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du charbon de terre. L'entreprise de Mme de Lailly, à qui cette machine appartenait, n'a pas réussi; elle a trouvé des sables mouvants et des roches presque impénétrables; elle a été forcée d'abandonner son entreprise après avoir eu de l'eau d'abord à soixante et dix pieds. Comme il s'en fallait de cinq pieds que cette eau ne montât au niveau de la surface du terrain, elle a voulu forer plus profondément et jusqu'à deux cent cinquante pieds, ce qui n'a servi qu'à faire perdre la première eau sans en trouver d'autre. Le succès de ces opérations est donc incertain et dépend beaucoup du hasard. Il n'y a pas des veines d'eau partout, et, plus on descend, plus la probabilité d'en trouver diminue. Cependant, puisque vous me demandez mon avis, je vous dirai, monsieur, que je ne voudrais pas que vous abandonnassiez encore votre entreprise, et que vous ne devez pas encore perdre toute espérance. Je connais la matière de la couche que vous percez, on m'en a envoyé plusieurs échantillons; c'est une vraie marne, c'est-à-dire une poussière de pierre à chaux, et cette marne est mêlée de débris de plantes dans lesquelles celle qu'on appelle vulgairement la queue de renard est la plus abondante. Cette couche de matière ne contient point de coquilles de mer, et, quoiqu'elle soit très-anciennement déposée dans le lieu où vous la trouvez, elle est cependant beaucoup moins ancienne que les couches ordinaires du globe qui contiennent des coquilles, et toutes sont fondées sur la glaise ou sur le sable. Je présume donc qu'au-dessous de cette énorme épaisseur de marne vous devez trouver de la glaise ou du sable: j'entends par glaise la matière dont on fait les tuiles et les briques. Je vous conseille donc, monsieur, de ne point abandonner votre entreprise jusqu'à ce que vous ayez percé en entier le lit de marne. Vous n'aurez point d'eau tant qu'il durera; mais, si la glaise est dessous, vous aurez de l'eau dès que vous y serez arrivé, et si malheureusement vous ne trouvez que du sable, vous abandonnerez alors; car il n'y aura plus aucune espérance. Si la

matière de la couche vient à changer, envoyez-m'en un échantillon, et je vous dirai ultérieurement mon avis. Au reste, je ne crois pas que vous foriez longtemps sans trouver la fin de cet amas prodigieux de marne, et vous êtes en droit d'espérer de l'eau tant qu'il ne sera pas percé tout entier. Je ne vous dirai rien pour vous, monsieur; c'est louer votre zèle que de l'encourager. J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments qui vous sont dus, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

(Cette lettre a appartenu à M. Duriveau, officier du génie, demeurant à la Fère. Imprimée avec son autorisation, en 1828, dans une publication de la Société royale d'Agriculture, elle a été insérée en partie dans un Recueil de fac-simile, publié par J. Cassin en 1834. Cette lettre, qui appartient actuellement à la ville de Dijon, montre, d'une façon certaine, à quelle époque remontent les premiers essais entrepris pour le forage des puits artésiens; elle donne, de plus, l'opinion de Buffon sur le succès probable de ces sortes d'entreprises, et renferme une dissertation scientifique sur la nature des terrains dans lesquels de semblables recherches peuvent présenter quelque chance de succès.)

XXXVII

AU PRÉSIDENT DE RUFFEY.

Le 22 juillet 1752.

Je vous envoie ci-joint, mon très-cher Ruffey, une rescription de 658 livres, et je vous supplie de me faire le service de toucher cet argent et de payer pour moi 657 liv. 6 s. 6 d. que je dois au procureur Regnault l'aîné, vis-à-vis le palais, pour deux années d'arrérages. Ne manquez pas, je vous en prie, de tirer quittance de ces deux années échues au 1er janvier dernier, et envoyez-moi cette quittance; car il faut être en règle, surtout quand on a affaire à un procureur.

M. Durand m'a dit vous avoir envoyé vos livres. Nous faisons tous les jours de belles expériences sur le tonnerre1. C'est moi qui les ai fait connaître et exécuter le premier. Si vous avez dessein de les répéter, vous n'avez qu'à faire élever dans

votre jardin une perche de vingt ou trente pieds de hauteur, sceller avec du plâtre un cul de bouteille cassée au-dessus de la perche, en sorte que le creux soit en haut, poser sur ce creux une verge en fer longue d'un pied ou deux et très-pointue, et la maintenir par un contre-poids, comme l'on tient en équilibre un marmouset d'ivoire sur un petit guéridon; ensuite attacher à la verge de fer un long fil d'archal dont vous conduirez l'extrémité dans votre galerie d'assemblée; vous ferez avec ce fil de fer, lorsqu'il y aura de l'orage, toutes les épreuves que l'on fait avec les machines électriques. J'oubliais de vous dire que, pour empêcher le creux de la bouteille de se remplir d'eau (ce qui détruirait l'effet), il faut mettre par-dessus un entonnoir en fer-blanc. Mais je ne pense pas que vous êtes trop habile pour vous faire tant de détail. Les nuées sont souvent électriques sans tonnerre, et le moment où il y a le plus d'électricité, c'est lorsque l'éclair brille. L'abbé Nollet meurt de chagrin de tout cela.

