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rifé par la loi divine; fa fin est toujours la vraie gloire de fon Prince, & le folide bonheur de fa patrie.

Après être entré dans le détail des principaux motifs que Ferdinand pouvoit avoir de ménager encore l'amitié de Soliman, & ne pas faire tourner contre lui les armes victorieufes de ce Sultan, Mr. de Busbec démontre que le feul parti convenable, dans la circonftance où fe trouvoit le Roi des Romains, étoit de repouffer la force par la force, & de ne pas fouffrir qu'on l'infulte impunément dans fes Etats. » Les armes, les armes » dit-il, ce font les feuls remedes qui nous reftent. Mettons dans les armes »nos dernieres espérances; comptons d'y trouver le falut de notre patrie, » ou préparons-nous tous, fans exception d'un feul, à périr miférablement.«< En effet les Hongrois ne manquoient point des chofes néceffaires pour une entreprise de cette nature. Ils avoient des hommes, des chevaux, de l'or, de l'argent & des munitions en tout genre. Ils n'avoient pas à craindre que leurs forces diminuaffent, ou que leurs richeffes fe diffipaffent. C'eft pour cela que Mr. de Bufbec, confeilloit à fes concitoyens de fe mettre fouvent fous les yeux le trifte état de ces gens, qui, tandis qu'ils jouiffoient d'une parfaite fanté, méprifoient les fages avis d'un médecin, qui friffonnoient lorfqu'on leur propofoit un remede pour prévenir le mal. Les humeurs se font accumulées, dit-il, la maladie eft arrivée; on a recouru au médecin, on a demandé des remedes mais trop tard; la gangrene avoit fait des progrès fi rapides, que le mal étoit incurable, leur indolence les a conduits dans les horreurs du tombeau.

C'est par cette allufion ingénieuse & frappante, que le Baron de Busbec s'efforçoit d'enlever fes concitoyens à l'inaction & à la molleffe qui les accabloient; il les exhortoit à s'endurcir au travail, à s'expofer aux chaleurs, à la pouffiere, à s'habituer à fouffrir la faim & la foif, à prendre des précautions, & à ne pas attendre que l'ennemi leur portât les premiers coups. Ce n'eft pas cependant qu'il voulût leur faire fentir, qu'il n'étoit pas befoin de beaucoup de réflexions pour déclarer la guerre; il croyoit au contraire qu'il falloit y penfer mûrement, & examiner avec grande attention toutes les circonftances. Une des principales raifons, que l'on alléguoit, à ce qu'il femble dans ces temps-là, étoit, qu'on avoit tenté plus d'une fois divers moyens, pour remédier aux maux dont on étoit menacé pour lors, & que les armes de la Maifon d'Autriche avoient toujours été fans fuccès contre les Turcs. M. de Bufbec répond à ces raisonnemens, en faifant voir que l'on doit mettre une grande différence entre ces temps reculés, & la maniere dont les troupes étoient difciplinées pour le préfent. Lorfque l'on apprit dans Vienne, dit-il, que le Turc, à la tête d'une nombreuse armée, ravageoit nos frontieres, & qu'il s'avançoit jufques dans l'intérieur de l'Empire, pour lors on s'empreffà à lever des troupes; mais quelles troupes étoient-ce. Y avoit-il dans notre armée un vieux foldat qui eut quelque expérience dans le métier de la guerre, ou qui eut

donné quelques preuves de valeur. Jamais on ne les avoit exercés; ils ignoroient également l'art de combattre & de vaincre. Etoit-il raisonnable d'attendre des fuccès d'une armée compofée de tels foldats? L'efpoir d'un petit butin en ramaffa beaucoup fous nos drapeaux, & de ceux-ci, à peine de trois y en avoit-il un qui eut jamais porté la cuiraffe, & qui eut vu le feu. Les autres étoient des hommes ufés par les débauches; aucun de ceux-là n'étoit guidé par l'amour de la patrie; aucun n'étoit animé ni par l'équité de la cause, ni par le zele de la Religion, ni par le défir de fignaler fon courage. a

