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L'obligation de faire jouir, imposée au bailleur par l'art. 1719, ne peut s'entendre, suivant le sens littéral des termes, que d'une jouissance complète au point de vue matériel et au point de vue moral; il faut, en d'autres termes, que le preneur ait la jouissance entière de la chose louée et que cette jouissance soit, en quelque sorte, de bonne qualité; mais le bailleur n'a en aucune manière garanti les profits que le preneur pourrait retirer de la chose louée.

Cette solution est, en outre, conforme au principe que tout ce qui n'est pas défendu est permis; on ne peut supposer qu'en l'absence de toute clause le bailleur ait admis des restrictions, autres que celles que lui impose son obligation de faire jouir, à son droit de libre disposition.

Le preneur, objecte-t-on, n'aurait pas loué s'il avait su que le bailleur lui susciterait un concurrent dans le même immeuble. Nous répondrons qu'il avait à prendre lui-même ses précautions en faisant insérer une clause d'interdiction dans le bail. Du reste, on peut faire le même raisonnement pour le cas où une industrie similaire est installée dans un immeuble voisin appartenant à un tiers et cependant il est certain que le preneur n'a, en ce cas, aucun recours contre le bailleur.

On objecte encore que la location à une industrie similaire constitue un changement à la forme de la chose louée, interdit par l'art. 1723. Nous avons déjà rencontré cet argument à propos de la location à une industrie insalubre ou incommode, et nous l'avons réfuté.

La garantie n'existe même pas vis-à-vis du preneur auquel

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Paris, 12 mars 1863, S., 63. 2. 221. — Paris, 27 janv. 1864, S., 64. 2. 257. - Toulouse, 14 mars 1864, S., 64. 2. 28. Grenoble, 26 juin 1866, S., 67. 2. 54. Bordeaux, 7 nov. 1873, D., 74. 2. 136. Caen, 29 avril 1874, Rec. de Caen, 1875, p. 224. Dijon, 5 mai 1875, S., 75. 2. 112. Lyon, 13 juin et 4 août 1894, Mon. jud. Lyon, 5 août 1895 (sauf dans le cas où les locaux ne sont pas contigus, notamment sont séparés par deux magasins et une allée). - Lyon, 13 mars 1902, Mon. jud. Lyon, 11 sept. 1902. — Trib. com. Gournay, 7 mars 1892, Gaz. Pal., 92. 1. 38. Trib. civ. Seine, 22 nov. 1894, Pand. franç., 95. 2. 334. Trib. paix Pantin, 10 juin 1887, Gaz. Pal., 87. 2. 138. Bezout, Des industries similaires, n. 17 et 18; de Villepin, Ann. de la propr. indust., 1860, p. 177; Agnel, n. 203; Tailliar, vo Industrie similaire, n. 21; Guillouard, I, n. 138 et 139; Fuzier-Herman, art. 1719, n. 87 et 94 s.

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le bailleur impose l'exercice d'une profession déterminée ('); cette clause impose une obligation au preneur et ne lui donné aucun droit.

L'obligation de la garantie ne naît pas davantage de ce que le bailleur a connu la profession du preneur et même do ce que cette profession a été indiquée dans le bail (*).

485. Certains auteurs font une distinction (3). Ils veulent qu'une partie de l'immeuble ne puisse pas être louée pour l'exercice d'un commerce ou d'une industrie similaire à celui qui est déjà exercé par un locataire, si la partie de l'immeu ble louée à ce dernier était disposée pour le commerce ou l'industrie qu'il y exerçait; mais ils décident le contraire dans l'hypothèse où, sans qu'il y ait une disposition antérieure, le bail énonce que le preneur se propose d'y exercer tel com merce ou telle industrie. Certains arrêts ont adopté soit la première (*), soit la seconde solution (").

Cette distinction repose'sans doute sur l'idée que dans le premier cas l'engagement tacite du bailleur se manifeste plus énergiquement que dans le second. Toutefois, nous croyons devoir la rejeter; car il est certain que si cet engagement tacite existe, il doit être suppléé dans le premier cas aussi bien que dans le second; l'intention du preneur est en effet également connue du bailleur dans les deux cas. On ne peut donc pas admettre l'exactitude de cette distinction ().

486. Si, comme nous l'avons soutenu, le bailleur peut introduire dans l'immeuble un tiers exerçant un commerce similaire, il n'est pas tenu davantage à garantie lorsqu'un

(1) Lyon, 19 mai 1896, S., 97. 2. 209.

Contra Paris, 17 déc. 1891,

Trib. civ. Seine, 29 mars 1893, Gaz. Pal., 93. 1. 483. Trib. civ. Lyon, 10 fév. 1898, Mon. jud. Lyon, 20 mai 1898. Trib. civ. Seine, 17 juil. 1900, Droit, 30 oct. 1900. Droit, 10 janv. 1892 (en fait). V. infra, n. 501 s. (2) Arrêts précités.

(3) Aubry et Rau, IV, p. 475, § 366, notes 8 et 9.

