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profiter du retour du roulier pour me faire venir du vin de Bordeaux; demandez, je vous supplie, à Hickman combien il coûte à Boulogne. J'ai encore un plaisir à vous demander: c'est de m'envoyer un Horace, gravé, et de me dire si les seconds volumes sont achevés de graver; si le livre de M. de Moivre, pour lequel j'ai trois souscriptions, est achevé d'imprimer, je vous enverrais les quittances, et vous joindriez ces trois exemplaires à l'Horace gravé. Nous chantons votre chanson de la chasse, qui est assurément très-jolie. Ces demoiselles vous font mille compliments. Baniche se marie dans huit jours avec Daubenton; si vous n'étiez pas si loin, on vous enverrait du fricot. La grande fille pourrait bien aussi se marier dans peu; mais son amant ne l'a encore vue qu'une fois, et elle n'en est pas empressée. La Daubenton est jolie et a bien les plus beaux tétons du monde. Le dessous de votre tour est peint en porcelaine". Voilà bien de bonnes raisons pour vous rappeler l'année prochaine; mais j'imagine que vous ne quitterez pas aisément et de si tot la bonne maison et les bonnes gens chez qui vous vivez. Je vous souhaite toujours bien des plaisirs. Adieu; écrivez-moi au plus tôt. Vous pouvez dire au duc que le président Rigoley est en famille; sa femme vient d'accoucher d'une fille. Dites à Hickman que Mlle de Roncère est mariée à un homme de vingt-quatre ans; c'est apparemment pour réparer le temps perdu. Je n'ai point reçu de nouvelles de Maupertuis, ni de Clairaut 10. BUFFON.

(Inédite. un fragment.)

De la collection du British Museum. M. Flourens en a publié

XIV

AU PRÉSIDENT BOUHIER.

Paris, le 23 décembre 1736.

Je viens, monsieur, d'apprendre avec une grande joie le mariage de Mlle votre fille1. Je vous suis trop attaché et à tout

ce qui vous touche, monsieur, pour ne pas prendre une trèsgrande part à cette heureuse nouvelle. Permettez-moi donc de vous en faire mon compliment et de vous offrir en même temps mes sentiments et mes vœux. J'ai reçu la lettre dont . vous m'avez honoré, monsieur, et M. l'abbé Le Blanc m'a lu celle où vous avez la bonté de vous souvenir de moi. Je lirai votre nouvel ouvrage, monsieur, avec cette ardeur que je me sens pour toutes les excellentes choses; mais j'ai bien peur que cette matière ne soit bien éloignée de toutes celles que je pourrais lire avec quelque connaissance. J'admire, je vous l'avoue, votre fécondité, et, sans compliments, je ne puis m'étonner assez du grand nombre de bonnes choses que vous nous donnez, quoique je sache à merveille que vous nous en cachez encore davantage. Il paraît une nouvelle épître de Voltaire sur la philosophie de Newton, dédiée à Mme du Châtelet. C'est assurément un très-beau morceau de poésie, mais qui déplaît en quelques endroits par des traits outrés contre Rousseau ".

Permettez-moi, monsieur, d'assurer Mme Bouhier et Mlle votre fille de mes respects très-humbles. J'ai l'honneur d'être, avec un dévouement entier, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

(Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale.— Publiée par M. Flourens.)

XV

A L'ABBÉ LE BLANC.

Paris, le 22 février 1738.

Vous êtes donc à Londres, mon cher ami, pour jusqu'à Pâques? Que je souhaiterais pouvoir vous y aller joindre! Mais je commence à désespérer de notre voyage. M. MacDonnel m'écrit que ses forces reviennent si lentement qu'il n'a pu être du voyage de M. le duc à Paris, et qu'il se retire dans

son ermitage pour se tranquilliser. Cela n'annonce guère un voyage prochain, et j'en suis fâché pour le plaisir seul que je me promettais de vous voir vous et mes amis. J'ai prié Dufay1 d'écrire au duc de Richemont'; il m'a assuré qu'il le ferait, et il a en effet écrit de Versailles. Ainsi je n'ai pu voir la lettre, mais je suis persuadé qu'il a parlé de vous comme vous pouvez le souhaiter. Je m'imaginais que, si nous avions été vous voir, nous aurions pu vous ramener. Mais vous auriez cependant grand tort de quitter, si vous vous trouvez bien, et vous ne pouvez manquer de vous bien trouver, si vous avez appris à aimer la chasse et les courses.