Rien de plus plaufible que ces raifons de M. de Bufbec. En fe déclarant pour le parti de la guerre, il ne demande pas qu'on faffe de pareilles levées de troupes; ce feroit s'expofer à de nouveaux malheurs; il deftine au contraire, pour porter les armes, fon concitoyen. » Je le prends par pré» férence, dit-il, pour être foldat. Il eft né parmi nous, il vit avec nous ». M. de Bufbec n'eft pas encore content de cela; il veut encore que parmi ceux-ci on faffe un choix, qu'on rejette tous ceux qui font accoutumés à une vie molle & délicate, ceux qui n'ont nulle profeffion, parce que l'oifiveté les a rendus incapables de tout. Il veut que l'on prenne, autant qu'il fera poffible, des hommes robuftes, déjà accoutumés à des travaux pénibles; que l'on préfere un homme de la campagne à celui qui vic dans une ville; le Montagnard à celui qui habite les plaines, & celui qui vit de fon travail, à celui qui eft dans l'opulence.

Après cela, le plus important, felon M. de Bufbec, étoit de trouver des hommes confommés dans la vraie difcipline du pays, & n'ignorant aucune des rufes de la guerre, pour former les jeunes gens que l'on deftinoit aux arme, & pour en faire de bons Officiers. Ces maîtres devoient être d'une valeur héroïque, tempérés fur tous les plaifirs & infatiables de gloire. De cette maniere la jeuneffe fe trouvera en même temps inftruite & du métier de la guerre & des vertus qu'elle doit pratiquer. L'exemple de ces hommes de bien formera leurs jeunes cœurs, & leur rendra familiere la plus auftere probité; fans crainte enfuite, on pourra leur confier le commandement des armées. » Si la guerre, dit plus bas M. de Busbec, ne » me paroiffoit pas comme le dernier & le plus für moyen qui nous refte » pour nous mettre à l'abri d'une ruine entiere, je ne ferois pas affez té

méraire d'en vouloir perfuader l'entreprife; les intérêts de la patrie me » font trop chers pour balancer une paix folide avec l'incertitude des évé» nemens de la guerre, mais ici nous n'avons point le choix ; nos der» nieres efpérances font dans la guerre, notre nonchalance & notre peu » de fageffe ont rendu cette dure néceffité maîtreffe de notre Confeil. a M. de Bufbec avoue néanmoins que c'eft une politique bien fage d'éviter les maux de la guerre, mais il prouve, qu'il ne feroit pas également fage, dans une occafion où elle eft indifpenfable, de la différer. Cette conduite, il la compare à celle d'un médecin trop complaifant, qui différe

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roit de donner à un malade des remedes violens, & qui par ce délai laifferoit accroître la maladie à ce point où ces remedes feroient inutiles. II démontre enfuite que le fyftême actuel du gouvernement ne differe en rien de la conduite de ce médecin ; que l'Etat s'affoibliffoit de plus en plus, en différant de prendre les armes, & que les forces de l'ennemi augmentoient à mesure; que chaque jour il enlevoit quelque place, & que peuà-peu il s'applaniffoit un chemin, afin de fondre tout-à-coup fur le Royaume de Hongrie, dans ce temps d'affoupiffement & de fauffe fécurité où une treve avoit jetté les peuples. » Il faut de grandes ames pour les grands » deffeins, dit-il enfuite, & je fens que fi nous ne nous élevons au-deffus de la façon baffe & rempante de penfer de notre fiecle, il eft impoffi»ble d'exécuter celui que je propofe. » Enfuite pour animer davantage fes concitoyens, il leur met fous les yeux l'exemple de ces Héros, de ces grands hommes que la poftérité la plus reculée ne ceffera d'admirer. Il leur remontre que les obftacles, loin de les rebuter, devroient leur donner de nouvelles forces. Il eft peu de projets qui n'effuient quelques contre-temps. Lycurgue, pour établir folidement la République de Sparte, crut trouver des fondemens inébranlables, en mettant une parfaite égalité de biens parmi tous les citoyens de cette ville. Les pauvres dans ce projet ceffoient de l'être; le fuperflu des riches qui devoit leur être donné, rendoit toutes les fortunes égales. Le plus de vertu feulement devoit mettre toute la différence entre eux. Un deffein de cette nature ne pouvoit que fouffrir de grandes difficultés. Ceux qui poffédoient de grands tréfors, qui jouiffoient d'une fortune brillante, s'y oppoferent avec toute l'ardeur que l'avarice & la cupidité peuvent donner; tous réclamoient les anciennes loix; tous crioient l'injuftice. Ces clameurs n'eurent d'autres fruits que de rendre Lycurgue plus ferme dans fes deffeins, parce qu'il en vit de plus en plus l'utilité. Un jour enfin dans une affemblée, la queftion fut agitée fi vivement que quelques-uns fe laifferent aller aux plus grands excès d'emportement ; ils arracherent un œil à Lycurgue, & ce fut cette derniere marque de brutalité & de révolte qui ferma cette féance. Un autre que Lycurgue auroit fans doute abandonné ce projet; il tint une conduite bien contraire, quoique fes intérêts les plus fenfibles fe trouvaffent en compromis avec les intérêts du public, ils céderent à ceux-ci, & fon courage & fon ardeur pour eux n'en devinrent que plus grands; il concilia les efprits, il les calma, il perfuada enfin tout le monde de la néceffité de ce réglement, & il l'établit. La même résolution, la même fermeté étoient néceffaires dans les Hongrois pour furmonter tous les obftacles qui fembloient s'oppofer à la déclaration de la guerre ; mais ils devoient en même-temps confulter la prudence, & prendre les plus fages précautions. Ce fut autant par ces deux vertus que par la force des armes, que les Romains commanderent, pour ainfi dire, à toutes les Nations. Attentifs à tous les événemens au-dedans & au-dehors de leur Empire, ils n'attendoient pas que

