge déclare que le payement est indû, il décide par cela même que le possesseur n'a jamais eu de droit sur la

« PreviousContinue »