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vous, me dit-elle, Monfieur le grave Avocat du Roi, qu'il faut venir folliciter? Ce privilége de la robe eft rare, je l'avoue; & il ne faut pas moins qu'un procès pour rendre convenable la vifite qu'un jeune &. joli homme reçoit le matin d'une femme de mon âge & de mon état,

Madame, lui dis-je en baiffant les yeux & en roegiffant, les follicitations m'ont paru toujours inutiles, embarraffantes quelquefois, quelquefois auffi dangereuses. Je n'ai jamais bien fu ce qu'on venoit demander à fon Juge. De l'attention, ce faroit une offenfe; de la faveur, ce feroit une injure. La fimple & l'exacte juftice eft, tout ce qu'on en peut attendre; & c'eft l'humilier encore que de venir la réclamer.

Vous avez bien raison, dit-elle: auffi ne croyez pas que je vienne en plaideuse vous ennuyer de mon proeès. J'ai entendu parler de vous comme d'un homme aimable, plein d'efprit, d'agrément (pardon fi je répète ces adulations). J'ai eu envie de vous connoître, & de vous dire qu'un homme tel que vous eft fait pour avoir dans le monde des fuccès plus brillans, plus flatteurs que ceux du Barreau. Plaidez ma cause, puis qu'enfin vous en êtes chargé; mais tenezvous en là; &, fi vous m'en croyez, venez plaider la vôtre au Tribunal du goût, des graces, des plaifirs, où vous la gagnerez toujours. Je raffemble à fouper chez moi la meilleure compagnie, & fur-tout les plus

jolies femmes. J'espère que mon procès fini, vous en ferez, Monfieur le Juge; & n'y manquez pas, s'il vous plaît. Sur quoi, je vous falue, avec tout le refpect qui est dû à la robe & à vos vingt ans. Telle fut fa vifite, après laquelle je m'enfermai pour mûrir dans ma tête mon plaidoyer du lendemain.

Moi, reprit d'Ormefan, qui l'avois vue fortir avec un air plus animé, plus triomphante qu'elle n'étoit venue, j'éprouvai je ne fais quelle inquiétude chagrine & fombre qui n'avoit rien d'obligeant pour toi. Tu vins dîner. Tu fus rêveur. - J'étois préoccupé. -Sans doute, mais de quoi ? C'étoit là le problême. Je laiffai échapper quelques mots fur les vifites que tu avc reçues. Tu me répondis d'un air froid & laconique, où je crus voir de l'embarras ; &, fans infifter davantage, je te laiffai rentrer chez toi. Mais, il faut te le dire enfin, je fus agité tout le foir. J'eus la fièvre toute la nuit. Je me rappelai la pauvre veuve fuppliante mais feule, intimidée devant toi, ne fachant ou n'ofant parler, congédiée au bout d'un quart d'heure ; & ma cruelle imagination lui oppofoit l'affurance de l'Avocat, la contenance de l'Evêque, l'étalage du Cordon bleu; mais fur- tour l'éclat de beauté dont b illoir la Marquise, fa démarche noble & légère, fa taille de Diane, fon regard de Vénus, lorfau'elle daignoit l'attendrir ou en adoucir la fierté,

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le charme de fa voix, le preftige de fon langage, & tous les artifices de la coquetterie mêlés furtivement aux airs de dignité & de grandeur; que fais je enfin tour ce qui peut féduire, éblouir un jeune homme, & lui troubler l'entendement, s'exagéroit dans ma penfée. Je maudis mille fois l'utage fcandaleux des follicitations. Je dételtai la vanité des Magiftrars qui l'avoient laiffé s'introduite; j'eus la tête remplie de noirs prefentimens; en un mot, je ne dormis point, &, lorfque je te vis fortir le lendemain, pour ces fonctions redoutables que tu allois remplir pour la première fois, un friffonnement me faifit. Je me reprochai d'être injufte, je me peigus ton caractère, je me rappelai tes pincipes; je me dis cent fois que mon fils étoit incapable d'une beffeffe. Mon cœur fembloit te foulever pour me garantir la droiture & li candeur du tien. Mais la féduction, l'erreur, l'inexpérience de ton âge, une prévention malheureufe avoit pu t'égarer. Pourquoi n'avois-je pas au moins: pour cette fois ofé lire dans ta penfée, entrer en cofidence de ton opinion & te l'entendre raifonner? Elle on eût été plus ré chic, & n'en cût pas été moins libre. Eclairer la juice ce n'eft pas l'altérer. Ces pénibles réflexions me tourenentèrent pen-dint une heure, & avec tant de violence qu'il ne me fut plus poffibl. de tenir à l'inquiétude où j'étois. Je m'affublai d'un am

ple & groffier vêtement; j'enfonçai fur mes yeux mon chapeau de campagne; & ma canne à la main, j'allai me glitter dans la foule qui remplificit la falle où tu devois parler.

La première partie de ton plaidoyer me fit frémir. Tu préfentas la caufe de Madame de V*** avec une apparence de bon droit fi artiftement coloré, tu en fis fi bien valoir les moyens, tu les rendis fi fpécieux, qu'à chaque inftant je d fois en moi même: Je fuis perdu; mon fils n'eft plus digne de moi. Enfin je commençai à reprendre efpérance, lorfqu'oppofant à ces moyens, les titres de la veuve, tu fis poindre quelques rayons de justice & de vérité, comme à travers d'épais nuages. Infenfiblement les nuages fe diffipèrent; la bonne caufe parut au jour; & tu la fis briller avec tant d'éclat, tu mis fi bien en évidence la volonté du Teftateur, tu fis fi vivement fentir combien des fophifmes litigieux, fur de légers manques de forme, étoient contraires à l'efprit de la Loi, qui n'eft jamais ni rufée, nï fraudeufe, & dont l'ellence est la fimplicité, la droiture & la bonne foi; tu rendis fi intéreffante la fituation de la veuve & des enfans d'un jeune & brave militaire mort au fervice de l'Erat; & à leur infortune, oppofan: l'opulence & toutes les profpérités de la famille des V***, ru rendis fi facrés les droits du malheur & de la foibleffe, que la voix unanime de l'affemblée

dicta la Sentence des Juges. Je ne l'entendis pas, mon fils, dette Sentence. J'étois tombé évanoui, de l'excès de ma joie, entre les bras du Peuple. Quelqu'un me reconnut; car en tombant j'entendis qu'on disoit autour de moi: Il est fon père. On m'emporta dans la falle voisine; & en reprenant mes efprits je me retrouvai dans tes bras. Je ne fais pas fi on peut être plus heureux que je le fus dans ce moment; mais je fais bien qu'un feul degré d'émotion de plus m'auroit couté la vie ;, &, à dire vrai, fi j'en avois le choix, c'eft d'une mort pareille que je voudrois mourir.

(Par M. Marmontel.)

Explication de la Charade, de l'Enigme & du Logogriphe du Mercure précédent. LE mot de la Charade eft Banqueroute; celui de l'Enigme est l'Année 1790; & celui du Logogriphe eft Année, où l'on trouve Née.

A

CHARADE.

mon fecond fouvent s'apprête mon premier; On pleure, on rit, on chante, on danfe à mon entier. Par M. G... d. C... p. M...)

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