le danger, s'il y en avoit à craindre, fût éminent; ils le prévenoient. Tout autre exercice ceffoit pour prendre celui des armes. Lorique Probus fut proclamé Empereur, il commença fa harangue au Sénat, en difant qu'il falloit combattre. La République avoit reçu depuis quelques années plufieurs échecs; ce fage Politique ne les attribua qu'au relâchement & à la corruption qui s'étoient gliffés parmi les troupes; & afin que le nom Romain reprît fon ancienne majefté, & fa premiere fplendeur, il dit qu'il falloit mettre tous fes foins à rétablir la difcipline militaire; & quoiqu'il parlât avec beaucoup de force & de perfuafion, il prouva bien moins dans ce difcours, qu'il ne le fit dans la fuite par fes conquêtes, que c'eft dans les bonnes troupes & dans le bon ordre qu'on y établit, que fe trouvent l'honneur, la gloire & le plus ferme appui d'une nation.

A ces exemples tirés de l'Hiftoire des pays étrangers, le Baron de Bufbec en ajoutoit tirés de l'Hiftoire de fa patrie même. » L'expérience la plus funefte nous a appris, difoit-il à fes concitoyens, combien il importe de » faire choix du foldat & de le bien exercer. C'est parce que jouiffant » d'une longue paix, on n'a pas fait affez d'attention fur ces deux points, » que les temps de guerre arrivant, nous nous fommes trouvés avec de » mauvaises troupes, & que nous avons toujours été battus. « En effet dans ces temps, qui font toujours ceux d'une fauffe fécurité, les premiers Officiers abandonnent tout exercice militaire pour fe livrer entiérement à leurs affaires domeftiques; leurs foldats les fervent en qualité de valets, & par grace on les exempte de faire le fervice & de fe trouver à l'exercice.

