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manière à ne pas en épuiser, par une exploitation hâtive, les

revenus.

On reproche à notre théorie de donner lieu à de grandes difficultés de fait. Mais ces difficultés ne se produisent-elles pas quand il s'agit de savoir si le preneur a ou non épuisé la terre pour lui faire produire rapidement de belles récoltes? Réciproquement, dans l'hypothèse où le prix du bail consiste soit dans une redevance proportionnelle aux produits, soit dans une part des produits en nature, l'obligation de jouir en bon père de famille emporte l'obligation de recueillir une quantité de produits suffisante, et telle qu'un exploitant diligent l'aurait fait.

Cela a été jugé pour la concession de mines et carrières ('), et nous répétons que cette solution est vraie même pour les auteurs qui ne considèrent pas cette concession comme un bail.

Les objections qu'on a faites à cette doctrine reproduisent celles que nous avons réfutées à propos du point de savoir si le concessionnaire d'une mine ou carrière pour un prix annuel, peut épuiser rapidement, par une exploitation hâtive, les richesses du sol.

Le preneur épuiserait encore le sol s'il en enlevait la terre ou les moellons.

759. Il est évident que le droit d'enlever ces matières peut être conféré au fermier; cette concession constitue une vente mobilière (2), car elle porte sur des parcelles détachées du sol et dont le bailleur aliène la propriété.

SECTION VIII

OBLIGATION DE JOUIR DE LA CHOSE SUIVANT SA DESTINATION

760. Aux termes formels de l'art. 1728 (3), la destination de la chose est indiquée par la convention et, s'il n'y a pas de convention, par les circonstances.

Bordeaux, 2 mai 1846, S., 47. 2. 15, D., 47. 2. 60.

n. 199.

Contra Guillouard, I,

(2) Cass. req., 15 fév. 1893, S., 94. 1. 149, D., 93. 1. 292. — V. infra, n. 779 s. 3, V. supra, n. 691.

761. La convention prévoit généralement le mode de jouissance (').

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Les circonstances qu'on peut considérer à défaut de con

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(1) « Si, disait Pothier (n. 189), une maison a été louse comme maison bðurgeoise, el était exploitée comme telle, il ne sera pas permis au locataire d'en faire un cabaret ou un brelan, d'y établir une forge de maréchal ou de serrurier ». Guillouard, I, n. 195 et 196. Ainsi on ne peut établir une maison de commerce dans un immeuble qui a toujours été habité bourgeoisement, qui a été aménagé comme tel. Trib. civ. Huy (Belgique), 12 juin 1894, Pasier., 94. 3. 279, — ou qui est déclaré devoir être habité bourgeoisement. Trib. civ. Lyon, 25 janv. 1881, S., 81. 2. 219. Huc, X, n. 308. — On ne peut établir un café-concert dans l'endroit loué en vue de l'établissement d'un café ou d'un débit de boissons. Grenoble, 8 mai 1882, S., 84. 2. 123, D., 83. 2. 94. Bordeaux, 8 août 1898, Gaz. Trib., 10 déc. 1898. Trib. civ. Chambéry, 18 juin 1889, Mon. jud. Lyon, 24 août 1889. Guillouard, I, n. 197, ou d'un café-restaurant. Paris, 25 juin 1896, Loi, 2 nov. 1896. Trib. civ. Cholet, 24 janv. 1896, Rec. Angers, 96. 79, — ni un débit de boissons dans un établissement loué pour un bureau de tabacs. Grenoble, 30 juin 1894, Rec. Grenoble, 94. 260, — ni un restaurant dans un établissement loué pour un café. Trib. civ. Lyon, 9 avril 1895, Mon. jud. Lyon, 12 juil. 1895, — ni un établissement de logeur en garni, si l'immeuble est loué pour le commerce de marchand de vins-traiteur. Paris, 8 juin 1905, Droit, 9 sept. 1905.—Trib. civ. Seine, 17 fév. 1901, Gaz. Trib., 3 juin 1904. - Dans l'immeuble loué pour un magasin de comestibles, le preneur ne peut vendre du poisson. Trib. civ. Seine, 29 juin 1898, Droit, 20 août 1898. — L'immeuble loué à une société musicale pour y établir un cercle, ne peut être transformé en cercle donnant des représentations presque publiques. Trib. civ. Arras, 22 déc. 1886, Gaz. Pal., 87. 1. 531. — Si le bail porte que l'immeuble est loué pour être habité, le preneur ne peut y installer un atelier, même dans un but exclusivement charitable. C. d'appel Londres, 28 mai 1886, Journ. de dr. intern., XIII, 1886, p. 120, ni un débit de boissons. Amiens, 8 mai 1894, Rec. Amiens, 94. 145. S'il est dit que l'immeuble doit être occupé bourgeoisement, le preneur ne peut faire des locations en garni, au jour ou à la semaine. Trib. civ. Seine, 24 déc. 1900, Gaz. Pal., 1901. 1. 378. Le preneur d'un restaurant ne peut donner des banquets avec bals publics. Trib. civ. Seine, 19 avril 1904, Droit, 7 sept. 1904. Jugé que la clause d'un bail interdisant au preneur de vendre des articles de bureau et de papeterie, ne l'empêche pas de vendre des livres anciens et modernes. Paris, 7 fév. 1892, Gaz. Pal., 93. 2. 2o p., 50; · que le commerce d'épicerie comporte le droit de vendre des légumes, du pétrole et des liqueurs au verre sans comptoir. Trib. civ. Lille, 18 avril 1899, Mon. jud., 1900. 63; l'obligation d'exercer un commerce déterminé n'est pas méconnue par le preneur qui, en outre, vend quelques marchandises d'une autre catégorie. Gand, 27 nov. 1873, Pasicr., 74. 2. 55. Huc, X, n. 308; que le preneur d'une boutique à usage d'épicerie peut vendre du lait, des primeurs, des volailles, du gibier, du poisson, de la charcuterie. Trib. civ. Seine, 22 déc. 1904, Droit, 10 fév. 1905 ; que le locataire d'une usine peut utiliser la force motrice pour fournir l'électricité à une ville. Trib. civ. Angoulême, 27 janv. 1904, Droit, 8 juin 1904. — Jugé même que le locataire auquel l'immeuble a été loué pour y exercer l'ébénisterie, peut y établir une boucherie. Trib. civ. Vervins, 31 janv. 1877, Cloes et Bonjean, Jurispr. des trib., 78-79. 571. — V. cep. Huc, loc. cit. Cpr. supra, p. 272, note 6.

