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le Vicomte, en fit confidence à une autre perfonne, & le fecret fut ainfi divulgué. Le Roi, qui ne s'étoit ouvert qu'au Maréchal de Turenne & au Marquis de Louvois, affuré de la difcrétion du Vicomte, tourna fes foupçons fur le Miniftre & l'accufa d'avoir révélé fon fecret. Turenne, toujours vrai, toujours généreux, même au milieu de fes foibleffes, juftifia Louvois en avouant fa faute. Cette noble candeur charma le Monarque, & redoubla fa confiance pour un homme qui n'avoit pas voulu cacher fa honte, en perdant un Miniftre qu'il lui étoit permis de ne pas aimer.

CANDIE, Ile d'Europe dans la mer Méditerranée, au midi de l'Archipel qu'elle borne de ce côté.

L'ISL 'ISLE de Candie eft l'ancienne Créte. Sa longueur eft de trois cents douze milles d'Italie, fur environ cinquante-cinq de largeur. Elle n'a point de riviere qui puiffe porter bateau, mais feulement quelques gros ruiffeaux, comme l'Armiro & l'Iftonia, au bord duquel on trouve l'arbre Leandro dont le bois & les feuilles font un poifon qui rend l'eau fort dangereufe en été. Entre fes montagnes, on remarque celle de Pfiloriti, appellée anciennement Mont Ida, comme celui de la Troade.

L'ifle de Candie eut anciennement fes Rois particuliers. Elle fut enfuite gouvernée en forme de République. Quintus Metellus, Lieutenant de Pompée, la conquit aux Romains; depuis elle vint au pouvoir des Empereurs d'Orient. Après elle fut donnée au Duc de Montferrat, qui la vendit aux Vénitiens en 1204, qui y tenoient un Provéditeur - général, outre lequel ils y envoyoient tous les deux ans des Magiftrats, dont le premier portoit la qualité de Duc, quoiqu'inferieur au Provéditeur; mais enfin les Turcs Le font entièrement emparés de cette ifle en 1669.

Les habitans de Candie fe traitent fort bien: on nourrit dans l'ifle beaucoup de volaille, de pigeons, de bœufs, de moutons & de cochons. On y voit quantité de tourterelles, de perdrix rouges, de bécaffes, de becfigues, de lievres, point de lapins. La viande de boucherie y eft très-bonne hormis durant l'hiver : faute de pâturage, on eft obligé dans cette faifon de faire paitre les troupeaux le long de la mer parmi les joncs, où ils deviennent fi maigres que leur chair n'eft que de la filaffe. Les Grecs ne s'en embarraflent guere: ils fe ragoûtent avec des racines; & c'est ce qui a donné lieu au proverbe qui dit que les Grecs s'engraiffent où les ânes meurent de faim: cela eft vrai à la lettie, les ânes ne mangent que les feuilles des plantes, & les Grecs emportent jufqu'à la racine.

Quoique cette ifle foit peu cultivée, elle rapporte cependant plus de grains que les habitans n'en confument. Elle abonde en vins, fournit aux étrangers des huiles, de la laine, de la foie, du miel, de la cire, des Tome X.

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fromages, du ladanum. On y cultive peu de coton & de fefame : le froment y eft excellent, fur-tout aux environs de Candie & dans la plaine de la Meffaria; mais on n'y fait pas faire le pain: c'est une pâte molaffe écrasée, & fi peu cuite qu'elle s'attache aux dents. Les François Y font de très-bon pain, bien cuit & bien levé dont les Turcs font fort friands. Si l'on voit un bon fonds, une plaine fertile, de beaux oliviers, des vignes bien cultivées, on trouve bientôt le monaftere: s'il n'y a pas de monaftere, le papas ne loge pas loin delà. Ces moines Grecs font de bonnes gens, ils ne s'occupent qu'à labourer la terre.

Les vins de Candie font excellens, rouges, blancs & clairets. Il n'est pas furprenant que l'on voie des médailles anciennes, frappées au nom des anciens habitans de cette ifle, fur les revers defquelles on ait représenté des couronnes de lierres entremêlées de grapes de raifins. Quoique ces vins foient pleins de feu, Gallien ne laiffoit pas d'y en trouver d'affez tempérés pour en permettre l'ufage à ceux qui avoient la fievre..

La laine de Candie & de Grece ne peut fervir qu'à des ouvrages groffiers, à des lifieres ou à des matelats. La foie de cette ifle feroit parfaitement belle, fi on favoit la façonner. Le miel en eft excellent, & fent le thym dont tout le territoire eft couvert; il eft doré & plus liquide que celui de Narbonne. La cire & le ladanum de cette ifle ne font pas mépriser. On eftime les fromages des montagnes de la Spachie. Athénée affure qu'on faifoit en Crete des fromages minces & larges pour brûler dans les facrifices; apparemment qu'ils étoient excellens, puifqu'on n'employoit rien que de bon dans ces cérémonies. Quoique la Candie soit un pays riche, cependant les meilleures terres de l'ifle ne font guere bien cultivées, & même les deux tiers de ce Royaume ne font que montagnes feches, pelées, défagréables, efcarpées, taillées à plomb & plus propres. pour les chevres que pour les hommes..