() Montpellier, 26 juin 1844, S., 44. 2. 477. Aix, 6 août 1862, S., 63. 2. 223,

- Lyon, 3 déc. 1864, S., 65. 2. 131.

Cass. req., 29 janv.

(5) Cass. civ., 6 nov. 1867, S., 67. 1. 421, D., 68. 1. 129. 1868, S., 68. 1. 116, D., 68. 1. 213. - Paris, 8 mai 1862, S., 62. 2. 276, D., 62. 2. 109. Bordeaux, 17 avril 1863, S., 63. 2. 222, D., 63. 2. 191.- Paris, 12 mars 1864, S.. 64. 2. 257. -— Paris, 15 juin 1864, S., 64. 2. 257, D., 64. 2. 203. — Melz, 26 nov. 1868, S., 69. 2. 175, D., 69. 2. 44.

(*) Guillouard, I, n. 138.

locataire, entré dans l'immeuble antérieurement à un autre locataire, vient, postérieurement à l'entrée de ce dernier, exercer un commerce similaire. Au contraire, le bailleur est en pareil cas tenu à garantie si l'on admet que le bailleur ne peut louer pour l'exercice d'un commerce similaire (').

487. En tous cas, le bailleur est tenu de garantir le preneur au sujet de l'introduction d'un commerce ou d'une industrie similaires dans les cas suivants :

S'il s'y est engagé formellement (2). Mais cet engagement doit être interprété restrictivement ("); toutefois il est applicable aux commerces similaires déjà exercés dans l'immeuble au moment où le preneur contracte, en raison de ses termes généraux (*). Du reste le juge du fond est souverain sur l'interprétation des clauses de cette nature (");

(1) Paris, 5 nov. 1859, S., 59. 2. 649, D., 59. 2. 140.

(*) Cass., 8 juill. 1850, S., 51. 1. 111, D., 50. 1. 307.

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Cass., 6 nov. 1867, précité. Cass. req., 29 janv. 1868, précité. Cass., 18 mai 1868, S., 68. 1. 303, D., 69. 1. 374. Melz, 26 nov. 1868, précité. — Paris, 20 fév. 1872, D., 74. 2. 22. Paris, 15 juill. 1872, D., 77. 5. 282. Paris, 8 juill. 1873, D., 77. 5. 282. Paris, 13 déc. 1892, Ann. de comm., VII, 1893, p. 28. Rennes, 29 oct. 1893 ou 1894,

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D., 95. 2. 117, Gaz. Pal., 94. 2. 560. Paris, 23 janv. 1895, Droit, 19 fév. 1895. Nancy, 6 fév. 1900, précité. Trib. civ. Rennes, 10 nov. 1893, D., 95. 2. 378. - Trib. civ. Seine, 16 déc. 1893, Droit, 10 mai 1894. - Trib. civ. Lyon, 19 mai 1896, précité. Trib. civ. Seine, 14 nov. 1898, Gaz. trib., 7 janv. 1899, Droit, 6 janv. 1899. - Trib. civ. Beauvais, 11 nov. 1898, Droit, 31 déc. 1898. · Trib. civ. Seine, 11 août 1899, Droit, 20 déc. 1899. Pouillet, Des marq. de fabriq. el de la concurr. déloyale, n. 758; Aubry el Rau, loc. cit.; Laurent, loc. cit.; Guillouard, I, n. 140; Hue, X, n. 300. Décidé même que l'interdiction d'établir un commerce similaire dans un rayon déterminé emporte interdiction de donner dans ce rayon à bail un immeuble pour l'exercice de ce commerce. Toulouse, 16 janv. 1895, Gaz. des trib. Midi, 3 fév. 1895. · L'engagement du bailleur ne s'applique pas aux baux antérieurement consentis. Trib. civ. Seine, 17 fév. 1894, Droit, 9 avril 1894.

(3) On a décidé, à tort selon nous, que le bailleur ne peut, s'il s'est engagé à ne pas exercer une industrie similaire, louer à une personne qui exerce l'industrie similaire. Alger, 15 janv. 1891, Rev. algér., 91. 168. Toulouse, 16 janv. 1895, S., 97. 2. 210. Il a été également décidé, mais avec plus de raison, que l'engagement pris pour les boutiques de tous les immeubles composant une propriété s'applique aux immeubles qui, lors du bail contenant cet engagement, n'étaient encore qu'en cours de construction. Paris, 24 avril 1879, S., 79. 2. 178. Fuzier-Herman, art. 1719, n. 111. — Il s'appliquerait même aux immeubles dont la construction n'au: ait commencé qu'ultérieurement.

(*) Trib. civ. Seine, 14 nov. 1898 précité. — Contra Lyon, 26 déc. 1902, S., 1903. 2. 303, D., 1904. 2. 128.

(*) Cass., 29 janv. et 18 mai 1868, précités.

S'il résulte des circonstances que les parties ont tacitement entendu ne créer aucune concurrence au preneur (');

Si l'introduction a eu lieu dans le seul but de causer un

préjudice au preneur.

