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ouvrage mérite s'affermit tous les jours. J'ai dîné aujourd'hui

à la Bibliothèque du Roi avec Duclos, qui, comme vous le savez, est devenu un homme de la cour. Il vient de donner un ouvrage qui essuie bien des jugements divers; pour moi, je le trouve bon et très-bon, quoiqu'il y ait quelques défauts. Beaucoup d'esprit, peu de modestie, peut-être faute d'hypocrisie, un logement au Louvre, la place d'historiographe, et surtout la faveur de Mme la marquise de Pompadour, en voilà plus qu'il n'en faut pour avoir des ennemis; aussi M. Duclos en a-t-il beaucoup. Je trouve que son livre est l'ouvrage d'un homme d'esprit et d'un honnête homme. Nous parlâmes de vous; il en dit beaucoup de bien, et je crois que vous pouvez compter sur lui. Je dis à M. l'abbé Sallier que vous lui faisiez des compliments par ma lettre; il m'a chargé de vous en remercier. M. Daubenton m'a prié de la même chose. Je n'ai pas encore vu M. Doussin; mais je sais qu'il se porte bien, et nous savons tous deux que c'est un homme excellent. On a écrit de Berlin que Maupertuis crache le sang et qu'il est dangereusement attaqué; j'en suis véritablement affligé. Il paraît une critique aussi amère que mauvaise contre le livre du président de Montesquieu. Il n'est pas non plus encore hors d'affaire avec la Sorbonne; pour moi, j'en suis quitte à ma trèsgrande satisfaction. De cent vingt docteurs assemblés, j'en ai eu cent quinze, et leur délibération contient même des éloges auxquels je ne m'attendais pas. Je vous remercie, mon cher ami, de tout ce que vous avez eu la bonté de faire pour moi. Je ne savais pas que j'eusse été reçu à l'Académie de Bologne; si cela est, je vous en ai l'entière obligation, et j'écrirai au P. Jacquier pour lui marquer aussi la reconnaissance que je lui dois; mais je n'ai point encore reçu de lettre d'avis'. Il m'est venu il y a trois jours, par la voie de M. le cardinal de Tencin, une lettre de M. Zanotti 10, par laquelle il me remercie au nom de l'Académie. Je lui ai envoyé mon livre, mais il ne parle pas de ma nomination. Je vous prie même de vous en instruire plus particulièrement. Nous n'avons pas

voulu vous charger de commissions pour le Cabinet; lorsque vous serez de retour, nous nous servirons bien volontiers de vos amis et de vos connaissances en Italie, et nous demanderons par votre moyen les choses qui nous manquent. J'aurai soin de retirer ici la caisse que vous m'annoncez, et de conserver pour vous la petite lampe, et nous distribuerons les graines suivant vos intentions. On est ici fort occupé du jubilé. L'affaire du clergé pour le vingtième n'est point encore finie; l'archevêque de Sens et l'évêque d'Auxerre" se sont traités comme des fiacres dans leurs mandements. M. de Malesherbes, qui a la librairie 1, en est fort en train et la mène bien. Le Dictionnaire encyclopédique entrepris par MM. d'Alembert et Diderot" va bien; il y a déjà plus de mille souscriptions de reçues. Le premier volume est presque achevé d'imprimer. Je l'ai parcouru; c'est un très-bon ouvrage.

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Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse et j'espère que vous viendrez bientôt.

BUFFON.

(Inédite. - De la collection du British Museum. M Flourens en a publié divers passages.)

XXXVI

A M. FEUILLET,

MAIRE ET SUBDÉLÉGUÉ A LA FÈRE EN PICARDIE,

Montbard, le 29 septembre 1751.

Vous me faites, monsieur, beaucoup d'honneur de me consulter au sujet de votre entreprise, et je suis très-flatté des politesses dont votre lettre est remplie; mais vous me supposez peut-être plus de lumière que je n'en ai sur cet objet, et je ne crois pas, monsieur, que je puisse rien dire que vous n'ayez pensé vous-même. Je connais comme vous, monsieur, la machine dont vous vous servez et les effets qu'on en peut attendre; je viens même d'acheter tout nouvellement celle qui était à Drancy près le Bourget, pour l'envoyer à MM. les élus de Bourgogne, qui veulent s'en servir pour trouver

