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Académies étrangères, et Intendant du Cabinet du Roi et du Jardin des Plantes, seigneur des terres de Buffon et de la Mairie situées en Auxois, province de Bourgogne : il tient ces terres de ses ancêtres; son père a rendu au Roi des services distingués pendant une longue suite d'années, en exerçant une charge de conseiller au parlement de Bourgogne. Ses aïeuls et bisaïeuls et autres ascendants s'étaient acquis la considération et l'estime générale dans le canton de Montbard, où ils vivaient noblement et honorablement, et où ils se faisaient chérir et aimer par leur bienfaisance dont il a hérité; il possède les terres et seigneuries dont il s'agit à titre de haute, moyenne et basse justice, relevant immédiatement de Sa Majesté, avec plus de deux mille arpents de bois qui en dépendent; le tout forme un revenu suffisant pour être décoré et pour soutenir la dignité dont Sa Majesté veut le revêtir. Il jouit déjà dans la république des lettres de l'un des premiers rangs; il s'est donné des soins infatigables pour former le Cabinet d'Histoire naturelle qui fait l'admiration des étrangers et qui servira à perfectionner une infinité de connaissances utiles et curieuses. Les dépenses très-considérables qu'il a personnellement faites pour cet objet, son zèle et son attention particulière dans l'administration qui lui est confiée depuis plus de trente ans; les soins qu'il prend de l'éducation de son fils, unique rejeton de son mariage avec une fille de l'ancienne maison noble de Saint-Belin de la branche de Maslain, et l'envie que Sa Majesté a de graver profondément dans le cœur de ce fils, que M. de Buffon destine au service du Roi, des sentiments si dignes d'un père qui s'est rendu estimable à tous égards et sur les traces duquel il doit marcher, lui donnent sujet de compter sur la bienveillance de Sa Majesté.

« A ces causes et pour d'autres considérations, le Roi joint, unit et incorpore les terres de Buffon et de la Mairie avec toutes leurs dépendances situées en Bourgogne, pour ne former à l'avenir qu'un seul et même domaine que Sa Majesté crée, érige et élève en titre, nom, prééminence et dignité de comté, sous la dénomination de Buffon. « Veut Sa Majesté:

« 1° Que ces seigneuries, terres, fiefs et droits qui en dépendent, soient à l'avenir tenus et possédés comme un seul et même domaine, par M. de Buffon, ses enfants, postérités et descendants mâles nés et à naître en légitime mariage sous le titre et qualité de comté de Buffon.

« 2o Que M. de Buffon et ses descendants mâles soient nommés et qualifiés comtes de Buffon en tous actes, tant en jugement que dehors, et qu'ils jouissent des mêmes droits, honneurs, titres, prérogatives, autorité, prééminence, dignité, rang, franchises et liberté, armes et bla

sons, tant en fait de guerre, assemblées d'État et de noblesse qu'autrement, ainsi que de tous autres avantages et priviléges dont jouissent ou doivent jouir tous les autres comtes du Royaume.

3o Que tous commissaires, vassaux, arrière-vassaux, justiciers et autres, tenant noblement ou en roture des biens mouvants et dépendants dudit comté, reconnaissent M. de Buffon et ses descendants mâles pour comtes de Buffon; qu'ils leur fassent et rendent les foi et hommage, aveu, déclaration et dénombrement, le cas y échéant, sous les titre et qualité de comtes de Buffon, et que les officiers exerçant la justice des terres et seigneuries en question intitulent à l'avenir leurs sentences, jugements et autres actes, du nom, titre et qualité de comte de Buffon, sans que, pour raison de la présente érection, le comte de Buffon et ses descendants soient tenus de payer à Sa Majesté ni à ses successeurs aucune finance ni indemnité, ni qu'ils soient assujettis envers elle, et leurs vassaux et tenanciers envers eux, à d'autres et plus grands droits que ceux dont ils sont actuellement tenus, et sans innover, nuire ni préjudicier en rien aux droits et devoirs qui pourraient être dus à d'autres qu'à Sa Majesté.

<< A la charge toutefois par le comte de Buffon et ses descendants mâles, propriétaires du comté de Buffon, de relever de Sa Majesté en une seule foi et hommage, et de lui payer et aux rois ses successeurs les droits ordinaires et accoutumés, si aucuns sont dus, pour raison de la dignité de comte, tant que les terres et seigneuries dont il s'agit en seront décorés, et qu'au défaut d'enfants, d'hoirs et descendants måles en loyal mariage, lesdites terres et seigneuries retourneront au même et semblable état et titre qu'elles étaient avant la présente érection, condition sans laquelle elle n'eût été faite. Signé Louis, et plus bas, par le roi, Phelyppeaux. »

Ces lettres patentes furent enregistrées au parlement de Bourgogne, le 22 avril 1773, et à la Chambre des Comptes, le 9 juin 1774.

