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ANNÉE

DE LA

FEUILLE VILLAGEOISE.

TRENTE-DEUXIEME SEMAINE.

Feudi 5 Mai 1791.

Lettre aux Auteurs de la Feuille Villageoise. VOULEZ-VOUS bien, Meffieurs, inférer dans la Feuille Villageoife tet arrêté d'une municipalité de campagne, qui donne aux villes Pexemple de la manière dont il faut honorer ceux qui ont fervi la patric. Des MESSES pour Mirabeau ! Eft-ce que des pains pour les pauvres ne valent pas mieux ? Voilà ce que vîent de faire un maire, qui eft curé en même temps.

Signé P. MANU E L.

CEJOURD'HUI dimanche, 17 avril 1791, les officiers municipaux notables de la paroiffe de Mormant, département du Loiret, diftrict et canton de Montargis, affemblés, et lecture faite du No. 29 de la Feuille Villageoife, qui contient l'éloge funèbre de Mirabeau le procureur de la commune a dit: Meffieurs, l'ami, le défenseur du peuple n'eft donc plus; Mirabeau est mort. De tous côtés, la patrie en pleurs honore fa mémoire, Déjà l'affemblée nationale a déclaré qu'il a mérité les honneurs qui feront décernés par la nation aux grands hommes qui ont bien servi la patrie, Déjà la sapitale, prefque toutes les villes et les gardes nationales de l'empire Français ont fait célébrer pour lui des fervices folemnels.

Interprête des fentimens de toute la commune, je viens, Mefheurs, vous propofer d'honorer, autant qu'il eft en nous, la mémoire de ce généreux citoyen qui a fi bien mérité de la patrie : je propofe de joindre à toutes les prières faites pour lui, les bénédictions des pauvres, qui font elles-mêmes les prières les plus efficaces auprès de l'être fuprême, et je demande qu'il foit fait pendant les fêtes de Pâques, aux dépens de la commune, une diftribution de pain dans les familles pauvres de cette paroiffe.

Seconde Partie.

Le confeil général de la commune, ayant délibéré fur la prope. fition du procureur de la commune ; perfuadé que la feule vraie gloire eft celle qu'on acquiert à défendre et à fervir fa patrie ; qu le prix des grands fervices doit-être l'eftime et la reconnoiffance publique; qu'honorer la mémoire des bons citoyens, c'eft inviter tous les citoyens à leur reffembler.

Le confeil général de la commune, empreffé de rendre à Honoré Riquetti de Mirabeau, ce culte public que doit la patrie reconnoiffante à tous ceux qui l'ont bien fervie, et pénétré de cette vérité confacrée par la religion et par l'humanité; que les bénédictions des pauvres font les prières les plus agréables aux yeux de l'é

ternel.

Vu la circonstance de la semaine fainte et des trois fêtes qui vont Ja fuivre ;

Le confeil général arrête ce qui fuit: 1. il fera fait dimanche prochain, jour de Pâque, une diftribution d'un pain de dix livres dans chaque famille pauvre de cette communauté. 2°. M. le curé, maire de cette paroiffe, fera prié de faire en présence de toute la commune affemblée, lecture du préfent procès-verbal, de faire connoître les grands fervices rendus à la patrie par Mirabeau, et l'intention que fe propose le conseil général en faifant cette diftribution de pain aux citoyens pauvres de cette paroiffe.

De plus, le confeil déclare qu'il faifit avec plaifir cette occafion le témoigner fa reconnoiffance aux eftimables auteurs de la Feuille Villageoise, et arrête qu'il leur fera envoyé copie du préfent procès-verbal, pour en faire tel ufage qu'ils jugeront à propos.

Fait et arrêté par nous P. Bardin, maire et curé; Simon Charonereau, et J. M. Baudenon, officiers municipaux; Luc Bajou procureur de la commune; Pierre Bricon, Jacques Harry, Charles Risquin, Jacques Seguin, P. Ythier Baudenon, et Edme Berlan, notables.

Gertifié conforme.

BAUDENON, greffier-fecrétaire.

Note des Rédacteurs. Nous trouvons la municipalité de Mormant fort jufte et fort fage dans les honneurs qu'elle a rendus au génie de Mirabeau, mais trop indulgente dans l'opinion qu'elle a de notre feuille, qui fera vraiment eftimable si elle parvient à opérer le biem d'un feul village.

Suite de la Géographie Universelle.

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PLACE LACÉ entre la domination autrichienne et la domination turque, le royaume de Hongrie pouvoit manquer de devenir, tôt ou tard, la proie de l'une ou de l'autre de ces deux puissances ambitieuses. Louis II, roi incapable et inexpérimenté, se croyoit invincible, , parce qu'il avoit pour lui les nobles et les moines de son royaume. Les nobles lui promettoient la victoire et il étoit battu; les moines lui promettoient une postérité nombreuse, et il n'eut point d'en fans.

Roi de Hongrie et de Bohême tout ensemble, un si vaste héritage étoit convoité et attendu par Ferdinand qui avoit épousé la sœur de Louis, et qui étoit frère de l'empereur Charles-Quint, tout-puissant alors en Allemagne. Soliman II qui seul balançoit le fortune de l'Autriche, tenta de lui dérober une si belle succes sion. Profitant d'un moment où Charles- Quint étoit eccupé ailleurs, il parut en Hongrie à la tête de cent mille hommes.

