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la même direction en appuyant à gauche par Sophie et par Belgrade, Novi-Pazar ou Widdin. Ce mouvement combiné eût probablement décidé du sort de l'empire ottoman en Europe. Pour assurer d'autant mieux sa réussite, la flotte aurait dû venir en même temps jeter l'ancre dans le golfe de Burgas au revers du Balkan, afin de porter, sur ce point important, la base des approvisionnements de l'armée, aussitôt qu'elle serait arrivée vers Andrinople. Tel est au moins l'aperçu des points stratégiques indiqués par les règles de l'art. J'ignore si les communications directes, et celles de Nikopoli sur Sophie, sont de nature à permettre ce mouvement, et praticables pour du canon; mais j'ai lieu de le croire, et on aurait toujours pu embarquer le gros du matériel pour le faire arriver par Burgas. Au lieu d'adopter un système de guerre vigoureux et rapide, les armées des deux empires commirent des fautes graves, se divisèrent sur un front immense et attaquèrent l'ennemi sur les points les plus favorables à la défense.

Toutefois les troupes ottomanes, victorieuses des Autrichiens à Statina, durent céder à l'ascendant des armées russes; Potemkin leur enleva Oczak of après des attaques meurtrières et un assaut plus sanglant encore. Vaincues ensuite par Suwarof à Foczany et à Rimnisk (1789), par Potemkin à Bender, elles eussent fini par succomber quand d'heureuses diversions vinrent les tirer d'embarras.

Tandis que le sang des deux partis coulait depuis Belgrade, et même depuis Dubicza et les rives de la Sawe jusqu'à Oczakow, sur la mer Noire; la Prusse et l'Angleterre s'entendaient en secret pour susciter des

ennemis à Catherine, et mettre des obstacles à ses entreprises elles animaient les Polonais et les Suédois, en les engageant à profiter de l'absence des armées russes pour reprendre leur rang et reconquérir les provinces qu'ils avaient perdues.

Gustave III, roi de Suède, jeune prince doué d'une ambition démesurée, d'une imagination ardente plus que d'un jugement solide, d'une valeur impétueuse plutôt que d'un courage soutenu, n'hésita pas à se prononcer. Favorisé par la position de ses établissements maritimes dans le golfe de Finlande, et par la médiocrité de l'escadre que la czarine entretenait sur la mer Baltique, il se berça des plus belles espérances, et forma le projet de porter le théâtre de la guerre jusque dans Saint-Pétersbourg, au moment même où toutes les forces de son irréconciliable ennemie s'avançaient dans la Moldavie jusque sur le Danube.

La Pologne ne pouvait perdre une si belle occasion : animée par les instigations du ministre prussien Hertzberg, la diète et la noblesse commencèrent en 1788 à faire entendre les mots de réforme et d'amélioration. Catherine, instruite des démarches du cabinet prussien, qui visait à la possession importante de Thorn et de Dantzig, inquiète peut-être de la fermentation qui régnait en Pologne, fit proposer au gouvernement de ce pays de s'unir avec elle par une alliance.

Comme l'observe fort bien M. de Ségur, cette proposition était une faute politique. (1) Les Polonais ju

(1) Si l'on devait toujours raisonner d'après les événements, il paraîtrait que la Pologne, en s'alliant franchement à Catherine et à ses projets, aurait évité le sort cruel qui la frappa plus tard, ou du moins qu'elle l'eût retardé longtemps. Mais, en se reportant à

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geant leur position en appréciaient tous les avantages: il est donc facile de concevoir l'effet que l'ordre de Catherine dut produire sur la diète à l'instant même où les armes des Turcs et des Suédois, jointes aux promesses de la Prusse, faisaient naître dans tous les cœurs l'espoir d'une liberté prochaine; la faiblesse que l'impératrice semblait témoigner par cette démarche, doubla à tous les yeux l'embarras où on la supposait.

L'ambassadeur Luchesini, excitant ces passions, prétendit « que la nation polonaise avait un allié plus sûr » et plus naturel dans le roi de Prusse; qu'elle était trop » éclairée pour tomber dans un piège si grossier, et >> oublier tant d'injures; qu'elle devait repousser avec mépris une alliance honteuse, briser un joug odieux, » et reconquérir des droits sacrés. » Le ministre d'Angleterre appuyait ces discours.