Il s'en faut bien que nous jouissions ici de la même douceur de saison que vous autres habitants du nord de l'Angleterre; actuellement il gèle bien fort, et avant cette gelée le ciel a toujours été couvert, quoique l'air fût assez tempéré. Je suis charmé quand je pense que vous vous levez tous les jours avant l'aurore; je voudrais bien vous imiter; mais la malheureuse vie de Paris est bien contraire à ces plaisirs. J'ai soupé hier fort tard, et on m'a retenu jusqu'à deux heures après minuit. Le moyen de se lever avant huit heures du matin, et encore n'a-t-on pas la tête bien nette après ces six heures de repos! Je soupire pour la tranquillité de la campagne3. Paris est un enfer, et je ne l'ai jamais vu si plein et si fourré. Je suis fâché de n'avoir pas de goût pour les beaux embarras; à tout moment il s'en trouve qui ne finissent point. J'aimerais mieux passer mon temps à faire couler de l'eau et à planter des houblons que de le perdre ici en courses inutiles, et à faire encore plus inutilement sa cour. Je compte bien mettre à profit vos avis: nous planterons des houblons, nous ferons de la bière, et, si nous ne pouvons la faire bonne, nous nous vengerons sur du bon vin.

Votre bonne amie ne se porte pas aussi bien que je le voudrais. Je m'aperçois qu'elle a trop de confiance ou de facilité pour la médecine. On l'a bourrée de remèdes, et e suis bien surpris de ce que son tempérament est encore assez bon

pour se soutenir. Je crois que la santé demande plutôt un régime doux et uniforme qu'une suite de remèdes qui ne peut manquer de produire quelque chose de violent. Je n'ai pu voir encore M. Baudot; mais j'ai dit à votre ami que j'avais de l'argent à lui remettre de votre part, et je ne manquerai pas de le faire la première fois que je pourrai le joindre.

5

Les affaires de Mme de La Touche sont en bon train et donnent quelque espérance bien fondée. Nous avons fait une grande information contre le vilain petit homme; il y a déjà plus de vingt témoins d'entendus, dont plusieurs déposent de faits très-favorables pour nous, de sorte qu'il y a lieu d'espérer que cette information, une fois bien faite, pourra faire tomber l'autre, ou du moins en diminuer si fort les charges qu'elles ne seront plus assez grosses pour faire prononcer un jugement infamant. Vous pouvez bien penser, mon cher ami, que je fais et ferai de mon mieux. M. d'Arty' pourra rendre compte de mon zèle et de mes empressements.

Je serais bien mortifié si, après les soins que je me suis donnés pour le vin, il se trouvait gâté ou même médiocre. Apprenez-m'en des nouvelles dès que vous en saurez. Ditesmoi aussi quand milord Waldergrave' revient; je crains fort qu'il ne soit pas assez longtemps à Londres pour que vous puissiez y profiter de son séjour. Dites à Hickman que ses courtilières et ses couleurs partiront demain, et que j'écris à M. Smith de les lui envoyer d'abord. Adieu, mon cher ami. Je vous souhaite toujours bien de la gaieté et de la santé; la mienne est un peu dérangée depuis un mois. Je vous embrasse et suis, de tout mon cœur, votre très-humble serviteur.

BUFFON.

(Inédite. L'original de cette lettre appartient à M. V. Cousin, qui a bien voulu nous le communiquer avec une obligeance dont nous lui témoignons ici toute notre gratitude. M. Flourens en a publié un passage:)

XVI

AU MÊME.

Paris, le 4 mars 1738.

Ne soyez pas surpris, mon cher ami, si je ne vous ai pas écrit en anglais; je crains tout ce qui fait perdre du temps, et je n'aime guère ce qui mortifie l'amour-propre. Vous parlez cette langue à merveille, et je n'ai garde de vous en faire compliment en la parlant mal; j'aime mieux vous dire la vérité, que de vous la faire sentir en vous ennuyant d'un jargon qui n'aurait d'autre mérite que de vous convaincre de votre supériorité, et qui m'ôterait auprès de vous celui de la reconnaître. Je sors de chez Mme Denis, à qui j'ai lu votre lettre en français; j'y ai trouvé votre ami M. Baudot, auquel j'ai remis un paquet qu'Eustache m'a donné de votre part. Nous sommes tous très-charmés de vous savoir à Londres', et je vous souhaite en mon particulier bien des plaisirs dans cette grande ville; je crains fort ou, pour tout dire, je ne puis espérer de pouvoir vous y aller joindre. Le pauvre Mac-Donnel a eu un second accès de goutte aussi violent que le premier : il y a près d'un mois que je ne l'ai vu; il est à sa campagne, où il ne peut manquer de s'ennuyer; je lui ai écrit et il n'a pu me répondre. La goutte a pris les pieds et les mains. Quand même il aurait le bonheur d'en être quitte bientôt, il lui faudra bien du temps pour que ses forces reviennent; enfin je regarde cette partie de voyage comme désespérée, dont je suis très-fâché, aussi bien que vos bons amis, qui comptaient sur votre retour avec le nôtre. Je vais différer d'acheter le velours que vous me demandez pour Milord Duc, parce que, selon toutes apparences, ce ne sera pas moi qui le lui porterai, et qu'il faut que je sache si cette marchandise n'est pas contrebande, et si je puis la lui envoyer par la voie de M. Smith3, à Boulogne. Marquez

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