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Ariftote en partant, avertit Callifthene de fe rappeller fouvent une maxime de Xénophane, que les perfonnes, attachées à la Cour, ou par devoir ou par goût, ne devroient jamais oublier : Parlez rarement devant les Princes, lui dit-il, finon faites enforte que vos difcours puiffent leur étre agréables. Un confeil fi fage ne fit que de foibles impreffions fur Callifthene. C'étoit un de ces efprits chagrins & peu plians, qui femblent n'aimer la vérité, que pour avoir le trifte plaifir de cenfurer avec aigreur les défauts d'autrui.

Cette roideur de caractere ôte beaucoup au charme de la vertu, & lui donne un air repouffant qui indifpofe les efprits les mieux difpofés en fa faveur. C'est un défaut dont les fages ne fauroient trop fe garder. On doit adoucir, autant que l'on peut, l'austérité de la fageffe, au lieu de la rendre chagrine & rebutante comme fit Callifthene.

C'étoit cependant un homme vraiment philofophe par la folidité de fon efprit, par l'étendue de fes connoiffances, par la pureté de fes maximes par la rigidité de fa vie, par la régularité de fes mœurs, & fur-tout par une haine déclarée de toute diffimulation & de toute flatterie. Il n'étoit pas né pour la Cour, où il faut avoir un efprit fouple, pliant, accommodant, quelquefois même fourbe & perfide, mais au moins diffimulé & flatteur. Il fe trouvoit rarement à la table du Roi, quoiqu'il y fût fréquemment invité; & quand il gagnoit fur lui de s'y rendre, fon air trifle & taciturne étoit une improbation ouverte de tout ce qui s'y difoit, & de tout ce qui s'y paffoit. Avec cette humeur un peu trop fauvage, c'auroit été un tréfor ineftimable pour un Prince, qui auroit aimé la vérité. Car, parmi tant de milliers d'hommes, qui environnoient Alexandre, & qui lui faifoient la cour, il étoit le feul qui eût le courage de la lui dire. Mais, où trouve-t-on des Princes, qui connoiffent le prix d'un tel tréfor, & qui fachent en faire ufage? La vérité perce bien rarement ces nuages, que forment l'autorité des grands & la flatterie de leurs courtifans. Auffi, par le terrible exemple de l'ordre barbare qu'Alexandre donna de mettre Callifthene à mort, il mit tous les Gens de bien hors d'état de lui repréfenter fes véritables intérêts. Depuis ce moment, on n'entendit plus dans fes confeils aucune parole libie. Ceux mêmes, qui avoient le plus de zele pour le bien public & pour fa perfonne, fe crurent difpenfés de le détromper.

Nous le répétons avec Séneque. La mort de Callifthene eft pour Alexandre un reproche éternel & un crime ineffaçable, dont nulle belle qualité, nulle action, quelque éclatante qu'elle puiffe être, ne peut couvrir la honte. Si l'on dit d'Alexandre, il a tué des milliers de Perfes, il a détrôné & fait périr le plus puiffant Roi de la terre, il a fubjugué des Provinces & des peuples fans nombre, il a pénétré jufqu'à l'Océan & porté les bornes de fon Empire-depuis le fond de la Thrace jufqu'aux extrémités de l'Orient: Oui, dit Séneque en répondant à chacun de ces faits;

mais il a tué Callifthene, & la grandeur de ce crime étouffe celle de toutes fes actions.

Si nous voulons que notre franchise foit utile au Genre-humain, efforçons-nous de lui donner toute l'amabilité dont elle eft fufceptible. N'alfons pas à la Cour uniquement pour faire la fatyre des courtifans, encore moins pour y être le fléau du Monarque. Ne flattons point les Grands; ne leur déguifons point la vérité. Mais difons-la avec tous les égards dus à leur rang & fur-tout à leur délicateffe. Ménageons leur foibleffe. Epargnons leur amour-propre, autant que la raifon le permet. Soyons vrais foyons libres; mais foyons doux, honnêtes & modeftes. N'ayons ni préfomption, ni orgueil; n'affectons ni aigreur, ni mépris. Ne faifons pas dire que nous déclamons contre les riches, parce que nous fommes pauvres; que nous dédaignons les honneurs, parce que nous ne fommes pas faits pour y parvenir; que nous cenfurons les Grands, pour nous dédommager du rang qui les met au-deffus de nous; que nous faifons la guerre au vice, plutôt par humeur, par dépit, que par un amour pur de la vertu.

CALMA R.

CALMAR, ville de Suede, Capitale de la Province de Smaland, & fameufe par la réunion qui s'y fit des Royaumes de Suede, de Danemarc & de Norwege, fous la Reine Marguerite. Voyez UNION DE CALMAR, au mot UNION.

LE

CALOMNIATEUR, f. m.

E Calomniateur eft un monftre dans la fociété. Les anciens avoient raifon de punir la calomnie comme un crime d'Etat. Nous n'y regardons pas de fi près; nous en fommes fouvent les victimes.