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Les Polonais regardant Frédéric-Guillaume comme un ange tutélaire envoyé par le ciel, se prononcèrent avec vigueur, repoussèrent l'alliance, refusèrent le passage aux troupes russes, renvoyèrent celles qui se trouvaient sur leur frontière, et firent enfin casser le conseil de gouvernement et la constitution de 1775. Cette résolution énergique excita naturellement dans Catherine un ressentiment proportionné au danger dont elle la menaçait; mais ayant trop, à faire chez elle pour s'occuper alors de ses voisins, elle dissimula sa vengeance, sans négliger aucun des moyens qui pouvaient la rendre, plus terrible.

l'état des affaires en 1790, on trouvera que cette alliance n'était pas naturelle. En tout cas, si le partage total avait été à prévoir, il eût incontestablement mieux valu associer la Pologne entière à la grandeur de Catherine, que de la voir morceler et détruire.

Le ministère prussien, alors dirigé par Hertzberg, déploya à cette époque une activité et un système remarquables. Une alliance offensive conclue avec les Turcs le 31 janvier 1790, et un traité de garantie signé avec la Pologne le 29 mars suivant, en sont des monuments durables. Cet homme élevé à l'école du grand Frédéric voyait bien à quel danger la Prusse serait exposée, si la chute de l'empire ottoman laissait disponibles les forces colossales des deux souverains alliés; alors d'autant plus dangereuses pour elle, que sa rivalité avec l'Autriche était trop récente et trop prononcée pour laisser le moindre doute sur les suites graves qui en résulteraient. En conséquence, il décida Frédéric-Guillaume à rassembler une armée de quatrevingt mille hommes en Silésie, pour empêcher l'empereur Joseph de continuer ses hostilités contre la Porte Ottomane, et faire ainsi retomber sur Catherine tout le poids de la guerre.

Sur ces entrefaites, Joseph mourut, et son successeur Léopold apportant sur le trône des dispositions plus pacifiques que belliqueuses, les démonstrations de la Prusse eurent leur effet. Léopold retira une partie de ses forces de la Servie pour les porter en Bohême. Le cabinet de Vienne, fatigué d'une guerre qui lui coûtait d'immenses sacrifices, et dont le plus beau résultat n'était peut-être pas même dans ses intérêts, ne demandait pas mieux que de saisir cette occasion pour isoler sa cause de celle de Catherine. Mais Hertzberg offrait des conditions un peu dures; il voulait faire cesser définitivement tout point de rivalité entre la Prusse et la Pologne, en se faisant céder les places si fort convoitées de Thorn et de Dantzig; en échange il

proposait de faire rendre la Galicie aux Polonais, en indemnisant l'Autriche sur une partie de la Servie: ces prétentions mirent quelque temps des entraves à un arrangement, auquel néanmoins Léopold eût été forcé d'accéder, pour éviter une double guerre.

Les préparatifs redoublaient de part et d'autre, et tout annonçait un embrasement général en Europe, lorsqu'un événement auquel personne ne s'attendait, changea totalement les affaires. Frédéric-Guillaume avait un goût prononcé pour les plaisirs, et un grand éloignement pour les embarras et les fatigues de la guerre; Bischoffswerder prenait chaque jour plus d'ascendant sur son esprit, et les agents de Léopold ne manquaient pas de l'appuyer. Le roi sourdement prévenu contre son vieux ministre, ou contre son système, prit tout-à-coup la résolution de terminer malgré lui ses démêlés avec l'Autriche, et ordonna impérativement à Hertzberg de signer des préliminaires opposés et dans les intérêts de la cour de Vienne, bien plus que dans ceux du cabinet de Berlin. Une convention conclue le 27 juillet 1790 à Reichembach, en Bohême, mit fin à ces démonstrations. L'Autriche promit de rendre toutes ses conquêtes aux Turcs, à l'exception de Choczim; mais elle garda la Galicie. Frédéric - Guillaume ne parla plus de Thorn ni de Dantzig; son armée se retira, et le ministre Hertzberg, abreuvé de dégoûts, donna sa démission, emportant avec lui toutes les grandes idées que Frédéric avait laissées à la Prusse.

à ses vues,

D'un autre côté, le roi de Suède, après plusieurs affaires navales plus brillantes que décisives, et quelques revers en Finlande, jugea que la lutte l'exposait

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