Page images
PDF
EPUB

Les arts utiles ne règnent pas moins à Venise que les arts agréables. Les glaces de Venise, quoiqu'effacées depuis par les nôtres, ornent encore tous les palais de l'Italie. Ses fabriques de velours et de bas de soie ont un débit immense en Allemagne. Tout le Levant est paré de ses galons, et les Sultanes préfèrent ses étoffes légères aux nôtres. Sa thériaque, dont le secret et le revenu appartiennent à l'Etat, se vend dans toutes les pharmacopées et sur tous les tréteaux de l'Univers. La cire que ses marchands achètent en Grèce et en Dalmatie; les toiles qu'ils font venir de la Suisse et de la Flandre; les aromates, les baumes, les épiceries, les sucres et les cotons qu'ils apportent de l'Orient, entretiennent l'activité de ses manufactures, et la richesse de son commerce; et Venise est encore la courtière d'une grande partie du monde.

Les états qu'elle possède en terre - ferme sont si fertiles, qu'elle en néglige la culture. Avec les meilleurs arbres elle recueille de mauvais fruits; avec le meilleur blé elle fait du pain médiocre; avec les meilleurs vignobles elle boit des vins détestables. La sobriété la plus avare préside à la table des nobles, et le peuple se régale d'une pâte abondante et peu chère, qui est faite avec de la farine de blé de Turquie. Cette facilité de se nourrir et la profusion des spectacles accoutument le peuple à l'oisiveté, et c'est le seul pays où la paresse ne soit pas accompagnée de misère et d'ennui aucune ville de l'Univers où l'on voie autant de voyageurs et si peu de vagabonds, autant d'oisifs et si peu de mendians, autant d'aventuriers et si peu de malfaiteurs.

La République a vingt millions de revenu qu'elle retire, soit des entrées de la capitale, soit des contributions. des villes qui lui sont soumises. Elle a perdu Chypre et Candie: elle conserve Padoue, célèbre par son université; Vicence, fameuse par son théâtre; Vérone, illustre par ses antiquités; Zara, si connue par son marasquin et ses liqueurs; Bergame, plus connue encore par ses arlequins et ses saltimbanques; Brescia, éternellement mémorable par les exploits chevaleresques de Bayard.

[ocr errors]

Nous finirons cette longue description par deux faits qui méritent d'être détachés de tous les autres.

Premier fait. L'aristocratie des nobles possède le gouvernement entier : le seul grand chancelier est tiré de la classe plébéïenne. Il est le magistrat, le défenseur, en un mot, le tribun du peuple; il assiste aux délibérations du sénat, et c'est, après le Doge, le premier homme de la République ; tant il est vrai qu'il faut pour voiler l'esclavage l'ombre de la liberté !

Second fait. Venise, bâtie, comme nous l'avons dit, sur soixante-douze îles, ou bancs de sable, est partagée, pour le culte divin, en soixante-douze paroisses. Les soixante-douze pasteurs qui les dirigent, sont élus par le peuple, et stipendiés par le sénat. La cour de Rome n'a jamais osé censurer un usage conforme à la primitive église. Que penser de Pie VI, qui, foible ou inconséquent, excommunie en France une discipline qu'il respecte à Venise? Que penser de nos évêques et de nos prêtres non-conformistes, qui, par entêtement ou par ignorance, condamnent les élections populaires, usitées dans les quatre premiers siècles de l'église Romaine, conservées fidèlement dans l'église Vénitienne, et rétablie enfin dans l'église Gallicane?

ASSEMBLÉE NATIONAL E. Du 12 Septembre 1791.

Nouvelle formule d'engagement.

La condition du soldat étoit avilie et misérable; un salaire disproportionné aux besoins le laissoit dans une pauvreté humiliante. Toujours menacé de jugemens arbitraires, il trembloit servilement devant ses chefs. Souvent forcé de subir des peines infames, son cœur s'affaissoit sous l'opprobre de sa destinée. A jamais relégué dans les emplois subalternes, rien n'élevoit ses espérances; ses officiers étoient des maîtres, des demi-dieux pour lui. Tout est changé : l'obéissance qu'il devoit à la personne, il ne la doit plus qu'au

grade. Mieux payé, mieux traité, il ne sert plus que sa patrie; il ne dépend plus que de sa conduite.

Mais tandis que ses droits, ses devoirs et son être se sont ainsi renouvelés, la forme de son engagement restoit la même. Le soldat de la constitution continuoit de souscrire un pacte dont les expressions ne convenoient qu'au satellite du despotisme. Sa liberté, sa personne, sa vie qu'il ne doit aliéner qu'au véritable souverain, à la nation entière, il sembloit les livrer, les louer, les vendre au caprice d'un seul homme, à la volonté arbitraire du roi. Un pareil engagement étoit un démenti donné à la loi. Un autre le remplace. La signature d'un citoyen qui s'offre librement à la défense du pays, ne souscrira plus les promesses du stipendiaire violemment recruté, de l'infortuné milicien qui arrivoit garrotté dans un corps où il n'avoit à espérer que du mépris et des coups.