La terreur de son nom le précédoit. Un moine intrépide ou présomptueux persuada au roi qu'une guerre contre les Turcs étoit une guerre de religion. Il fut nommé général de l'armée hongroise. Vêtu d'un froc et d'une cuirasse, le cimeterre au côté et le crucifix en main, il marcha contre Soliman, et livra la bataille funeste de Mohacz, où le roi de Hongrie et son armée entière périrent victimes de leur superstition.

Forcé de retourner précipitamment à Constantinople pour réprimer une révolte suscitée par les émissaires de Charles-Quint, Soliman abandonna sa conquête, et Ferdinand se fit nommer roi de Bohême et de Hongrie. Un parti, moitié Turc, moitié Hongrois, s'éleva contre lui, et choisit, pour monarque, le vaivode ou le commandant de la Transylvanie. Après plusieurs combats, les deux rois concurrens, signèrent un traité de partage.

Le vaivode mourut. Son parti se déclara pour un F

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fils posthume du prince mort, et nomma pour régens, la veuve et un prélat. Ferdinand les assiégea dans les murs de Bude qui étoit alors la capitale de Hongrie.

L'évêque appela les Turcs à son secours. Soliman vint et chassa l'armée autrichienne. Il invita la reine et son ministre à conduire l'enfant-roi dans son camp : ils arrivèrent avec les principaux nobles et les principaux magistrats: tandis qu'on leur donnoit une fête superbe, les janissaires s'emparoient de Bude: maître de la ville et du prince, Soliman, sans être touché des pleurs de la reine, ni des lamentations de l'évêque, les relégua dans la Transylvanie. Cette perfidie ottomane ouvrit enfin les yeux du peuple qu'on agitoit depuis si long-temps au nom de la liberté. Tremblant pour sa religion et fatigué de ses discordes, il se donna sans retour à Ferdinand. Ses successeurs reprirent sur les Turcs Belgrade, Temeswar et Bude ellemême. Ils remportèrent sur les Hongrois une victoire plus difficile: la royauté, d'élective qu'elle étoit, devint héréditaire sous Léopold I.

En abdiquant le pouvoir électif, la Hongrie se réserva le pouvoir législatif qu'elle garde encore aujourd'hui. Le roi qui la gouverne n'y statue rien, sur-tout en matière d'impôt, sans l'avis et le consentement des états, composés, ainsi que dans tous les pays tudesques, du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie. La diète, ou les comices de la fausse nation, car la véritable consiste dans le peuple, s'assemblent tous les trois ans à Presbourg, la capitale moderne du royaume, et délibèrent sur le gouvernement civil, sur le gouvernement ecclésiastique, la paix, la guerre, le commerce et tous les intérêts de l'état. Sans dominer les délibé rations, le prince essaye de les diriger, soit en séduisant les bons citoyens par l'apparence des vertus, soit en corrompant les ambitieux par l'espérance des dignités. Mais la cabale des ministres à échoué souvent contre l'intrigue des factieux, et quelquefois résistance des patriotes. Nous donnons, à regret, ce dernier titre aux magnats de Hongrie, non qu'ils ne soient en général des amis fervens de la liberté, mais parce qu'infatués de leurs noms et jaloux de leurs privilèges,

contre la

is sont les ennemis mortels de l'égalité, ét par conséquent les oppresseurs impunis de la nation. Ĉes nobles orgueilleux ont su résister, il est vrai, au despotisme impérial, mais étendant sans mesure et sans pitié leur propre despotisme, ils ont appauvri les cités, dépeuplé les campagnes, et transformé en déserts la moitié de la Hongrie.

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Le laboureur n'y possède rien en propre il n'est que le fermier du gentilhomme qui peut le congédier à son gré, ou le rançonner à sa fantaisie: et sans être serf, comme le paysan Russe et le paysan Polonois, il est prescu'aussi misérable. Tout le poids du travail, tout le fardeau des taxes portent sur lui. A peine garde-t-il la portion modique qui doit l'alimenter avec sa famille. A peine est-il logé, et il est réduit souvent à des habitations souterraines, . tellement construites que la cheminée seule paroît au dessus du sol. Plus fortuné que lui, le bétail a pour demeure et pour pâturage de vastes forêts et d'immenses prairies qui appartiennent à quelques seigneurs, rois absolus et tyrans solitaires de ces marais étendus et incultes. Aussi le voyageur parcourt-il quelquefois vingt lieues, trente lieues sans rencontrer un village.

Sous les derniers règnes, le gouvernement a voulu repeupler ce royaume en fertilisant ses marais. Des émissaires, répandus dans les états voisins, ont enrôlě secrettement des cultivateurs qu'ils enivroient de belles espérances. Un de ces embaucheurs, en parcourant la Franche-Comté, portoit avec lui de grosses clefs qu'il disoit être celles des châteaux offerts aux émigrans. Des hameaux entiers désertoient à cette vue. Aucune de ces émigrations ou de ces colonies n'a réussi. Le gouvernement n'avoit, ni assez de pouvoir pour les protéger, ni assez d'argent pour les établir; et sortant à peine du néant, les nouvelles peuplades y étoient re plongées, ou par l'inondation des marais, ou par la violence des nobles, ou par les incursions des bêtesfauves qui disputoient aux grands l'empire des déserts. Mêlés aux animaux sauvages, les chevaux errent en liberté dans les prairies et dans les bois; et ils apr partiennent au premier qui s'en empare et qui les

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