La fociété devroit en faire des exemples. On devroit annoncer dans tous les papiers publics : » un tel, reconnu Calomniateur, a été chaffé » de telle fociété. «

ע

Dès cet inftant toutes les portes lui feroient fermées; il feroit regardé comme infame, lui & tous ceux qui fe lieroient avec lui.

DANS

CALOM NIE, f. f.

ANS le fens des jurifconfultes, on défigne par ce mot, l'action de celui qui, devant un tribunal chargé de réprimer les défordres, accuse une perfonne innocente d'un crime qu'elle n'a pas commis, calumniatores funt qui falfa deferentes contra cujufcumque innocentis perfonam, principum animos ad iracundiam commovere præfumunt. Conc. Duziacenfe. Cap. 2. Les jurifconfultes Romains nommoient auffi Calomnie, toute action juridique intentée, foit pour faute, foit pour dette contre une perfonne qui n'y avoit pas donné lieu; c'étoit pour la prévenir que l'on exigeoit de celui qui intentoit l'action, qu'il jurât qu'il n'agiffoit point comme calomniateur; ce ferment fe nommoit Jusjurandum calumniæ. Voyez Heinecci, Ant. Rom. ad inftitut. lib. IV. T. XVI.

Sous cette acception reftreinte aux difcours que l'on tient devant les juges comme témoin ou accufateur, ou acteur, calomnier c'eft joindre au caractere infame de délateur, le crime odieux d'un fauffaire : & comme en conféquence d'une telle Calomnie, le juge, induit en erreur, peut prononcer contre l'innocent une fentence injufte, qui expofe l'accufé à perdre fes biens, fa vie, ou fon honneur, le calomniateur eft refponfable de toutes les fuites que peut avoir fon accufation; il en eft immédiatement coupable, & on a droit de les lui imputer.

Il n'eft point de crime plus odieux que cette Calomnie civile, qui trompant les juges, fe fert de l'autorité refpectable des loix, ou du pouvoir fupérieur des Princes pour opprimer fans crainte l'innocence, & nuire lâchement à la vertu défarmée, en arrachant à l'innocent ou en l'expofant à perdre fes biens, fon honneur & fa vie. Dans tous les temps auffi ce crime a été en horreur à toutes les ames qui confervoient quelque fentiment d'honnêteté morale. Les loix ont toujours févi contre quiconque s'en rendoit coupable, & jamais les calomniateurs n'ont été tolérés que par ces Princes exécrables, qui, tyrans odieux & cruels, fe jouoient de l'honneur, de la vie & des biens de leurs fujets, ne redoutoient & ne haïffoient que la vertu, & la droiture, & employoient, pour s'en défaire, le miniftere infâme des délateurs. Les loix les plus anciennes qui nous foient connues, celles de Moïfe, condamnoient le calomniateur à fubir la même peine que le juge auroit dû infliger à l'accufé, s'il eût été réellement coupable. Voyez Exode XX. & XXIII. Deut. XIX. La même loi avoit lieu chez les Egyptiens & les Athéniens, au rapport de Diodore de Sicile, lib. I. La loi des douze tables chez les Romains condamnoit à mort celui qui auroit couvert quelqu'un d'infàmie par des libelles. Voyez St. Auguftin, De la Cité de Dieu, lib. II. c. 9. Les loix civiles de ce peuple condamnoient à l'exil un faux accufateur, quelquefois auffi à être marqué au

front de la lettre K, parce qu'anciennement cette lettre s'employoit en place du C, & qu'on écrivoit kalumniator. On avoit même le droit de faire paroître devant le Préteur un calomniateur fimple, qui dans la converfation particuliere avoit injuftement chargé une perfonne de quelque blâme. Voyez Heineccius, Ant. Rom. ad inftit. lib. IV. Tit XVI. Digeft. lib. 47.

On doit mettre au rang des calomniateurs civils, dont nous venons de parler, ou des faux témoins ou faux accufateurs, qui accufent injustement un innocent devant le juge, celui qui répand dans le public des écrits calomnieux contre la réputation de quelqu'un.

Dans un fens plus vague, la Calomnie confifte en général à nuire à la réputation de quelqu'un par des imputations que l'on fait être fauffes en tout ou en partie, ou de la vérité defquelles on n'eft pas certain. Quelque commun que foit ce crime, quelque fréquemment qu'il fourniffe la matiere des converfations particulieres, il n'en eft pas moins un crime atroce, qui rend digne de la haine la plus légitime, & du plus jufte mépris, celui qui s'en rend coupable.

