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reux, mon cher monsieur, si vous aviez un père aussi tendre que l'est cette bonne maman! Je suis persuadé que le séjour de Paris vous en deviendrait encore plus gracieux. Celui de cette ville me plairait davantage, si je n'étais obligé de plaider avec mon père pour retirer d'entre ses mains le bien qui m'appartient. Voici les nouvelles du pays : il y a quelques jours que de jeunes éveillés jouèrent au bal à la cloche fondue et donnèrent le fouet à M. de la Mare' le fils; la mère, qui était présente, se démasqua et voulut faire du bruit; on lui répondit en se moquant, qu'elle avait tort, et que tout cela n'était qu'une foutaise. Au concert de dimanche, le conseiller Malteste rencontra Mme Jolivet sur l'escalier, et lui mit, à ce qu'on dit, quoi? direz-vous, la main dans la gorge jusqu'au nombril. Elle se retourna, et, justement courroucée, elle donna un soufflet sanglant. Celui-ci répondit par des injures atroces; l'on ne sait encore comment tout cela tournera. Mme Jolivet a remercié au concert, parce qu'on voulait l'obliger à chanter dans les choeurs. Autre aventure: un jeune trésorier, que bien vous connaissez, eut, dimanche, un soufflet au bal, qu'on dit qu'il reçut bénignement; il n'y avait heureusement que deux dames et cinq p..... Les deux premières furent obligées d'en sortir, parce qu'on exploitait les autres derrière leur dos.

Adieu, monsieur; faites-moi l'honneur de m'aimer un peu et la justice de me croire, avec le plus respectueux dévouement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

LECLERC DE BUFFON.

Si vous me faites l'honneur de m'écrire, ayez la bonté, monsieur, d'adresser vos lettres à Montbard.

(Inédite. - De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

XI

A M. DAUBENTON,

AVOCAT AU PRRLEMENT'.

Paris, le 28 janvier 1734.

J'ai reçu, monsieur, toutes vos lettres, auxquelles je répondrai par détail dans la suite; car je n'ai qu'un instant pour vous dire aujourd'hui que j'ai vu M. de Montigny, et que vous devez être sûr que je ne négligerai rien pour l'engager à nous tenir parole. Il me l'a nouvellement promis encore, et m'a assuré que, sans qu'il le sût, l'on ne pouvait lever les charges, en me réitérant que l'affaire des charges municipales ferait finir la vôtre. Je le verrai souvent; il est encore ici pour un mois, et vous pouvez compter qu'il faudra bien qu'il le fasse. Retirez du carrosse et mettez, je vous supplie, sur le mémoire de mon grand-père le port d'une boîte à son adresse, où il trouvera les pièces d'étain qu'il m'a demandées. Adieu, monsieur; je suis plus que je ne puis vous le dire votre trèshumble et très-obéissant serviteur.

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BUFFON.

(Inédite. De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.)

XII

A L'ABBÉ LE BLANC.

Montbard, le 13 juin 1735.

Je ne vous ferai pas, mon cher ami, le détail ennuyeux des occupations forcées et des sottes affaires qui jusqu'ici m'ont empêché de vous écrire; je vous prierai seulement de me pardonner ce retardement, en vous assurant qu'il a été indispensable. S'il m'avait été possible de jouir d'un instant, je n'aurais pas manqué de vous témoigner combien j'ai été

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sensible à votre souvenir, à votre succès et à celui de votre pièce à la cour'. Les petits vers que vous adressez à M. votre père sont tout à fait bien tournés; puissent-ils aussi bien réussir auprès de lui qu'auprès des connaisseurs! Mais je doute fort qu'ils vous produisent quelque chose de plus qu'un compliment ou un remercîment. Je n'ai pas rencontré l'abbé Flory aux états2; je crois qu'il avait suivi M. de Dijon dans sa disgrâce. Vous avez su sans doute qu'il eut ordre de sortir de la ville, pendant la tenue des états, pour avoir refusé d'y siéger après l'évêque d'Autun'. Si je n'ai pas vu vos parents, j'ai en revanche vu beaucoup de vos amis. Ruffey me demanda si vous ne viendriez pas, et il me dit qu'il vous avait écrit pour vous offrir un appartement chez lui; il me parut un peu mortifié de votre silence. Le président Bouhier me fit bien des questions sur votre compte; il vous aime assurément beaucoup; si vous veniez à Dijon, vous y seriez accueilli, recherché de tout le monde. Ne croyez pas, mon cher, que je vous le dise ainsi parce que Montbard est sur le passage, et que vous ne pourriez vous dispenser d'y séjourner. Je vous assure que je le souhaite beaucoup; mais la vérité est que l'on vous loue beaucoup dans votre patrie. J'ai en mon particulier bien lieu de m'en louer; je m'y suis réjoui à merveille, et M. le duc m'a fait la grâce de me parler très-souvent et de m'accorder une pépinière à Montbard, aux frais de la province. Je suis actuellement très-occupé de sa construction et de mes bâtiments, dont l'embarras augmente au lieu de diminuer. J'ai demandé à Dijon des nouvelles de votre critique; on me dit que Michault" pourrissait dans la poussière de son greffe, pour tâcher d'en tirer de quoi faire les frais de l'impression, et le livre pourrit aussi chez le libraire. Savez-vous qu'il doit s'établir à Dijon une académie des sciences? Vous connaissez peut-être le vieux bonhomme Pouffiers, doyen du Parlement; il a laissé des sommes considérables pour cet établissement. et l'on y travaille actuellement. Voilà bien des nou