que

vention sont des plus variées. Les observations du Tribunat portent : « Ces circonstances sont si variées qu'elles ne sont point susceptibles d'être prévues par la loi. Le législateur ne peut se dispenser de s'en rapporter à cet égard à la sagesse et à l'expérience des juges » (').

La première circonstance à consulter est la destination. actuelle de la chose (2).

Le projet de l'art. 1728 disposait à cet égard qu'à défaut de convention, le preneur devait jouir « suivant l'usage ». Cette proposition fut modifiée sur l'observation faite par le Tribunat que les circonstances pouvaient faire penser que les parties avaient voulu changer la destination de la chose (3). La destination ancienne.est donc l'un des principaux éléments à l'aide desquels le juge peut déterminer la destination voulue par les parties; mais le juge peut, sans encourir la cassation, puiser ailleurs ses éléments d'appréciation (*).

Ainsi le locataire de tout ou partie d'un immeuble qui a toujours été habité bourgeoisement ne peut convertir son habitation en hôtel (5).

Toutefois la profession du preneur peut indiquer chez les parties l'intention de modifier la destination ancienne ("). Ainsi le Tribunat disait avec raison (7) que si une maison antérieurement occupée par un boulanger est louée à un serrurier, ce dernier peut y exercer sa profession (8).

Si donc le bail mentionne la profession du preneur, il peut

1) Fenet, XIV, p. 281.

Rennes, 23 avril 1896, Rec. Angers, 96. 308. — Cpr. Guillouard, n. 196.

(3 Fenet, IV, p. 281.

* Huc, X, n. 300.

Б Bastia, 4 mai 1892, D., 92. 2. 446. — Trib. civ. Seine, 2 nov. 1895, Gaz. Pal., 95. 2. 631. Trib. civ. Seine, 22 fév. 1899, Droit, 19 juil. 1899 conversion en maison de famille). Lige, 9 avril 1895, Jurispr. Liège, 96. 273. Trib. civ. Bruxelles, 21 mars 1891, Pand. pér. belg., 94, n. 1354. — Trib. civ. Huy, 12 juin 1894, Pand. pér. belg., 94, n. 1354. - Huc, X, n. 308; Agnel, n. 319; Planiol, II, n. 1691; Siville, VI, n. 526. Sur le point de savoir s'il peut sous-louer pour cette destination, v. infra, n. 1073.

(6) Paris, 18 mars 1892, Rev. algér, 92. 230.

(7) Fenet, XIV, p. 281.

18 Guillouard, I, n. 196.

CONTR. DE LOUAGE. I.

Guillouard, I, n. 196.

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être décidé que l'immeuble loué a été destiné à l'exercice de cette profession ('), ou tout au moins que le preneur peut y exercer un commerce (2).

Toutefois, il n'en est pas toujours ainsi; cette mention peut avoir pour but simplement de désigner le preneur d'une manière précise sans lui permettre d'exercer son industrie dans l'immeuble. Ainsi un appartement d'une maison bourgeoise loué à un forgeron ne devra pas, en général, comporter l'installation d'une forge (3).

La profession du preneur, même non indiquée dans le bail, peut être prise en considération s'il est avéré que le bailleur la connaissait et que les parties ont entendu que cette profession s'exercerait dans l'immeuble loué.