On sera peut-être curieux de rapprocher des lettres patentes délivrées à Buffon en 1772, et lui conférant en récompense des services qu'il a rendus à la science une dignité nobiliaire, celles accordées trois ans plus tard, en 1775, à Gresset, lui donnant la noblesse comme récompense aussi d'une illustration toute littéraire. Le protocole de ces dernières est ainsi conçu : « .... Les avantages que les sciences, les belles-lettres et les arts procurent à notre Royaume, nous invitent à ne négliger aucun des moyens qui peuvent contribuer à leur maintien et à leurs progrès. Les titres d'honneur répandus avec discernement sur ceux qui les cultivent, nous paraissent l'encouragement le plus flatteur que nous puissions leur donner. Parmi ceux de nos sujets qui

se sont livrés à l'étude des Belles-lettres, notre cher et bien-aimé Jean-Baptiste-Louis Gresset s'y est distingué par des ouvrages qui lui ont acquis une célébrité, d'autant mieux méritée, que la religion et la décence, toujours respectées dans ses écrits, n'y ont jamais reçu la moindre atteinte. Sa réputation a depuis longtemps engagé l'Académie française à le recevoir au nombre de ses membres, et nous l'avons vu, avec satisfaction, nous offrir, en qualité de directeur, les hommages de cette Académie, la première fois que nous avons bien voulu l'admettre à nous les présenter, à l'occasion de notre avénement à la couronne. Nous savons d'ailleurs qu'il est issu d'une famille honnête, de notre ville d'Amiens; que son aïeul et son père y ont rempli différentes charges municipales, et qu'ils y ont toujours, ainsi que le sieur Gresset lui-même, vécu de manière honorable, qui, en rapprochant de la noblesse, est un degré pour y monter.... »

A Montbard, il y eut fète le jour où l'on apprit la nouvelle dignité conférée à Buffon. Gueneau de Montbeillard, qui connaissait la véritable cause de cette faveur que le public regarda comme une récompense méritée, s'affligea avec son ami de l'ingratitude des rois et des sourdes menées des cours. Il ne put cependant se défendre du plaisir de chanter ce grand événement, et composa l'impromptu suivant :

Le roi Louis crut honorer ton nom

En y joignant le beau titre de comte;

Mais quel titre en effet vaut le nom de Buffon?
C'est ton curé, Rois n'en ayez point honte,
Qui, te nommant Louis *, illustra pour jamais
Le nom de quinze rois français.

Ce ne fut pas tout. On comprit si bien à Versailles les torts qu'on avait envers Buffon, que l'on voulut, en le comblant de caresses, effacer de sa mémoire le souvenir de ce qui s'était passé. La noblesse de sa conduite en présence de cet injuste procédé, la dignité avec laquelle il se refusa à demander au Roi une compensation pour le dommage que son fils venait d'éprouver, le froid accueil qu'il fit à des avances venues de haut, contribuèrent encore à augmenter le désir d'une plus complète réparation. On choisit quelque chose de neuf et d'inaccoutumé, et on décida qu'il lui serait élevé, de son vivant, une statue au Jardin du Roi.

Le comte d'Angeviller commandait chaque année, au nom du Roi, trois statues des hommes dont les actions ou les écrits avaient illustré la France. La statue de Buffon fut confiée au sculpteur Pajou, qui se

Les noms de baptême de Buffon étaient Georges-Louis, et on célébrait sa fête le jour de la Saint-Louis.

mit aussitôt à l'œuvre; le Roi voulut en payer les frais sur sa cassette particulière. La statue ne fut achevée qu'en 1777, et le public applaudit à une faveur qu'il trouvait justifiée par les éminents services de l'homme qui en était l'objet. Ce fut la première fois peut-être qu'une intrigue de cour devint l'occasion d'une manifestation impartiale de l'opinion publique.