velles de province; donnez-m'en de Paris, et surtout des vôtres. Adieu, mon cher ami; je suis plus que personne au monde votre très-dévoué et très-affectionné serviteur.

(Inédite. un extrait ".)

BUFFON.

- De la collection du British Museum. M. Flourens en a publié

XIII
AU MÊME.

Montbard, le 26 septembre 1738.

Mon cher ami, j'ai reçu dans leur temps les deux lettres que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire. Vous parlez si bon anglais dans la dernière, que j'aurais deviné vos études de Londres; mais, depuis votre retour à Thoresby', vous n'avez plus de maîtresse de langue, et je crois bien que c'est le seul meuble que vous regrettiez de tous ceux de cette grande ville. Je suis charmé des descriptions que vous me faites; sûr de votre goût, j'ai un vrai plaisir à juger d'après vous. Vous faites un assez long séjour en Angleterre pour vous mettre au fait de toute la nation; je vous invite de prendre là le canevas de quelque ouvrage. Vous avez le coup d'œil bon, et j'imagine que le bon et le mauvais, le convenable et le ridicule de ce pays, ne sont pas difficiles à saisir. Que vous m'avez fait plaisir de m'apprendre que notre cher Hickman se ménage sur la pipe! Continuez vos efforts, et tâchez de l'éteindre absolument; sa santé nous est trop chère pour qu'on puisse la comparer avec un plaisir aussi peu aimable.Embrassez-le pour moi, et dites-lui que je l'aimerai toute ma vie de tout mon cœur.

Le 5 octobre.

Ce commencement de lettre est, comme vous voyez, de bien vieille date. J'ai été obligé de faire un petit voyage; à mon retour, je l'ai trouvée sur mon bureau avec la lettre toute pleine d'amitié que vous m'avez écrite. Soyez persuadé, mon cher

ami, que je sens combien je mérite les reproches que vous me faites; il ne s'en faut guère que je ne sois aussi paresseux qu'Hickman. C'est une partie de pipe ou de chasse qui lui ôte le temps d'écrire, et c'est une plantation ou une démolition qui fait ici la même chose; mais dorénavant je serai plus exact, et surtout dès que je serai de retour à Paris, à la Saint-Martin. Je vous prie d'assurer milord duc de mes respects et de mon zèle. Je ferai sa commission de vin, du mieux qu'il me sera possible, et j'ai déjà écrit pour cela. J'irai exprès à Dijon pour être plus sûr de la qualité du vin et du climat; enfin je ne négligerai rien pour qu'il ait du bon, du meilleur; mais je vous prie de me marquer s'il souhaite des vins prêts à boire ou seulement des vins de cette dernière récolte. Si j'osais lui dire ce que je pense à cet égard, je serais d'avis d'en prendre deux pièces de vieux et quatre de nouveau. Un fort roulier conduira trois queues ou six pièces, et, pendant que vous boiriez les deux premières, les autres se feront. On assure que les vins de cette année seront bons; ainsi je choisirais, dans les meilleures années de Nuits ou de Vougeot, le vin le plus ferme, le plus rosé et le plus propre à résister au mouvement de la mer. D'ailleurs il serait fort difficile d'en trouver de très-bons en vieux; il n'en reste que quelques pièces dans la cave de quelques particuliers, et il est extrêmement cher. Je ne laisserai pas, en attendant votre réponse, que de faire mes diligences pour avoir ce qu'il y aura de meilleur en vins prêts à boire; mais je n'en prendrai que deux pièces jusqu'à ce que j'aie de nouveaux ordres. A l'égard de la voiture, je ne manquerai pas d'envoyer un de mes domestiques avec le roulier; il faut un attelage de six ou sept bons chevaux. Il coûtera beaucoup moins d'envoyer beaucoup par une seule voiture que d'envoyer la même quantité par deux petites voitures. On compte qu'une queue contient cinq cents bouteilles; les trois queues feront quinze cents bouteilles. Faites-moi savoir si cela conviendra et si ce n'est pas trop. Je pourrais

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