En revanche, il est certain que le bailleur n'est pas tenu à garantie:

Si l'introduction du commerce ou de l'industrie similaires est formellement prévue dans le bail (*);

Si le bailleur ignore la profession du preneur ou si cette profession ne lui est pas indiquée par le bail (3).

La garantie n'existe pas, en tout cas, si le commerce ou l'industrie qui portent atteinte à la jouissance ont été installés dans l'immeuble antérieurement à la signature du bail ('); car le preneur a dù les connaître; il est de la prudence la plus élémentaire de s'assurer de tous les éléments de succès ou d'insuccès que présente l'installation d'un commerce ou d'une industrie, et parmi ces éléments, figure l'examen des commerces et industries exercés dans le voisinage.

Cela n'est inexact que si le bailleur a promis la garantie (").

Cass., 6 nov. 1868, précité.

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Cass., 18 mai 1868, précité. ·

Melz, 26 nov, 1868, précité. Trib. civ. Seine, 3 juill. 1902, précité. — Trib. paix Paris, 10 mars 1900, précité. Pouillet, op. cit., n. 758. - Décidé que cette intention peut résulter de ce que le surplus de l'immeuble comprend un magasin où n'a jamais été exercé un commerce similaire et de ce que le bail n'a pas été passé par le proprié taire, ou bien de ce que le bailleur connaissait la profession du preneur et que les locaux étaient disposés pour le commerce ou l industrie exercés par ce dernier et avaient toujours été loués en vue de ce commerce ou de cette industrie. - Trib, civ. Rennes, 10 nov. 1893, précité. — V. aussi Lyon, 3 déc. 1864, S., 65. 2. 131 et supra, n. 486. — Il paraît cependant exorbitant de décider que l'intention des parties résulte de ce seul fait que dans ce local était exploité, avant le bail, un commerce identique à celui du preneur; Huc, X, n. 300. Elle résulte bien moins encore de ce que le preneur prend l'engagement d'exercer une profession déterminée. — V. supra, n. 484.

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2 Paris, 10 juil. 1903, S., 1904. 2. 191. — Guillouard, I, n. 140; Demogue, Rev, trim. dr. civ., 1904, p. 882.

Guillouard, I, n. 139.

Cass., 1er déc. 1863, S., 64. 1. 25.

- Lyon, 26 déc. 1902, S., 1903. 2. 303, D., 1904. 2. 128. - Trib. civ. Seine, 17 fév. 1894, Rev. dr. comm., 94. 2. 141 et 164, Trib. corr. Nantes, 27 fév. 1897, Rec. Nantes, 97. 1. 293. — Trib. civ. Seine, 12 nov. 1901, Droit, 4 avril 1902. — Guillouard, I, n. 41; Pouillet, op. cit., n. 760, V. supra, même no.

Le bailleur peut même renouveler le bail fait au commerçant qui exerçait le commerce similaire (').

1 On prétend même (2), mais certainement par inadvertance, que le bailleur, alors même qu'on admettrait sa garantie en principe, ne doit pas garantie pour les installations faites antérieurement à l'entrée en jouissance du preneur qui prétend avoir droit à la garantie. L'obligation de faire jouir qui incombe au bailleur court dès le jour du bail; le bailleur est donc immédiatement obligé de veiller à ce que les événements qui entraveraient la jouissance ne puissent pas se produire (3).

488. Le bailleur, qui a promis sa garantie, n'est pas davantage engagé à éviter l'introduction d'un commerce ou d'une industrie semblables à ceux qu'a ensuite exercés le preneur dans l'immeuble loué (*). Car toute clause restrictive du droit commun doit s'entendre d'une manière étroite; et, d'ailleurs il n'est pas à supposer que le bailleur ait entendu faire dépendre indirectement de l'arbitraire du preneur le choix de ses autres locataires.

Le contraire doit cependant être admis, soit en cas de clause formelle, soit même si, postérieurement au bail où il garantissait le preneur contre l'exercice d'une profession similaire, le bailleur autorise le preneur à modifier son commerce ou son industrie; il faut alors penser, si les circonstances n'indiquent pas l'intention contraire, que le bailleur a voulu donner à la nouvelle profession du preneur les avantages qu'il avait attachés à l'ancienne.

La solution contraire doit être également admise, en l'absence même de toute clause, dans le système d'après lequel le bailleur doit, dans ce même cas d'absence de toute clause, garantir le preneur contre l'exercice d'un commerce similaire dans l'immeuble. Ce système, reposant sur l'idée que la jouis

(1) Lyon, 26 déc. 1902, précité.

(2) Guillouard, I, n. 141.

Wahl, Note, S., 95. 4. 17.
V. cep. Paris,

3) Paris, 30 avril 1889, Droit, 28 sept. 1889.
Rennes, 29 octobre 1894, précité. Hue, X, n. 300.

4 mars 1858, D., 58. 2. 322, D., 60. 2. 189 le preneur avait installé un commerce dans l'immeuble peu de temps après être entré en jouissance; l'arrêt interdit le commerce similaire).

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