Page images
PDF
EPUB

CLIII

A M. DE GRIGNON,

CHEVALIER DE L'ORDRE DU ROI, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE
DES SCIENCES'.

Montbard, le 20 octobre 1774.

Je vous fais bien des remercîments, monsieur, de m'avoir envoyé M. votre fils, et je ne puis vous dire assez combien j'en suis content. Je l'ai trouvé d'un caractère très-honnête, très-aimable, et beaucoup plus instruit qu'on ne l'est ordinairement à son âge. Il a grand soin de bien employer son temps, et il a de l'ardeur pour toutes les choses qui peuvent étendre ses connaissances. C'est sans compliment que je vous rends ce témoignage, monsieur. Il avait en vous un très-bon exemple; mais ni le bon exemple ni la bonne éducation ne peuvent donner autant de mérite et de discernement qu'il en a déjà, et vous devez être très-satisfait, ainsi que Mme votre épouse, d'avoir un enfant qui vous fait tant d'honneur. J'espère que j'aurai le plaisir de le revoir; et peut-être vousmême, monsieur, viendrez-vous à Paris cet hiver. Je crois même que les circonstances seront plus favorables qu'elles ne l'étaient pour obtenir du gouvernement la récompense qu'on doit à vos travaux.

J'ai l'honneur d'être, avec un très-sincère attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

Appartient à M. de Grignon, qui a bien voulu nous en donner

(Inédite. communication.)

CLIV

A VOLTAIRE Ier,

A FERNEY.

Montbard, le 12 novembre 1774.

Si vous jetez les yeux, monsieur, sur la suscription de ma lettre, vous verrez que, dans le nombre assez petit des êtres de la première distinction, je pense très-hautement et de trèsbonne foi que vous êtes le premier. Ce ne sera pas comme le mathématicien de Syracuse, que, par une extrême politesse pour moi, vous avez la bonté de nommer Archimède premier; car jamais il n'existera de Voltaire second: différence essentielle entre l'esprit créateur qui tire tout de sa propre substance, et le talent qui, quelque grand qu'il soit, ne peut produire que par imitation et d'après la matière. J'espérais bien que ma petite note1 trouverait grâce devant vous, monsieur; mais je crois devoir en partie le bon accueil que vous lui avez fait aux mains qui vous l'ont offerte. Je puis vous dire à ce sujet que M. de Florian2 m'a inspiré, dès les premiers moments, la plus grande confiance. Je l'ai trouvé si digne d'être de vos amis, que j'eusse désiré le voir assez longtemps pour devenir le sien; et cela serait arrivé, toujours en parlant de vous, monsieur, comme j'en ai toujours pensé, et comme il en pense et parle lui-même, avec cette tendre admiration qui ne s'accorde qu'à la supériorité qu'on aime, et qu'on ne peut aimer que quand on ne craint pas de l'avouer. Aussi le dernier trait qui fait la plus douce impression sur mon cœur est votre signature; j'ai ressenti un mouvement de joie en ouvrant votre lettre; j'ai admiré avec plaisir la fermeté de votre main et la fraîcheur de l'organe intérieur qui la guide. Avec plusieurs années de moins, je suis plus vieux que vous. Autre supériorité dont je suis loin d'être jaloux; mais n'est-il pas juste que la nature, qui, dès vos premières

années, vous a comblé de ses faveurs, et dont vous êtes l'ancien amant de choix, continue de vous traiter avec plus d'égards et de ménagements qu'un nouveau venu comme moi, qui n'ai jamais rien obtenu d'elle qu'à force de la tourmenter? Vous pouvez en juger, monsieur, puisque vous avez eu la patience de parcourir ces mémoires arides de physique qui servent de preuves à mon Traité des Éléments; et vous n'en êtes pas quitte, car je vous demande la permission de vous envoyer un autre volume qui va bientôt paraître, et qui fait suite au premier. Si je jouissais d'une meilleure santé, je vous proteste, monsieur, que je n'attendrais pas votre visite à Montbard, et que j'irais avec empressement vous porter le tribut de ma vénération; j'arriverais à Dieu par ses saints. M. et Mme de Florian, habitués dans le temple, me serviraient d'introducteurs. Je vais nourrir cette agréable espérance par le plaisir nouveau des sentiments d'estime que vous me témoignez. Depuis que je me connais, vous avez toute la mienne; mais elle ne fait qu'un grain sur la masse immense de gloire qui vous environne, au lieu que la vôtre, monsieur, est un diamant du plus haut prix pour moi.

