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qui l'ont vue à l'œuvre, il ne sera plus que juste. On lit dans les Mémoires de Bachaumont, à la date du 20 décembre 1767 :

« Il s'est formé à Paris une nouvelle secte, appelée les Économistes; ce sont des philosophes politiques, qui ont écrit sur les matières agraires ou d'administration intérieure, qui se sont réunis et prétendent faire un corps de système qui doit renverser tous les principes reçus en fait de gouvernement et élever un nouvel ordre de choses. Ces messieurs avaient d'abord voulu entrer en rivalité contre les Encyclopédistes et former autel contre autel; ils se sont rapprochés insensiblement plusieurs de leurs adversaires se sont réunis à eux, et les deux sectes parurent confondues dans une. Quesnay, ancien médecin de Mme la marquise de Pompadour, est le coryphée de la bande; il a fait, entre autres ouvrages, la Philosophie rurale. M. de Mirabeau, l'auteur de l'Ami des hommes et de la Théorie de l'impôt, est le sous-directeur. Les assemblées se tiennent chez lui tous les mardis, et il donne à dîner à ces messieurs. Viennent ensuite M. l'abbé Baudot, qui est à la tête des Éphémérides du citoyen; M. Mercier de La Rivière, qui est allé donner des lois dans le Nord et mettre en pratique en Russie les spéculations sublimes et inintelligibles de son livre de l'Ordre naturel et essentiel des Sociétés politiques; M. Turgot, intendant de Limoges, philosophe pratique et grand faiseur d'expériences, et plusieurs autres, au nombre de dix-neuf à vingt. Ces sages modestes prétendent gouverner les hommes de leur cabinet par leur influence sur l'opinion, reine du monde. »

« Une secte s'est élevée, disait dans le même temps l'avocat Linguet, qui s'est piquée surtout de diriger les princes et de maîtriser la subsistance des peuples; secte qui compte pour rien la vie des hommes, et qui a osé, pour fondement de sa croyance, établir que les denrées seules pouvaient être comptées pour quelque chose par la politique; secte qui a toujours le mot d'économie à la bouche et qui favorise', sinon directement par ses principes, au moins certainement par ses conséquences, la plus effroyable dissipation; secte d'autant plus dangereuse, qu'elle s'attache à exciter le fanatisme; qu'elle séduit de belles âmes par l'apparence et la noblesse imposante de ses mystiques spéculations; qu'en affectant de la fierté elle s'insinue avec adresse dans le cabinet des grands; que ses adeptes parviennent à l'opulence en parlant beaucoup de la misère des autres: monstrueux mélange, enfin, de la frivolité française et de la pédante, de l'inhumaine inconséquence des Anglais.... >

Enfin Grimm, à la date du 1er janvier 1770, juge ainsi cette secte nouvelle Il s'est élevé depuis quelque temps, dans le sein de cette capitale, une secte d'abord aussi humble que la poussière dont

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elle s'est formée, aussi pauvre que sa doctrine, aussi obscure que son style, mais bientôt impérieuse et arrogante; ceux qui la composent ont pris le nom de Philosophes économistes. On les a appelés les Capucins de l'Encyclopédie, en réminiscence de ce que ces bons pères étaient jadis réputés les valets des autres. » Le docteur Quesnay était le chef du parti économiste. Les premières réunions des membres de la nouvelle société se tinrent dans le petit entre-sol que le docteur occupait au-dessous de l'appartement de Mme de Pompadour, dont il était le médecin. L'abbé Baudot, secrétaire de la société, rédigeait un journal, les Éphémérides du citoyen, destiné à répandre et propager ses maximes.

CXLII

Note 1, p. 162. François-Pierre-Marie Gueneau de Mussy, avocat au Parlement, devint maire de Montbard. Avant d'entrer en fonctions, il demanda à Buffon la réforme de certaines mesures qu'il regardait comme contraires aux intérêts de la ville. Il eut trois fils, dont l'un fut Philibert Gueneau de Mussy, membre de l'ancien conseil royal de l'instruction publique. Fontanes l'avait, dès 1808, appelé près de lui, et profita de ses conseils pour organiser l'Université impériale. L'autre, François Gueneau de Mussy, fut longtemps chargé de la direction de l'École normale supérieure. Il était en même temps médecin de l'Hôtel-Dieu et du roi Charles X; son fils Henri est attaché comme médecin à la famille d'Orléans. Buffon cite dans divers passages de l'Histoire naturelle le nom de M. de Mussy, major d'artillerie au service de la Hollande; je n'ai pu savoir s'il appartenait à la famille Gueneau de Mussy.