Adieu, mon cher monsieur, donnez-moi de vos nouvelles et aimez-moi toujours.

BUFFON.

(De la collection de M. le comte de Vesvrotte. Publiée en partie par M. Foisset en 1842, dans sa Vie du président de Brosses.)

XXXVIII

AU MÊME.

Août 1752.

Je vous remercie et vous remercie encore, mon cher Ruffey, de votre bonté, de votre amitié et de la quittance que vous m'avez envoyée. Il n'y a rien à craindre, et au contraire, à mettre la barre de fer au-dessus de la maison. J'en ai une ici au-dessus de mon logement1; mais j'aurais préféré la mettre dans le jardin, s'il n'eût été public; et, pourvu que la pointe de la verge surpasse de deux ou trois pieds la hauteur des bâtiments qui environnent votre jardin, elle ne manquera jamais de réussir. Je crois seulement avoir oublié une circon

stance: c'est qu'il faut mettre au-dessus de la perche une boîte de six pouces et carrée, remplie de résine, dans laquelle résine, au lieu de plâtre, vous infixerez le cul de la bouteille cassée; et ne pas oublier l'entonnoir renversé pour couvrir le cul de la bouteille et la boîte; il faut, en effet, que le fil de fer que vous attacherez au-dessus de l'entonnoir à la verge de fer, et que vous amènerez dans votre galerie, ne touche à rien et soit soutenu par des cordons de soie. Si, au lieu d'une pointe de fer, vous mettez une pointe d'argent, vous verrez que le feu électrique des nuages rendra cette pointe d'un beau jaune doré. Voilà, comme vous voyez, une singulière façon de faire du vermeil; mais, sans plaisanterie, cette expérience est jolie, et prouve que le feu du tonnerre n'est pas tout à fait du soufre; car le soufre rend l'argent noir. Il y aurait aussi une belle expérience à tenter, mais je n'en ai pas le temps: ce serait de savoir si l'électricité ne serait pas le phlogistique des chimistes. Pour cela il faudrait faire fondre du plomb dans un vaisseau de verre, le remuer jusqu'à ce qu'il fût calciné en poussière jaune, et ensuite l'électriser continuellement, pour voir si l'on ne viendrait pas à le revivifier en métal par le moyen de l'électricité; j'en doute, mais cependant cela vaut la peine d'être tenté. Piron, que j'ai rencontré hier, n'a refusé d'être de votre société que parce qu'il a cru que cela l'engageait à quelque thème en vers ou en prose; je lui ai dit que non, et il m'a dit qu'en ce cas il consentait à être mis sur la liste ; mais il ne faut pas non plus oublier l'abbé Le Blanc. Il ne m'en a pas parlé, et c'est de moi-même que je pense à lui; et, comme vous avez quelque amitié pour lui, vous devez y penser aussi, et à l'abbé Sallier, comme étant de la province; car il me semble que le plan de votre société est bien vaste: 1o la ville; 2° la province; 3° le royaume; 4° toutes les nations. Adieu, mon cher monsieur, vous pouvez être sûr des tendres et respectueux sentiments qui m'attachent à vous pour ma vie. BUFFON.

(Inédite.

De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

XXXIX

A GUENEAU DE MONTBEILLARD.

Au Jardin du Roi, lundi 18 septembre 1752.

Je vous ai, mon très-cher monsieur, tout autant d'obligations que si vous m'eussiez envoyé la dispense; votre avis est aussi sûr. L'évêque est arrivé vendredi soir; samedi matin j'ai eu la dispense, non pas sans peine, mais enfin je l'ai, et nous partons demain mardi pour aller coucher à Sens. Le mercredi nous coucherons à Cussy-les-Forges, jeudi nous serons à la Maison-Neuve, entre sept et huit, et je serai comblé de joie si je vous y trouve. N'oubliez pas d'envoyer le perruquier à la Villeneuve, où nous irons coucher le jeudi, et j'espère que le vendredi matin la cérémonie sera faite et que nous reviendrons à Montbard le même jour, et vous verrez, mon cher monsieur, que je me soucierai encore moins des critiques de mon mariage1 que de celles de mon livre. J'ai marqué à Mlle de Malain les obligations qu'elle vous a. Adieu, à jeudi, sept ou huit heures à la Maison-Neuve. Je vous embrasse bien tendrement, mon très-cher monsieur. J'emporte votre habit dans ma malle.

BUFFON.

(Inédite. Appartient à la ville de Semur et est conservée dans sa Bibliothèque.)

XL

AU PRÉSIDENT DE RUFFEY.

Montbard, le 12 décembre 1752.

Je vous renvoie, monsieur et très-cher ami, l'écrit que vous m'avez communiqué. Je le trouverais bon si je n'en étais pas l'objet; mais j'y suis loué beaucoup plus que je ne mérite, et cela suffit pour m'engager à vous supplier de ne le

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