Par la nouvelle formule, le soldat s'engage à servir la nation sous les ordres du roi, chef suprême de l'armée. I promet de servir avec honneur et fidélité, d'être invariablement attaché aux lois militaires et aux règles de la discipline, d'obéir ponctuellement à tous ses supérieurs, et de se comporter dans toutes les occasions en honnête et brave

soldat.

Cette loi nouvelle intéresscra nos lecteurs. Les villages sent la pépinière des bons soldats. Les régimens seront désormais les séminaires des jeunes villageois; c'est là qu'ils apprendront à respecter les autres pour se faire respecter, à ne craindre que le déshonneur, à ne plier que sous la loi.

Du 14 Septembre.

Avignon et le Comtat déclarés Français.

Enfin nos vœux sont remplis ; le sang va cesser de couler dans cette contrée malheureuse. Il est certain que les aristocrates français y nourrissoient le désordre et la guerre civile, espérant toujours que l'incendie gagneroit les départemens français qui l'environnent. Depuis long-temps l'assemblée nationale auroit pu terminer ces maux. Le respect pour les droits des nations

[ocr errors]

la seul arrêtée. Le vœu des peuples n'étoit point manifesté. Elle ne vouloit point qu'une adoption eût l'air d'une conquête. Des commissaires ont été envoyés ; ils ont fait cesser la guerre et désarmé ceux qui par la terreur empêchoient les amis de la liberté de se jeter dans les bras de la France. Les communes se sont réunies en assemblées primaires. Plus de cent mille. hommes ont fait entendre leur volonté solemnelle. Les sujets du pape demandent le nom de citoyens français. La France avoit plus d'un titre pour les recevoir. On n'en a point voulu d'autre que le vœu libre de la majorité. En déclarant nos droits, l'assemblée avoit d'avance avoué celui des autres peuples. En reconnoissant la souveraineté avignonaise, l'assemblée confirme la nôtre.

Le décret est rendu. Avignon et le Comtat sont aujourd'hui partie intégrante de l'empire français; l'incorporation va être exécutée; la force nationale y rétablira la paix; les lois reprendront leur empire; la cour de Rome sera dédommagée; nos lois régneront, où déjà florissoient notre langue et nos mœurs. Nous aurons un département fraternel et patriotique, où nous n'avions qu'une province empoisonnée de discorde et d'aristocratie.

Détails relatifs à l'acceptation de la Constitution françaiss par le roi des Français.

Depuis le 3 septembre que l'acte constitutionnel avoit été remis au roi, tous les citoyens attendoient avec impatience son acceptation; mais cette impatience n'éclatoit par aucun murmure, Point de fermentation tumultuaire; chaque parti s'observoit et se commandoit le calme; on ne vouloit pas que le roi pût douter de sa liberté. Cependant le pain renchérissoit, le numéraire sembloit s'enfuir avec nos émigrans, des bruits de guerre étoient semés pour alarmer le peuple, la discorde paroissoit prête à éclater, nos ennemis espéroient voir Paris noyé dans le sang:

[ocr errors]

à cette nouvelle on eût chanté le Te Deum au delà du Rhin: la sagesse du peuple a privé ses ennemis de cette horrible joie jamais la capitale ne fut plus paisible.

Enfin le 13 le roi se détermine à manifester sa résolution par une lettre, dont nous regretterions de dérober un seul mot à nos lecteurs.

Message du Roi à l'Assemblée nationale.

MESSIEURS,

j'ai examiné attentivement l'acte constitutionnel que vous avez présenté à mon acceptation. Je l'accepte, et je le ferai exécuter. Cette déclaration eût pu suffire dans un autre temps: aujourd'hui je dois aux intérêts de la nation, je me dois à moi-même de faire connoître mes motifs.

Dès le commencement de mon règne, j'ai désiré la réforme des abus; et dans tous les actes du gouvernement, j'ai aimé à prendre pour règle l'opinion publique. Diverses causes, au nombre desquelles on doit placer la situation des finances à mon avénement au trône, et les frais immenses d'une guerre honorable, soutenue long-temps sans accroissement d'impôts, avoit établi une disproportion considérable entre les revenus et les dépenses de l'Etat.

Frappé de la grandeur du mal, je n'ai pas cherché seulement les moyens d'y porter remède; j'ai senti la nécessité d'en prévenir le retour. J'ai conçu le projet d'assurer le bonheur du peuple sur des bases constantes, et d'assujettir à des règles invariables l'autorité même dont j'étois dépositaire. J'ai appelé autour de moi la nation pour l'exécuter.

Dans le cours des événemens de la révolution, mes intentions n'ont jamais varié. Lorsqu'après avoir réformé les anciennes institutions, vous avez commencé à mettre à leur place les premiers essais de votre ouvrage, je n'ai point attendu, pour y donner mon assentiment, que la constitution entière me fût connue ; j'ai favorisé l'établissement de ses parties, avant même d'avoir pu en juger l'ensemble; et si les désordres qui ont accompagné presque toutes les époques de la révolution, venoient trop souvent affliger mon cœur, j'espérois que la loi reprendroit de la force entre les mains des nouvelles autorités, et qu'en approchant du terme de vos travaux, chaque jour lui rendroit ce respect sans lequel le

« PreviousContinue »