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bécillité, de fa mère pour le nourrir, de fon père pour le défendre, leur fait à tous les deux un crime de fe féparer. Un mariage fortuit & paffager auroit détruit l'efpèce humaine, & le grand deffein de la Nature a été la confervation, la reproduc tion des espèces.

La Nature a voulu, dit-on, que les époux fuffent heureux. Oui, fans doute, s'ils favoient l'être; mais elle a voulu fur toute chofe qu'ils fuffent bon père & bonne mère, & qu'ils euffent au moins l'inftinct des animaux les plus fauvages, qui favent tout endurer, plutôt que d'abandonner leurs petits.

Or ce qui feroit inhumain & dénaturé dans les bois, ne le feroit guère moins dans les campagnes & parmi les Peuples des villes. Que deviendroient, par le Divorce, les enfans du Cultivateur, de l'Artifan, du Journalier ? Le père trouveroit fans peine à leur donner une marâtre; mais ceux dont une pauvre mère feroit chargée, les expoferoit-elle ? les laifferoit-elle périr?

Le Divorce, peut-on nous dire, ne seroit pas fait pour le Peuple; mais les Loix font faites pour tous; & ce qui prouve au moins que la Loi du Divorce répugne à la Nature, c'eft que plus l'homme eft près de l'état de nature, moins le Divorce lui eft permis.

Il reste à voir s'il eft conforme à la juftice, favorable à la Religion, avantageux

aux mœurs.

En lifant cette foule d'Ecrits, où de tous côtés on réclame contre la dure captivité d'un mariage indiffoluble, on se croit au milieu d'un peuple de Captifs, innocens & chargés de fers, qui demandent leur délivrance; & ce tableau devient encore plus pathétique, lorfque, dans la même prifon, l'éloquence nous montre la foibleffe & la force, la douceur & la cruauté, l'innocence & le vice, la vertu & le crime enchaînés l'un à l'autre & à jamais inféparables mais en fait de Loix, ce n'eft pas l'éloquence, c'eft la raifon que l'on doit écouter.

Infeparables, voilà le mot qui attache l'idée de l'enfer à ces mariages funeftes; audi les Loix n'ont-elles pas eu la rigueur de condamner deux tres, malheureux l'un par l'autre, au tourment de refter unis : mais en les féparant, ont-elles dû les laisser li- - bres ont-elles dû leur interdire de former ? de nouveaux liens? C'eft ici la question délicate & problématique.

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Dans l'hypothèle que les époux feroient forcés de vivre enfemble, l'Apologiste du Divorce n'a pas eu de peine à rendre tour à tour dignes d'horreur & de pitié les mariages mal affortis. Quelle exiftence, » dit-il, que celle de l'infortuné qui a » uni fes deftins à ceux d'une femme in» fenfée, infidelle, ou d'une humeur infupportable? Quoi! cet homme irréprochable dans fes fentimens & dans fa

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» conduite, cet homme dont on vanté les » talens & les qualités, la Société, pour prix des fervices qu'elle en reçoit, le condamne à jamais au malheur ! Il ne » trouve point en rentrant chez lui le repos » mérité par les travaux du jour, & néceffaire à ceux du lendemain ; fait pour être heureux, pour rendre heureux tout » ce qui l'environne, la joie eft banie de fon cœur, & fes yeux ne la verront jamais régner autour de lui! L'amertume, le chagrin, le défefpoir minent infenfible»ment des jours utiles à fa Patrie & à fa

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famille; il fuccombe enfin, & on s'é» tonne de voir périr celui à qui la for» rune & la vertu fembloient promettre des jours longs & heureux. Ah! l'on ne fait pas combien il a dévoré de chagrins intérieurs; combien il a verfé de larmes folitaires; on ne fait pas qu'il périt vic» time d'une union mal affortie ".

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Ce tableau n'eft que trop fidèle. Celui d'une épouse innocente, malheureuse pour la même caufe, n'est pas moins vrai ni moins touchant.

Elle voit fe développer & s'accroître » dans fon époux, ou une paffion violente, ou une humeur infociable; c'eft » un joueur, ou un libertin, ou un jaloux, ou un avare, ou un furieux; c'eft quelquefois tout cela enfemble. Que deviendra fa trifte compagne ? Elle ne peut ,, ni faire un pas, ni fe permettre une légère

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légère dépenfe fans l'ordre de fon maî » tre; elle n'ofe, fans fon aveu, donner » à un Domestique un ordre indifférent » à fon enfant une leçon, une careffe; elle ne peut ni refter, ni fuir, ni parler, ni fe taire, s'il ne le veut pas. C'est » la plus miférable efclave du plus redoutable Tyran. Epoufe chafte, fille tendre, mère fenfible, maîtreffe affable, amie généreufe, elle verra fouiller le nœud conjugal, infulter fes parens, maltraiter fes Domeftiques, manquer à toute la » fociété. Perfécutée dans tout ce qui lui » eft cher, tout ce qui charme les autres » eft affligeant pour elle. Forcée de par" tager avec de viles Courtifanes les plus odieufes careffes, elle voit couler dans fes chaftes veines le fruit honteux du libertinage de fon époux; elle donne à fes enfans, dans le flanc le plus pur, » un fang vicié par des crimes qui ne font "pas les fiens.

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Pénétrons, réfume l'Auteur, dans l'in» térieur de ce ménage infortuné, tout y » porte la fatale empreinte du défordre & » du malheur. De ce féjour font bannies » la douce liberté, l'aimable confiance & » l'innocente joie. Un homme toujours » dans un état violent, fombre & terrible; une femme flétrie par la douleur » & le défespoir; d'un côté, des reproches, » des menaces, des outrages, des févices; » de l'autre, des larmes, des fanglots. Le N°. 6. 6 Fév. 1790.

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jour, la nuit, à chaque heure, à chaque inftant, les mêmes fureurs, les mêmes » fuffrances : c'eft le foie renaiffant fous »le vautour rongeur; c'eft cet effroyable Enfer où des flammes inextinguibles brû» lent, fans les confumer, & les bourreaux » & les victimes ".

A ces peintures il n'eft perfonne qui ne s'écrie: Que la Loi les fépare ! & la Loi confent à les féparer. Mais ce n'eft point par le Divorce, & c'eft le Divorce que l'on demande, c'est-à-dire, la liberté d'aller former d'autres liens. Il feroit cependant affez étrange & affcz rare que les deux innocens, que nous venons de voir fi malheu reux dans les liens d'un premier mariage cuffent envie de s'expofer aux mêmes repentirs; & quant aux deux coupables, on ne penfe pas, fans frémir, que la Loi lear rendroit encore l'affreufe liberté de faire d'autres malheureux.

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Cependant, foit que les époux fuffent coupables tous les deux, ou l'un coupable & l'autre innocent, la Loi ne diftingueroit rien dans le fyftême qu'on propofe; & voici dans quels cas le Divorce feroit permis: la mort civile; la condamnation à une peine infamante; la captivité dont on ne peut prévoir la fin; l'expatriation forcée ou volontaire, ou la difparution d'un des conjoints dont on n'auroit pas de nouvelles ; l'infécondité d'un hymen pendant un temps déterminé, fans qu'on en pût rechercher les

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