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Note 2, p. 162. Chaque fois qu'il est parlé du docteur, il s'agit de Jean-Marie Daubenton, garde démonstrateur du Cabinet du Roi.

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CXLIII

Note 1, p. 163. Antoine-Jean Amelot de Chaillou entra jeune dans une carrière qui tôt ou tard conduisait au Conseil, la carrière des intendances. Intendant de la province de Bourgogne, de 1764 à 1774, il eut, en cette qualité, lors de la suppression du parlement de Dijon, en 1771, à signifier à cette cour les ordres du Roi. Lorsque, quelques années plus tard, Amelot fut appelé au Conseil, il obtint le dépar

tement de Paris, dans les attributions duquel rentrait la direction de l'Opéra. Un règlement nouveau, qu'il y voulut introduire, causa une grande ferinentation dans l'Académie royale de musique, et Sophie Arnoux lui dit un jour à ce sujet : « Vous devez cependant savoir, Monseigneur, qu'il est plus facile de composer un parlement qu'un opéra. >

Note 2, p. 163. La famille Daubenton avait à cette époque de nombreux représentants. Le chef de la maison avait eu douze enfants. Louis-Jean-Marie Daubenton, de l'Académie des sciences, et garde démonstrateur du Cabinet d'histoire naturelle, le collaborateur de Buffon, avait épousé, le 21 octobre 1754, Marguerite Daubenton, sa cousine germaine, ainsi qu'on l'a dit précédemment (note 3 de la lettre LIX, p. 303). Il n'avait point d'enfants.

Edme-Louis Daubenton, son cousin, garde et sous-démonstrateur du Cabinet, membre de l'Académie de Nancy, habitait avec son parent le Jardin du Roi. De son mariage avec Mlle Adélaïde de Bouttevilain de La Ferté, il avait eu une fille unique, Zélie Daubenton. Si au Jardin du Roi on s'occupait de sciences, on y écrivait aussi des romans, et bien mieux, on trouvait le moyen d'en faire. Marguerite Daubenton était une femme d'une intelligence distinguée et d'un cœur excellent, mais d'une imagination romanesque et d'un esprit exalté, comme le témoigne son roman de Zélie dans le désert (Voy. la note ci-dessus rappelée). Zélie Daubenton, privée de bonne heure des soins de sa mère morte fort jeune, fut élevée par sa tante. L'éducation d'une jeune fille et les soins qu'elle exige convenaient peu à sa nature; aussi, pendant que la tante écrivait des romans, la nièce faisait-elle le sien.

Antoine Petit, qui occupait une chaire d'anatomie au Cabinet d'histoire naturelle, avait introduit au Jardin du Roi, pour le suppléer dans ses cours, un jeune homme récemment arrivé de Valognes à Paris. Vicq-d'Azir, quoique fort jeune, avait publié sur l'anatomie et la médecine des mémoires qui le firent remarquer. Antoine Petit lui destinait sa succession; mais Buffon en avait disposé à l'avance en faveur d'Antoine Portal, membre de l'Académie des sciences, et Vicq-d'Azir, qui avait perdu l'espoir de voir réussir son projet, dut quitter le Jardin du Roi. Ce premier échec ne le troubla pas cependant; il professa, à l'École de médecine, un cours d'Anatomie humaine comparée avec celle des animaux. Ses leçons attirèrent un nombreux auditoire, succès qu'on ne vit pas sans envie; la jalousie fit bientôt fermer au jeune professeur les portes de la Faculté. Sans se laisser décourager, Vicq-d'Azir ouvrit à ses élèves son propre domicile. Il demeurait alors rue des Fossés-Saint-Victor, tout près du Jardin du Roi.

Pendant son court séjour au Muséum, Daubenton l'avait introduit dans sa famille, et Mlle Zélie Daubenton n'avait point oublié le jeune homme à qui son oncle prédisait un brillant avenir. Un soir d'été, passant avec sa tante devant la maison de Vicq-d'Azir, elle fut prise d'un évanouissement subit. Vicq-d'Azir, on le sait, était médecin, il fut appelé pour lui porter secours. Mile Daubenton fut transportée dans sa maison, et quelques mois après, en 1773, elle devint Mme Vicq-d'Azir. Ce mariage porta bonheur au jeune savant : en 1774, il entra à l'Académie des sciences, et en 1788, à la mort de Buffon, il lui succéda à l'Académie française. Depuis plusieurs années il était le candidat de l'Académie. On lit à ce sujet dans les Mémoires de Bachaumont, à la date du 7 janvier 1787:

« On n'a pas manqué de lancer des brocards contre l'Académie française, depuis qu'elle paraît décidée à écouter les sollicitations du docteur Vicq-d'Azir, pour remplacer l'abbé de Boismont *; voici surtout une épigramme qui court et amuse les oisifs de la nation : Sait-on pourquoi l'Académie,

A trente concurrents divers

Du bel esprit, en prose, en vers,
Ayant la brillante manie,
Préfère un certain médecin,
Exercé dans l'anatomie,
Connaisseur en épidémie,
Le fameux Vicq-d'Azir enfin?
Elle craint l'épizootie **. »

Note 3, p. 164. Buffon fait allusion au lieutenant général civil et criminel au bailliage de Charolles, qui était alors Étienne Déprez, seigneur de Crassier, chevalier de l'Ordre militaire de Saint-Louis.

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CXLV

Note 1, p. 165. Les cadeaux de porcelaine étaient alors à la mode. La porcelaine de Sèvres, quoique dans sa nouveauté, avait déjà atteint un degré de perfection inouï. Ce fut le 24 juillet 1748, qu'une ordonnance royale, rendue sous l'influence de la marquise de Pompadour, établit au château de Vincennes une manufacture pour la fabrication de porcelaines, dans le genre de celles de Saxe. Peu de

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* Rulhières, protégé par Monsieur, près duquel il remplissait les fonctions de secrétaire de ses commandements, l'emporta cette fois sur Vicq-d'Azir. Epizootie veut dire épidémie sur les bêtes à cornes; les cures de Vicgd'Azir dans ce genre de maladie ont fait en grande partie sa réputation de médecin.

temps après sa fondation, la nouvelle manufacture fut transportée à Sèvres, et ses produits en prirent le nom. L'entretien de Sèvres exigeait de grandes dépenses, et, pour engager les courtisans à acheter de ses produits, on exposait chaque année dans la galerie de Versailles ce qui avait été fabriqué de plus parfait. Louis XV dit un jour à l'abbé de Vernon, conseiller au Parlement, en lui montrant un service marqué à un prix fort élevé : « Achetez cela, l'abbé, c'est fort beau. Sire, répondit l'abbé, je ne suis ní assez riche, ni assez grand seigneur. Prenez toujours, reprit le Roi, une abbaye payera votre marché. » Buffon avait reçu de nombreux cadeaux de ce genre; la main qui les avait donnés ajoutait encore à leur valeur. Il avait fait construire à Montbard, en face de sa maison, sur la première terrasse de ses jardins, un cabinet destiné à recevoir cette précieuse collection. C'était une construction d'un genre alors nouveau, une sorte de kiosque, aujourd'hui démoli. On la nommait le dome. Au-dessus d'une grotte de stuc, dont l'intérieur était décoré de coquilles groupées avec art et incrustées dans l'enduit, s'élevait un pavillon à deux étages. Des rampes de pierre habilement ménagées et ornées de vases de marbre et de statues conduisaient de la grotte aux étages supérieurs; des volières et des massifs de fleurs en décoraient les abords. Le dernier étage était appelé le Cabinet des porcelaines. Sur des rayons en bois des îles, qui garnissaient entièrement les murs, étaient rangés les divers et nombreux cadeaux que Buffon avait reçus des souverains et des princes français ou étrangers, soit en œuvres d'art, soit en porcelaines de prix. Ce cabinet renfermait un grand nombre de pièces. Après la fin tragique du fils de Buffon, le mobilier de Montbard fut vendu au profit de la nation; les richesses que renfermait le dôme furent estimées comme de la faïence commune et achetées à vil prix.

Un inventaire fort exact, dressé à Montbard, lors de la mort de Buffon, nous a conservé la liste de ces objets précieux. Buffon, qui était fier de ses porcelaines, faisait toujours servir le café dans le dome, lequel n'était qu'à quelques pas du château.

A la page 127 de l'inventaire, se trouvent les détails suivants qui nous ont paru dignes d'être sauvés de l'oubli, et qui donneront une idée des richesses de cette collection, dont le prix serait aujourd'hui très-élevé :

DÔME.

« Devant et derrière le dôme, il y a des doubles pentes sablées et bordées de treillages peints en vert, par lesquelles on parvient au pied de cet édifice qui est élevé sur un massif environné de murs garnis de

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