J'ai l'honneur d'être, avec autant de respect que d'admiration, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

(Cette lettre a été publiée par Panckoucke dans la Gazette nationale ou Moniteur universel du 23 décembre 1789. Il en avait eu entre les mains l'original, conservé parmi les papiers de Voltaire. Lors de la mort de Voltaire, en 1778, Mme Denis lui avait remis tous les papiers de son oncle. Panckoucke se proposait alors de donner une édition complète des œuvres de ce dernier. Des difficultés de fortune et des embarras d'affaires l'empêchèrent de mettre à exécution cette vaste entreprise, et, l'année suivante, en 1779, il traita avec Beaumarchais, qui acheta l'édition projetée. Les Œuvres complètes de Voltaire furent imprimées par ses soins à Kehl, avec les caractères de Baskerville.)

GLV

A MADAME DAUBENTON.

Au Jardin du Roi, le 22 novembre 1774.

Je suis arrivé hier matin, madame et chère amie, en assez bonne santé, et j'ai déjà fait dire à Mme Panckoucke par son mari que vous comptiez sur elle pour bien courir ensemble les spectacles'. Tâchez, bonne amie, d'amener ce projet à bien; c'est aussi l'intérêt de M. votre mari de venir pour ses recouvrements d'argent. J'ai vu Buffonet, et nous avons parlé de vous. Adieu, je vous embrasse, et je vous supplie de compter sur tous les sentiments que vous pouvez et devez attendre de moi.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

J'ai reçu, très-chère dame, votre charmante épître, et je suis enchanté qu'il n'y ait rien de dérangé à votre projet de voyage. Vous pouvez arriver quand il vous plaira; les tapissiers achèvent aujourd'hui de ranger les petites chambres. Vous, M. votre oncle1, son fils et Jeanneton, ont tous leurs petits meubles. Il n'y a que pour M. votre mari qu'on n'a rien arrangé, parce qu'il m'a dit qu'il m'écrirait d'avance lorsqu'il voudrait venir. Vous pouvez donc partir aussitôt que vous le voudrez, si vous ne craignez pas le froid; car depuis deux jours il en fait un assez rigoureux ici, et je suis enrhumé d'avant-hier.

Vous voudrez bien, madame, ne pas oublier un gros pa

nier de fruits qui est dans ma cave. Je vous prie d'ordonner à Dauché de l'envelopper en entier de foin et ensuite de paille, avec de la corde qui la contiendra autour du panier, afin de prévenir l'effet de la gelée pendant le voyage. Vous aurez la bonté de faire partir ce panier ainsi fourré avec les autres ballots que vous et M. votre oncle enverrez au coche d'Auxerre, et je partagerai les frais de la voiture. Je devrais écrire à ce cher oncle; mais j'ai si peu de temps dans ce commencement de séjour, qu'à peine je puis me reconnaître. Faites-lui donc savoir qu'il est le maître d'arriver quand il lui plaira, et que le plus promptement sera le mieux.

Je vous remercie, très-chère amie, des nouvelles que vous me donnez de votre santé et de celle de mon père. Je ne suis pas mécontent de la mienne, malgré mon rhume, que je vais tacher de mitonner en vous attendant. Mille compliments à vos messieurs et à M. le docteur, qui attendra probablement une seconde fois le beau temps. Ceux d'ici se portent bien et vous attendent avec impatience. Mme Amelot', que je n'ai vue qu'un moment, m'a demandé de vos nouvelles. Elle est dans le déménagement, et ne sera rangée que dans huit ou dix jours, à son nouvel hôtel. Mme de Saint-Chamant' m'a aussi parlé de vous. On va faire un champ de blé pendant deux ans de cette belle pièce d'eau sur laquelle vous avez vogué; après quoi on y remettra de l'eau et du poisson que le bois flotté a fait maigrir. Buffonet se porte bien et dit qu'il vous aime bien et que vous êtes de ses plus vieilles amies. Je crois, belle dame, que vous ne doutez pas que son papa vous aime encore mieux.

(Inédite.

BUFFON.

· De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.)

« PreviousContinue »