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de la famille, à connaître la vie, à honorer la mémoire, nous avons patiemment réuni et mis en ordre les matériaux que nous offrons aujourd'hui au public.

Nous aurions pu, à l'aide de ces précieux documents, entreprendre une apologie de Buffon et la réfutation du Voyage à Montbard. Mais nous ne connaissons pas de tâche plus ingrate; le succès en est toujours douteux. On lit, il est vrai, les pages qui justifient; mais on a lu aussi celles qui déchirent, et, comme la nature humaine est plus portée au blâme qu'à l'éloge, les spectateurs de l'attaque et de la défense n'y voient qu'un divertissement; ce n'est pour eux que la lutte de deux hommes, dont l'un a porté un coup que l'autre s'efforce de parer. Les droits de la vérité n'ont rien à gagner d'ordinaire à cette espèce de duel.

Au lieu de réfuter Hérault de Séchelles, nous avons mieux aimé laisser parler Buffon lui-même.

Sa correspondance qui, certes, n'a pas été écrite pour la postérité, nous le montre sous un aspect tout à fait nouveau. Cet homme, auquel ses contemporains ont tant reproché la régularité solennelle de sa vie, ne pose pas dans ses lettres; il a dépouillé son habit de cérémonie; il est d'une simplicité et d'une franchise qui trahissent ses sentiments les plus cachés, ses pensées les plus intimes de chaque jour et presque de chaque heure. On le voit réellement tel que la Providence l'a fait, avec ce puissant génie que ses œuvres attestent, mais aussi avec ces vertus sociales et privées qui font le charme de la société domestique.

Sa vie tout entière se trouve dévoilée dans la cor

respondance qu'on va lire.

La première lettre du recueil est à la date de l'année 1729; la dernière est écrite par Buffon à Mme Necker, sa plus constante amie, trois jours avant sa mort, le 11 avril 1788.

Nous le trouvons d'abord à Angers, où il achève ses études, et d'où le chassera bientôt une affaire d'honneur. Il noue avec un ami d'enfance une correspondance qui se continuera dans des jours plus calmes. Nous le suivons dans le midi de la France et en Italie, où l'a conduit le jeune duc de Kingston, dont le précepteur, qui avait un goût prononcé pour l'histoire naturelle, éveille en lui l'instinct du naturaliste.

Nous sommes initiés à ses premiers travaux, premiers succès. Ses études sont variées, mais ses vues sont encore incertaines. Il ne voit pas clairement quelle destinée l'avenir lui réserve, lorsqu'une circonstance imprévue vient lui ouvrir soudain une vaste carrière et fixer un but aux hésitations de son esprit : Dufay meurt, et Buffon lui succède comme intendant du Jardin du Roi.

Ici commence une période nouvelle L'Histoire naturelle est annoncée, les premiers volumes de cet important ouvrage paraissent; l'auteur nous parle de son œuvre, il nous en dit l'immense succès; nous le voyons mépriser la critique injuste que lui suscite l'envie, mais s'affecter en même temps des recherches de la Sorbonne, qui a découvert dans son livre des propositions suspectes d'hérésie, et le menace de sa censure.

L'orage se calme, et le succès du livre grandit. Buffon entre à l'Académie française, et les volumes de l'Histoire naturelle se succèdent d'année en année.

Mais la renommée qui commence ne suffit pas à cette âme sensible et aimante; il cherche dans un sentiment partagé le bonheur que ne peuvent donner ni les triomphes de la vanité, ni les satisfactions de l'amour-propre. Il se marie, et contracte, à un âge où les premières fougues de la jeunesse se sont calmées, un mariage d'inclination. Il épouse une femme sans fortune, plus jeune que lui, et le bonheur devient la récompense d'un choix que le cœur seul a dicté. Mais bientôt sa jeune femme, mortellement atteinte, languit et succombe aux attaques d'une longue et douloureuse maladie. Ici nous recueillons des témoignages touchants d'une sensibilité souvent mise en doute.

Avant de mourir, sa femme lui a donné un fils. La tendresse dont il entoure son unique enfant, les soins qu'il prodigue à son éducation et à sa jeunesse, démentent de la manière la plus formelle cette opinion qu'il eut une nature égoïste et un cœur froid. Dans les lettres où il parle de son fils, dans celles où il lui envoie ses instructions et ses conseils, dans celles même qui contiennent des reproches mérités, on lira des passages d'une tendresse vraie et d'une préoccupation presque maternelle.

Profondément atteint par la mort prématurée de sa jeune femme, il tombe malade à son tour. La maladie s'aggrave; ses jours sont en danger; et, à Versailles, où l'on croit sa fin prochaine, une intrigue de

cour enlève à son fils la survivance de la charge d'intendant du Jardin du Roi qu'il lui destinait. Buffon, chez qui la force du corps est égale à la force de l'âme, revient à la santé; il apprend, malgré le mystère qui l'entoure, l'injustice dont il est victime; mais il garde le silence et ne fatigue pas de ses réclamations ceux qui l'ont injustement traité. Cette attitude pleine de dignité appelle sur lui de nouvelles faveurs. Il a ses entrées à la cour, et sa statue, commandée par le directeur des bâtiments de la Couronne, s'élève aux frais du Roi. A ce moment, il est au comble de la gloire; son nom est partout répété; les souverains étrangers lui envoient des présents et viennent tour à tour lui apporter des témoignages non équivoques de leur profonde admiration.

Bientôt sa santé s'affaiblit, sans que ses immenses travaux se ralentissent. De longues pages restent encore à écrire dans l'histoire de la nature. Il appelle alors à son aide les collaborateurs qu'il a formés, et nous reconnaissons la part que chacun d'eux est venu prendre à son grand ouvrage.

Pendant qu'il poursuit l'achèvement du livre de l'Histoire naturelle, il accomplit une autre œuvre non moins importante. Nous voyons, sous sa direction puissante, se former et se développer le Jardin du Roi. Les collections du Jardin se classent, ses limites s'étendent, son enseignement se perfectionne, et autour de Buffon se groupent d'éminents professeurs, tous choisis par lui.

Ici, on recueille, à chaque page, des traits d'un no

ble désintéressement. Il abandonne généreusement au Cabinet d'Histoire naturelle les riches et nombreux présents qui lui sont personnellement adressés. Pour hâter l'achèvement des grands travaux qu'il a projetés, il engage sa fortune et compromet sa santé.

La vieillesse affaiblit son corps sans rien enlever à la fraîcheur ni à la vivacité de son esprit, et il met le comble à sa réputation en publiant, dans un âge avancé, le plus parfait de ses ouvrages, les Époques de la nature. Cependant le mal intérieur qui mine sa santé s'aggrave; les crises deviennent plus fréquentes, sans que la douleur puisse abattre son courage.

Nous assistons enfin à sa dernière heure. Elle est digne de sa vie. Buffon s'endort dans le sein de la religion, et remet avec confiance son âme entre les mains de Dieu, devant qui s'est toujours incliné son génie.

Voilà les points saillants de sa vie, telle qu'elle se trouve écrite par lui-même dans sa correspondance.

C'est le tableau simple et vrai d'une noble carrière laborieusement remplie. On y reconnaît une grande unité. L'homme privé ne vient jamais démentir l'homme public, et on ne surprend point, aux heures de confiance et d'abandon, le premier qui étudie le rôle que doit jouer le second.

Cette belle vie, dont on peut suivre les divers incidents, se présente sous plusieurs aspects, et Buffon y paraît toujours à son avantage.

Dans ses lettres à l'abbé Le Blanc, dans celles qu'il

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