On refpire un fort bon air en Candie: il n'y a que le vent de terre à craindre on a penfé deux ou trois fois abandonner la Canée, où ce vent eft tout-à-fait fuffoquant. On a remarqué même que fouvent il étouffoit les gens en pleine campagne. A l'égard des eaux, on n'en fauroit trouver de plus belles ni de meilleures. Tout bien confidéré, on peut dire que cette ifle eft placée fous un beau ciel auffi l'appelloit-on autrefois l'ile Heureufe; il n'y a pas jufqu'aux pierres qui n'en foient eftimables. La plupart des villages y font bâtis de marbre blanc, mais il eft tout brut & ne paroît pas plus que notre moilon: on n'emploie le marbre que parce qu'il eft plus commun que les autres pierres.

Quoique la vie des Candiots foit affez molle, ils ne laiffent pas de monter fouvent à cheval & de chaffer; ils ne favent ce que c'est que de chaffer à pied; les Seigneurs du pays ont ordinairement des chevaux de Barbarie parfaitement beaux, & qui durent bien plus long-temps en ce pays qu'en France, our le ferein & le foin les rendent pouffifs & fluxionnaires. Les

chevaux de l'ifle font des bidets pleins de feu, dont l'encolure eft affez belle & la queue fort longue; la plupart ont fi peu de boyau que la felle ne fauroit leur tenir fur le dos ils fe cramponnent fi adroitement fur les rochers, qu'ils grimpent d'une viteffe admirable dans les lieux les plus efcarpés, on n'a qu'à les prendre d'une main par le crin & tenir la bride de l'autre, dans les defcentes les plus horribles, qui font affez fréquentes dans cette ifle, ils ont le pas ferme & affuré, mais il faut les laiffer faire & marcher fur leur bonne foi; ils ne s'abattent jamais, quand on s'abandonne à leur conduite, non plus que lorfqu'ils portent des fardeaux beaucoup plus lourds que le corps d'un homme: ordinairement ils ne tombent que lorfque le cavalier ne leur lâche pas affez la bride; car alors ayant la tête trop élevée, ils ne peuvent porter leur vue en bas pour placer furement leurs pieds. Les Dames Turques ou Grecques, qui ne fauroient fe fervir d'autres voitures à caufe de la difficulté des chemins, ne defcendent jamais, & l'on n'entend pas dire qu'il leur foit arrivé d'accidens fàcheux par la chûte de leurs chevaux; ces petits chevaux font merveilleux pour courre le lievre cette chaffe & la chaffe à l'oifeau font celles que les Turcs aiment le plus; il eft vrai que leurs oiseaux font excellens & bien dreffés on en faifoit une espece de commerce du temps que l'ifle appartenoit aux Vénitiens; on en emporte encore quelques-uns en Allemagne par la voie de Venife. La plupart font destinés pour Conftantinople, de même que ceux que l'on éleve dans les autres ifles de l'Archipel.

Tous les chiens de Candie font des lévriers bâtards, mal faits, fort élancés & qui paroiffent tous de même race : leur poil eft affez vilain, & par leur air il femble qu'ils tiennent quelque chofe du loup & du renard. Ils n'ont rien perdu de leur ancienne fagacité, & naturellement ils font tous preneurs de lievres & de petits cochons on ne voit pas d'autres efpeces de chiens dans ce pays; il femble qu'elle s'y foit confervée depuis la belle Grece; il n'eft parlé chez les anciens que des chiens de Créte & de Lacédémone, quoique dans le fond, ils foient fort inférieurs à nos lévriers.

Candie, ville capitale de l'Ile de même nom, & d'une Province particuliere, nommée le territoire de Candie, eft fur la côte feptentrionale. C'eft la carcaffe d'une grande ville, bien peuplée du temps des Vénitiens, marchande, riche, & très-forte : & qui, aujourd'hui, ne feroit qu'un défert fans le quartier du marché où les meilleurs habitans fe font retirés. Tout le refte n'eft que mafures, depuis le dernier siege, l'un des plus confidérables qu'on ait fait de nos jours.

Quoique la ville de Candie foit négligée aujourd'hui, fes murailles font bonnes & bien terraffées, c'est l'ouvrage des Vénitiens; à peine les Turcs ont-ils réparé les breches du dernier fiege. On compte dans cette ville environ 800 Grecs payant capitation; leur Archevêque eft le métropolitain de tout le Royaume. On fait monter le nombre des Juifs à 1000. Les

Arméniens n'y ont qu'une Eglife & ne font guere plus de 200. Les autres habitans de la ville font Turcs. Les environs de Candie font de grandes & fertiles plaines enrichies de toutes fortes de grains.

CANO N.

DROIT CANON, OU DROIT CANONIQUE.

SIX

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IX parties forment le corps du Droit Canonique : favoir

I. Le Décret de Gratien.

II. Les grandes Décrétales recueillies par Raymond de Pegnafort.

III. Le Sexte.

IV. Les Clémentines.

V. Les Extravagantes.

VI. Les Extravagantes communes.

- Il importe de connoître chacune de ces fix parties en détail.