On calomnie quelqu'un : 1°. quand on dit ou que l'on écrit contre lui des chofes qui l'accufent directement de tel crime, de telle faute, de tel vice, de tel défaut, dont on fait bien qu'il n'eft pas coupable; 2°. lorfque fans l'accufer directement, on s'exprime de maniere à infinuer qu'il en eft coupable; 3°. lorfque fans être affuré qu'il en eft innocent, on n'a cependant nulle certitude qu'il en eft coupable; 4°. lorsqu'on ajoute à des faits vrais, des circonstances fauffes qui l'expofent au mépris, ou qu'on cache par une réticence malicieufe des circonftances vraies, qui prouveroient fon innocence, mais qui étant cachées, le laiffent expofé au foupçon mal fondé qu'il eft coupable. Plus on eft certain de l'innocence de celui que l'on accuse, plus la Calomnie eft criminelle; plus l'imputation eft grave, plus la Cafomnie eft odieufe. N'imputer à une perfonne que ce qu'en effet on peut lui reprocher avec vérité, ce n'eft plus Calomnie, c'eft médifance.

Le calomniateur, dans chacun des cas que nous venons d'indiquer, réunit dans fon caractere, & la méchanceté haïffable du médifant qui cherche à nuire par fes difcours à la réputation de fon femblable, & la fauffeté odieufe du menteur qui parle contre fa confcience, & la baffeffe méprifable d'un lâche qui attaque ceux qui ne peuvent pas fe défendre. Il est ainfi, dans la fociété, le membre le plus criminel, le plus odieux, le plus vil. Efprit faux, le menfonge eft fur fes levres; cœur atroce, la fauffeté eft dans fa bouche; l'inftrument odieux d'une méchanceté froide & refléchie, qui affaffine fans paffion comme le brigand, & qui ne peut pas juftifier fon crime par la furprise de quelque mouvement impétueux qui trouble la raifon; ame lâche, il attaque en fecret; foit pour fe mettre à couvert d'un jufte reffentiment, foit pour pouvoir porter plus furement fes coups; ennemi de la fociété, il en bannit la confiance, fans laquelle il ne peut y

avoir de liaifon agréable entre les humains, & il prive ceux qu'il attaque d'un bien fans lequel tous les autres ne font rien pour l'homme fociable.

Un de nos premiers befoins comme hommes, eft celui d'être aimés & eftimés de nos femblables; rien de plus trifte pour nous que d'être haïs & méprifés fans l'avantage connu fous le nom de bonne réputation, nul autre bien n'eft pour nous une fource d'agrémens tant que nous avons quelque élévation dans les fentimens, nous en dépouiller, c'eft nous rendre la vie même haïffable. La Calomnie nous ravit ce bien, contre tout ce que la juftice & l'humanité exigent. Naturellement faits pour fuivre les regles de la droiture, de la vertu & de l'ordre moral, le droit d'être regardés comme ne nous en écartant pas dans notre conduite, eft pour chacun de nous un droit parfait, auquel répond, de la part des autres hommes une obligation étroite de nous regarder comme dignes d'amour & d'eftime, & de nous laiffer jouir de notre bonne réputation auffi long-temps que par des crimes & par une conduite déréglée, nous n'avons pas renoncé à ce droit, & difpenfé nos femblables de l'obligation de nous eftimer. Ma réputation eft un bien que j'eftime, que je crains de perdre & que perfonne n'a le droit de me ravir; il faut que j'y renonce pour le perdre, & je ne puis le perdre, mériter de le perdre & paroître y renoncer, que par des mœurs vicieufes. Me calomnier, c'eft me faire une injuftice auffi criante que fi l'on me raviffoit mes biens ou ma vie, quand je n'ai pas donné le droit de m'en dépouiller. On doit donc mettre la calomnie au rang des plus grands crimes, foit qu'on l'envifage dans fon effet immédiat, foit qu'on en confidere le principe. Dans fon effet immé diat, elle prive les hommes d'un bien que les ames généreufes eftiment plus que leur fortune & leur vie; elle induit en erreur ceux qui jugent d'après le calomniateur, & leur fait fouvent commettre de cruelles injuftices envers des innocens; elle décourage les fujets les plus capables de rendre fervice à la fociété, ou rend inutile leur mérite, parce qu'elle en rend nulle l'exiftence aux yeux de ceux qu'elle a prévenus par fes faux rapports. Rien de plus bas que les principes qui portent à calomnier; un vain orgueil qui veut s'élever fans mérite, & auquel il ne refte de moyen que de rabaiffer le mérite des autres; une envie haïffable qui fouffre à la vue des talens d'autrui, & qui croit qu'on ôte à fa gloire tout ce que l'on donne d'éloges à ceux qui en font réputés dignes; tels font les bas motifs du calomniateur. Calomnier, c'eft donc être méchant, envieux, jaloux, fans mérite, fans défir d'en acquérir, lâche & orgueilleux. Quel homme, qui veut pouvoir s'eftimer foi-même, qui a quelque égard pour la vertu, pour la bonté de fon cœur, pour fa propre réputation, ne fe croira pas obligé de s'étudier à étouffer en foi tout penchant à la Calomnie, & à éviter, jufques au fcrupule, tout difcours qui pourroit nuire injuftement à la réputation de fes femblables? En vain, dira-t-on que ce que l'on impute aux autres, on ne l'a pas inventé, qu'on l'a appris d'ailleurs; tant

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