762. Lorsqu'il est dit que l'immeuble est loué pour telle destination, le preneur ne peut la modifier (*).

C'est modifier la destination que de joindre au commerce du preneur un autre commerce (5); toutefois, il en est autre

() Paris, 4 juil. 1888, Gaz. Pal., 88. 2. 274 (un marchand de vins ne peut joindre à son commerce la vente des huitres). Bordeaux, 18 juil. 1899, D., 1900. 2. 357. -Trib. civ. Marseille, 7 mai 1887, Rec. d'Aix, 88. 51 (un marchand de comestibles fins ne peut vendre, en outre, de la pâtisserie). — Trib. civ. Seine, 4 juin 1887, Gaz. Pal., 87. 2. 51 maintenu par Paris, 4 juil. 1888, précité. — Trib. civ. Seine, 15 déc. 1902, Gaz. Trib., 24 janv. 1903 (le locataire qui a loué comme tailleur ne peut exercer la profession de coiffeur). — Trib. civ. Seine, 18 nov. 1903, Gaz. Trib., 5 janv. 1904 le preneur qui s'est engagé à exercer la profession de confectionneur de robes et manteaux ne peut y ajouter un commerce de modes). - Guillouard, I, n. 196. Le contraire peut être également décidé : jugé que le bail à un négociant d'un appartement dans us immeuble habité bourgeoisement, ne permet pas au preneur d'entreposer les marchandises de son commerce dans la cour de l'immeuble. Trib. civ. Seine, 2 nov. 1895, Gaz. Pal., 95. 2. 534. Décidé que, en tout cas, le preneur peut accessoirement ajouter une seconde industrie à la première. — Trib. civ. Bordeaux, 30 mars 1892, Loi, 27 mai 1892. En tout cas, s'il est stipulé que le preneur ne pourra céder le bail qu'à son successeur, le preneur est implicitement obligé de maintenir jusqu'à la fin du bail le commerce qu'il exerce. - Trib. civ. Seine, 13 déc. 1898, Droit, 28 mars 1899. (Amiens, 8 mai 1894, Rec. d'Amiens, 94. 145. Hue, X, n. 309.

(3) V. la note 1, supra.

--

(1) Bordeaux, 8 août 1898, Gaz. Trib., 10 déc. 1898 (il ne peut transformer un café en café-concert. Trib. civ. Seine, 3 mai 1890. 1904, Gaz. Trib., 3 juin 1904 (conversion en hôtel..

- Trib. civ. Seine, 17 fév. V. supra, n. 761.

(5) Trib. civ. Scine, 3 mai 1890 un local loué pour un établissement de gymnastique ne peut être affecté, même une ou deux fois par semaine, à des conférences littéraires. — V. cep. supra, p. 132, note 1.

ment si ce nouveau commerce peut être regardé comme l'accessoire du premier (').

763. En toute hypothèse, et à moins d'une convention formelle, le preneur ne peut établir dans l'immeuble un commerce ou une industrie immoraux, par exemple une maison de tolérance (2), car ce ne peut être la destination normale de l'immeuble loué.

Toutefois nous faisons exception pour le cas où la destination antérieure était en ce sens.

764. De même on ne peut exercer dans une maison habitée bourgeoisement un commerce encombrant (3).

765. Le preneur ne peut pas davantage vivre d'une manière immorale sans qu'il y ait abus de jouissance.

Il peut cependant vivre avec une concubine (*).

On ne peut pas reprocher non plus au preneur les actes peu honorables qu'il a pu faire ou la déconsidération qui s'attache à lui (5).

766, L'obligation de jouir de la chose suivant sa destination n'est pas remplie si le preneur n'apporte pas les meubles suffisants pour la destination de la chose (6).

Ainsi un aubergiste doit entretenir un mobilier suffisant pour l'exploitation de l'auberge (7).

Cette obligation n'a rien de commun avec l'obligation principale de garnir la chose louée, laquelle a pour but d'assurer le paiement des loyers et non pas le maintien de la valeur de la chose louée. Aussi, quoique l'art. 1752 permette au locataire de suppléer à l'insuffisance du mobilier par une sûreté, aucune sûreté ne peut tenir lieu du mobilier nécessaire à l'exploitation (*).

En sens inverse, tandis que l'obligation de garnir exige un

(I ouai, 19 avril 1898, Rec. Douai, 98. 269.

* V. supra, n. 719.

Trib. civ. Seine, 2 nov. 1895, Gaz. Pal, 95. 2. 634 tonneaux de vin emmagasinés dans la cour). V. supra, note 1, p. 432. (V. supra, n. 719.

5 V. supra, n. 719.

Rennes, 17 mars 1834, S., 34. 2. 596. — Guillouard, II, n. 466.

(Rennes, 17 mars 1834, précité.

Guillouard, II, n. 466.

* Rennes, 17 mars 1834, précité. - Guillouard, II, n. 466.

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