Mr. de Bufbec fait enfuite un parallele très-fenfé des foldats Turcs avec ceux de fa nation; & de la méthode qu'on obferve en Turquie dans le choix du foldat, de celui principalement qui eft deftiné à entrer dans les Légions Prétoriennes. Le Sultan envoie tous les ans des Chiaoux. dans toutes les Provinces de fon Empire, pour choifir le troifieme ou le quatrieme des enfans mâles nés des chrétiens. Lorfque ces recrues font arrivées à Conftantinople, on en prend les mieux faits, & ceux qui paroiffent avoir le plus de difpofitions, & on les fait fervir chez le Grand-Seigneur, chez les Bachas & dans les maifons des grands Officiers. On conduit les autres dans une place où fe rendent ordinairement les gens de la campagne & des Provinces pour faire leurs emplettes. Chacun choifit de ces enfans celui qui lui convient le mieux, & le paie un écu d'or. Mais avant toutes chofes on infcrit fur un regiftre public leur nom, leur pays, la condition de leur pere & leur fignalement, afin qu'ils puiffent être reconnus à tout âge. On donne à ces jeunes gens, pour toute nourriture, du pain & de l'eau, & quelquefois on y joint un peu de bouillie, du fruit ou des légumes. Ils ne portent de vêtemens que ce qu'il faut pofitivement pour être à couvert des groffes injures du temps. Ces enfans croiffent ainfi & s'élevent dans l'ignorance des délices de la vie & des douceurs de la maifon paternelle; ils deviennent des hommes forts, robuftes & propres à fupporter toutes for

tes de fatigues. Lorsque l'Etat a besoin d'hommes, on les redemande à ceux qui les avoient achetés, parce qu'ils n'en étoient que les dépofitaires. Tels font les foldats qui fervent à former ces compagnies de Janiffaires, qui paffoient autrefois à jufte titre pour la meilleure infanterie de l'univers.

nous fe

Nous ne finirions pas, fi nous voulions citer tous les exemples & toutes les raifons que Mr. de Bufbec emploie pour prouver à fes concitoyens, que jamais ils n'auront de fuccès dans les armes, s'ils ne s'étudient auparavant à réformer leur milice, à mettre plus d'ordre & plus de difcipline parmi les foldats. » Si l'Etat fuit ce confeil, dit-il en finiffant, »rons affurés d'avance du fuccès; nous aurons plus de confiance dans nos » foldats, lorfque nous les aurons mis en état de lutter avec la fortune & » d'en foutenir courageufement toutes les viciffitudes & tous les revers. <<< Enfin les raifons qui déterminent le Baron de Bufbec à fe déclarer pour la guerre, font en peu de mots, l'ambition démefurée du Turc, fes richeffes immenfes, fes troupes innombrables & bien aguerries, la moleffe, la nonchalance, la fauffe fécurité dans laquelle vivoient les Hongrois; la crainte bien fondée de tomber dans la puiffance d'un ennemi qui ne fe défaltere point du fang chrétien, & la honte de porter les fers du plus dur efclavage. Pour éviter de fi grands malheurs, il ne voit d'autres moyens que de prendre les armes, de lever des troupes, de les bien exercer, de ne confier ce foin qu'à des gens prudens, défintéreffés & bien inftruits dans le métier de la guerre; de ne donner les premiers emplois militaires qu'à ceux auxquels leurs belles actions & leur mérite perfonnel donnent droit d'y prétendre.

Ce projet de guerre de Mr. de Bufbec, lui mérita les applaudiffemens de tous fes concitoyens. Ferdinand lui-même tâcha de mettre à profit les fages confeils qu'il lui donna. Perfonne n'étoit plus en état de diriger un plan contre les Turcs. Il avoit refté affez long-temps au milieu de cette nation, pour en connoître les mœurs, la politique & les ufages. A fon retour de Conftantinople, ce fage Politique comblé d'honneur & de gloire eut le fort ordinaire de ceux qui fe font bien acquitté de leurs emplois. Il fit des jaloux à la Cour de Ferdinand, mais il montra fans foibleffe tout fon défintéreffement fur les places de prééminence. La plupart des Courtifans ne pouvoient pas fe diffimuler qu'il y avoit droit plus que perfonne, d'autres s'imaginoient qu'il les briguoit. Bufbec alors forma le deffein de quitter la Cour, & de paffer le refte de fes jours dans une vie privée. L'Empereur à qui il étoit devenu un homme néceffaire, en ordonna d'une façon différente. Ce fut à lui qu'il confia l'éducation des enfans de Maximilien II. Bufbec engagé malgré lui de refter à la Cour, répondit avec dignité au choix de Ferdinand. Les grandes actions des Empereurs Rodolphe & Mathias, fes éleves, ont fait l'éloge de leur gouverneur; elles étoient le fruit des fages leçons qu'ils en avoient reçus.

Les Princes étant arrivés à cet âge où ils n'ont plus befoin de guide

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