du charbon de terre. L'entreprise de Mme de Lailly, à qui cette machine appartenait, n'a pas réussi; elle a trouvé des sables mouvants et des roches presque impénétrables; elle a été forcée d'abandonner son entreprise après avoir eu de l'eau d'abord à soixante et dix pieds. Comme il s'en fallait de cinq pieds que cette eau ne montât au niveau de la surface du terrain, elle a voulu forer plus profondément et jusqu'à deux cent cinquante pieds, ce qui n'a servi qu'à faire perdre la première eau sans en trouver d'autre. Le succès de ces opérations est donc incertain et dépend beaucoup du hasard. Il n'y a pas des veines d'eau partout, et, plus on descend, plus la probabilité d'en trouver diminue. Cependant, puisque vous me demandez mon avis, je vous dirai, monsieur, que je ne voudrais pas que vous abandonnassiez encore votre entreprise, et que vous ne devez pas encore perdre toute espérance. Je connais la matière de la couche que vous percez, on m'en a envoyé plusieurs échantillons; c'est une vraie marne, c'est-à-dire une poussière de pierre à chaux, et cette marne est mêlée de débris de plantes dans lesquelles celle qu'on appelle vulgairement la queue de renard est la plus abondante. Cette couche de matière ne contient point de coquilles de mer, et, quoiqu'elle soit très-anciennement déposée dans le lieu où vous la trouvez, elle est cependant beaucoup moins ancienne que les couches ordinaires du globe qui contiennent des coquilles, et toutes sont fondées sur la glaise ou sur le sable. Je présume donc qu'au-dessous de cette énorme épaisseur de marne vous devez trouver de la glaise ou du sable: j'entends par glaise la matière dont on fait les tuiles et les briques. Je vous conseille donc, monsieur, de ne point abandonner votre entreprise jusqu'à ce que vous ayez percé en entier le lit de marne. Vous n'aurez point d'eau tant qu'il durera; mais, si la glaise est dessous, vous aurez de l'eau dès que vous y serez arrivé, et si malheureusement vous ne trouvez que du sable, vous abandonnerez alors; car il n'y aura plus aucune espérance. Si la

matière de la couche vient à changer, envoyez-m'en un échantillon, et je vous dirai ultérieurement mon avis. Au reste, je ne crois pas que vous foriez longtemps sans trouver la fin de cet amas prodigieux de marne, et vous êtes en droit d'espérer de l'eau tant qu'il ne sera pas percé tout entier. Je ne vous dirai rien pour vous, monsieur; c'est louer votre zèle que de l'encourager. J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments qui vous sont dus, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

(Cette lettre a appartenu à M. Duriveau, officier du génie, demeurant à la Fère. Imprimée avec son autorisation, en 1828, dans une publication de la Société royale d'Agriculture, elle a été insérée en partie dans un Recueil de fac-simile, publié par J. Cassin en 1834. Cette lettre, qui appartient actuellement à la ville de Dijon, montre, d'une façon certaine, à quelle époque remontent les premiers essais entrepris pour le forage des puits artésiens; elle donne, de plus, l'opinion de Buffon sur le succès probable de ces sortes d'entreprises, et renferme une dissertation scientifique sur la nature des terrains dans lesquels de semblables recherches peuvent présenter quelque chance de succès.)

XXXVII

AU PRÉSIDENT DE RUFFEY.

Le 22 juillet 1752.

Je vous envoie ci-joint, mon très-cher Ruffey, une rescription de 658 livres, et je vous supplie de me faire le service de toucher cet argent et de payer pour moi 657 liv. 6 s. 6 d. que je dois au procureur Regnault l'aîné, vis-à-vis le palais, pour deux années d'arrérages. Ne manquez pas, je vous en prie, de tirer quittance de ces deux années échues au 1er janvier dernier, et envoyez-moi cette quittance; car il faut être en règle, surtout quand on a affaire à un procureur.

M. Durand m'a dit vous avoir envoyé vos livres. Nous faisons tous les jours de belles expériences sur le tonnerre1. C'est moi qui les ai fait connaître et exécuter le premier. Si vous avez dessein de les répéter, vous n'avez qu'à faire élever dans

votre jardin une perche de vingt ou trente pieds de hauteur, sceller avec du plâtre un cul de bouteille cassée au-dessus de la perche, en sorte que le creux soit en haut, poser sur ce creux une verge en fer longue d'un pied ou deux et très-pointue, et la maintenir par un contre-poids, comme l'on tient en équilibre un marmouset d'ivoire sur un petit guéridon; ensuite attacher à la verge de fer un long fil d'archal dont vous conduirez l'extrémité dans votre galerie d'assemblée; vous ferez avec ce fil de fer, lorsqu'il y aura de l'orage, toutes les épreuves que l'on fait avec les machines électriques. J'oubliais de vous dire que, pour empêcher le creux de la bouteille de se remplir d'eau (ce qui détruirait l'effet), il faut mettre par-dessus un entonnoir en fer-blanc. Mais je ne pense pas que vous êtes trop habile pour vous faire tant de détail. Les nuées sont souvent électriques sans tonnerre, et le moment où il y a le plus d'électricité, c'est lorsque l'éclair brille. L'abbé Nollet meurt de chagrin de tout cela".

Adieu, mon cher monsieur, donnez-moi de vos nouvelles et aimez-moi toujours.

BUFFON.

(De la collection de M. le comte de Vesvrotte. Publiée en partie par M. Foisset en 1842, dans sa Vie du président de Brosses.)

XXXVIII

AU MÊME.

Août 1752.

Je vous remercie et vous remercie encore, mon cher Ruffey, de votre bonté, de votre amitié et de la quittance que vous m'avez envoyée. Il n'y a rien à craindre, et au contraire, à mettre la barre de fer au-dessus de la maison. J'en ai une ici au-dessus de mon logement1; mais j'aurais préféré la mettre dans le jardin, s'il n'eût été public; et, pourvu que la pointe de la verge surpasse de deux ou trois pieds la hauteur des bâtiments qui environnent votre jardin, elle ne manquera jamais de réussir. Je crois seulement avoir oublié une circon

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