Nous ne parlerons pas des anciennes compilations faites avant le Décret de Gratien qui les a anéanties. (a) Gratien étoit un moine Bénédictin (b), né à Chiufi en Tolcane près Florence, qui s'appliqua à compofer ce qu'on appelle le décret par excellence (c). Son ouvrage a pour titre : Concordantia difcordantium Canonum, parce que l'Auteur s'applique en effet à concilier les Canons qui femblent fe contredire.

Cet écrivain inféra dans fon ouvrage les fauffes Décrétales, & fonda fur ces pieces fabriquées plufieurs maximes nouvelles à la faveur desquelles l'autorité du Pape prit de grands accroiffemens. Il fuivit avec trop de crédulité la compilation de Burchard, & fe trompa avec lui. Ce qu'il tira des capitulaires des Rois de France qu'il n'ofa citer, il l'attribua toujours à quelque concile. Il enfeigne dans fon ouvrage, que le Pape n'eft pas foumis aux Canons, mais il le dit de fon chef & n'en donne aucune preuve qui puiffe fervir d'autorité (d).

(a) Voyez le titre du Droit Eccléfiaftique au mot ECCLESIASTIQUE.

(b) Quelques auteurs ont inventé qu'il avoit pour freres Pierre Lombard, fameux dans la Théologie, & Pierre-le-Mangeur (Comeftor) célébre auffi dans la fcience de l'Ecriture fainte. On a fuppofé qu'ils étoient tous les trois les fruits de l'impudicité de leur mere; & l'on a ajouté qu'elle ne voulut jamais, à l'article de la mort, fe repentir des péchés qui avoient donné occafion à la naiffance de ces trois perfonnages fi illuftres; mais on eft aujourd'hui revenu de ce conte puérile.

(c) Il y travailla depuis 1127, jufqu'à l'an 1150, & il mit fon ouvrage au jour l'an 1151.

(d) C'est ainfi qu'en a parlé Fleury, quatrieme Difcours fur l'Histoire Eccléfiaftique.

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Comme ce livre eft le feul qu'on ait fuivi dans les écoles pendant plufieurs fiecles, il fe forma de-là dans l'Eglife une idée confufe que la puiffance du Pape étoit fans bornes. Dès que cet ouvrage parut, il fit évanouir toutes les collections précédentes, il fut expliqué dès lors, & n'a depuis ceffé de l'être dans toutes les Univerfités qui, dans ce temps-là, commencerent à s'établir. Quelques écrivains prétendent qu'Eugène III envoya Gratien lui-même enfeigner fon Décret à Paris. Ce Décret de Gratien méritoit au refle cette préférence fur les compilations précédentes, par l'étendue des matieres & par l'ordre qui y regne. Il y a néanmoins beaucoup de fautes, & Pierre Pithou en a fait un très-long catalogue. L'on a fait au feizieme fiecle une correction de cette compilation. (a)

Quelques Auteurs prétendent que ce Décret a été approuvé & confirmé par Eugene III, mais les plus célébres Interpretes font d'un avis contraire. Toutes les décifions qu'il contient n'ont donc qu'une autorité doctrinale, & ne font point loi. Les canons dont il eft compofé tirent leur force de leur fource & non de fa collection. C'eft la Jurifprudence de tous les Parlemens de France.

Cet ouvrage de Gratien eft compofé de trois parties.

La premiere renferme deux objets principaux, les principes du Droit & les perfonnes. Quant aux principes généraux, Gratien explique la définition, les divifions du Droit, les différentes efpeces de Loix, & les fources du Droit Canonique. Cela mene à la vingtieme diftinction inclufivement. Pour les perfonnes, il difcute I. L'Ordination des Clercs & des Evêques; & là il traite des devoirs des Eccléfiaftiques en général, des devoirs des Evêques en particulier, des regles établies par S. Paul, de quelques-uns des empêchemens, foit pour la promotion aux Ordres, foit pour l'exercice des fonctions Eccléfiaftiques. II. La hiérarchie de l'Eglife; & là il parle de la puiffance du Pape, de la Jurifdiction Eccléfiaftique, & enfin de plufieurs chofes concernant les Ordinations. Gratien a appellé Diflinctions, les différentes fections de cette premiere partie, auffi-bien que de la troifieme, au-lieu que celles de la feconde font appellées CauJes, parce que dans ces deux parties, il s'applique à accorder les antilogies des Canons, au-lieu que dans la feconde il examine de part & d'autre les queftions qu'on peut agiter au for de l'Eglife, foit intérieur, foit extérieur.

La feconde partie traite des Jugemens. Elle contient trente-fix Caufes qui font toutes divifées en queftions. On peut réduire tout ce qui y eft traité à deux chefs principaux, à ce qui concerne le for extérieur & à ce qui concerne le for intérieur. Ce que Gratien dit par rapport au for extérieur, fe rapporte à trois chefs. I. Des matieres des Jugemens crimi

(a) Elle a été achevée en 1580,

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