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CXXII

Note 1, p. 143. Le mariage projeté, auquel Buffon avait eu la plus grande part, fut conclu le 24 décembre 1771, et célébré le 25 février 1772. Parmi les lettres de Buffon à Mme Daubenton, qui ont été conservées par la famille, se trouve l'épître respectueuse, et remplie d'une tendresse contenue, que le jeune Daubenton adressa à sa future, le jour même où sa demande fut agréée. C'est l'expression honnête et loyale d'un amour calme, aussi bien senti qu'il pouvait l'étre, comme le dit Buffon dans une lettre postérieure, du mois de mai 1772. Malgré le ton solennel de cette déclaration qui fera peut-être sourire, nous la reproduisons textuellement comme détail de mœurs :

< Mademoiselle,

« Depuis le temps que j'aspire au bonheur d'obtenir votre main, j'ai toujours fait taire le penchant pour n'écouter que le devoir, et, quoi qu'il m'en ait pu coûter, je me suis fait une loi inviolable de ne m'écarter en rien de ce qui pouvait vous témoigner ma soumission et mon respect il ne m'en a cependant pas moins fallu combattre avec moi-même, mademoiselle, pour renfermer dans mon cœur les sentiments tendres et respectueux dont le vôtre était si digne, et que j'aurais eu tant de plaisir à vous exprimer. Mais actuellement, mademoiselle, que je suis assez heureux pour voir aplanir tous les obstacles qui les contraignaient, j'ose espérer, mademoiselle, que vous ne condamnerez pas la liberté que je prends de vous les offrir, et que vous ne dédaignerez pas un hommage que plus de deux ans de silence ont rendu légitime. Agréez donc, mademoiselle, l'expression de tout ce qu'une âme tendre et reconnaissante peut éprouver; partagez un plaisir que vous avez fait naître, et permettez-moi de me livrer à la douceur de croire que vous n'y êtes pas insensible. Je ne vous parlerai pas, mademoiselle, de la joie que me procure le terme prochain de notre union: ce sentiment perdrait trop à être détaillé; mais je ne peux me refuser à la satisfaction que j'éprouve toutes les fois que je

me retrace que je vais m'occuper du soin de vous rendre heureuse et passer avec vous des jours que j'ai désiré de vous consacrer dès les premiers temps où j'ai eu l'avantage de vous connaître. Le seul dédommagement qu'il m'ait été permis, mademoiselle, d'avoir pendant votre absence, était d'aller souvent en causer avec vos respectables parents. Mais qu'il y avait bien loin de ce plaisir à celui que j'aurais goûté en vous voyant et en m'entretenant avec vous ! J'ai reçu, mademoiselle, avec la plus grande sensibilité, la lettre de M. votre père; on ne peut rien de plus honnête et de plus obligeant, et je regarde comme une marque très-précieuse de ses bontés la permission qu'il veut bien m'accorder d'aller lui rendre les assurances de mon respect, puisque par l'effet de sa complaisance je pourrai tout à la fois m'acquitter des sentiments de la vive reconnaissance que je lui dois, et vous témoigner particulièrement ceux de la tendresse et du respect que j'ai toujours eus pour vous et avec lesquels je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissant serviteur.

« G. L. DAUBENTON.

« P.-S. Si je ne consultais, mademoiselle, que mes désirs, je me rendrais avec le plus grand empressement auprès de vous, et j'ose croire que vous êtes bien persuadée que cet objet serait le premier dont je m'occuperais; mais je suis forcé pour le moment de différer ce plaisir et d'attendre l'expiration du mois pour arrêter mes registres, former mes états, et envoyer mes fonds à Paris, pour être absolument libre et ne laisser plus d'affaires qui gênent celles de mon cœur. >

Mme Daubenton, née le 28 août 1746, morte le 22 juin 1793, dont le nom reviendra souvent dans cette correspondance, se trouvait, tant par sa propre famille que par celle dans laquelle elle venait d'entrer, faire partie de l'entourage intime de Buffon. (Voir ci-dessus p. 398.) On pourra en juger en lisant le protocole de son contrat de mariage, rédigé par les soins de ce dernier.

Il est ainsi conçu :

<< Pardevant les conseillers du Roi, résidant à Semur en Auxois, soussignés, ce jourd'hui, 24 décembre 1771, ont comparu M. GeorgesLouis Daubenton, avocat en Parlement, subdélégué du bureau de la ville de Paris, receveur des fermes du Roi au département de Montbard, y demeurant, fils de M. Pierre Daubenton, aussi avocat en Parlement, conseiller du Roi; maire, châtelain et lieutenant général de police de ladite ville de Montbard, subdélégué de l'intendance de Bourgogne, des Académies des sciences de Dijon, des Sociétés littéraires d'Auxerre

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