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Serois-je, Messieurs, le premier qui réponde a l'exhortation que M. Manuel a faite dans votre Numéro 47 ? Et tous ceux qui sont instruits par la philosophie ou par la révolution française ne chercherontils pas, selon leurs facultés, à éclairer leurs frères des champs ? Je vous envoie un assignat de 200 liv., désirant de contribuer par-là à répandre une Feuille aussi utile que la vôtre. Get assignat vous servira, Messieurs, à remplir mon vou, en envoyant, gratis, votre Feuille à des curés ou à des ministres protestans dignes de la recevoir, et en les priant de vouloir bien la lire et J'expliquer à leurs bons paroissiens.

Cette lettre, accompagnée d'un assignat de 200 liv., n'étoit pas signée. Avant d'accepter une donation anonyme, nous avons désiré en connoître les auteurs. Nous avons appris qu'elle venoit de MM. d'Apples, distingués dans toute la Suisse, et connus même en France par leurs relations de commerce, par leurs qualités personnelles, par leur fortune, et l'usage qu'ils en font. Nous n'avons pas balance dès lors à recevoir Passignat, et nous avons seulement prié MM. d'Apples de vouloir bien eux-mêmes nous indiquer les ministres protestans auxquels ils destinent le fruit de leur bienfait. Nous publions ce bienfait, afin qu'il obtienne le seul remerciement digne de la vertu, l'estime publique.

C'est un spectacle touchant de voir des citoyens de Lauzanne s'animer d'amour et de zèle pour la France. C'est que la liberté est un Messie attendu par toute la terre. Dès qu'il se montre quelque part, tous les yeux se tournent vers lui. Lauzanne est un des premiers pays qu'il ira visiter et affranchir. La tyrannie Bernoise indigne tous les bons Helvétiens. Les coups d'autorité qu'elle frappe révolteroient un peuple esclave: com. bien ils doivent soulever un peuple libre !

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APRÈS

Suite de la Géographie universelle.

PRÈS la république de Carthage, aucune république commerçante et maritime n'a joué un rôle plus brillant que la république de Venise: elle est la plus ancienne des républiques modernes, et c'est la seule puissance qui soit demeurée immuable au milieu des changemens de l'Europe, la seule qui jamais n'ait subi la domination, ni même souffert la protection d'aucun prince étranger.

Son origine fut celle qui mène à la grandeur, l'adversité. L'impitoyable Attila exterminoit l'Italie; tout fuyoit devant lui. Abandonnant leurs murs, les habitans de Venetie, province qui étoit située entre les Alpes et le golfe adriatique, se réfugièrent dans les petites isles, et les lagunes ou marais de ce golfe profond. Des chaumières d'argile, et des huttes de bois précipitamment construites, furent le commencement obscur de cette Venise qui, dans la suite, devint la souveraine de la Méditérannée, et la rivale des plus grands po

tentats.

Défendus par leurs marais, et séparés du reste du monde, les insulaires Vénitiens ne vécurent d'abord que de la pêche, et n'eurent d'autres lois que l'égalité et la paix, deux sources de bonheur et de population. Multipliés par elles, ils s'adonnèrent au commerce, et le commerce transforma bientôt une bourgade éparse et misérable en une ville florissante et réunie. Soixante et douze bancs de sable, chargés de maisons de pierre ou de brique, et liés entre eux par des langues de terre, ou par des ponts de marbre, ne composèrent plus qu'une cité immense sortant comme par magie du fond de la mer.

Après avoir créé la ville, le peuple s'occupa à créer le gouvernement. Douze tribuns furent choisis pour administrer la justice, et pour régler les lois. Ils abusèrent du pouvoir. On crut donner un frein à l'autorité, en la confiant à un seul magistrat responsable, et

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l'on nomma le premier duc ou le premier doge. Parmi ses successeurs, les uns furent des tyrans, on les détrôna; les autres furent de grands hommes, on les célèbre encore aujourd'hui

La jalousie des nations voisines força Venise de s'exercer à la guerre en même temps qu'au commerce. Des victoires éclatantes remportées sur Pise, sur Gênes, sur Padoue, lui acquirent une réputation militaire. Des négociations heureuses, des alliances utiles lui valurent une réputation politique. Des conquêtes éloignées, faites dans l'Archipel; de riches comptoirs, établis en Asie, élevèrent au plus haut degré sa réputation maritime, et l'Europe crut voir dans Venise une nouvelle Rome qui alloit dompter les nations par le trident des mers.

L'époque des croisades, qui fut pour le reste du monde un temps de calamité et d'épuisement, devint pour Venise une nouvelle source de prospérité et de grandeur. Elle trafiqua du fanatisme chrétien, et vendit chèrement aux légions croisées le passage des mers, et le chemin de l'Asie. Mais elle couvrit son avarice par sa bravoure, et, unie avec les croisés de la France, elle s'empara de Constantinople. Le doge Henri Dandolo, aveugle, et âgé de quatre-vingt-dix ans, étoit à la tête du siège. Il monta le premier sur la brèche, et à la gloire de conquérir le trône de l'Orient, il ajouta celle de le refuser.

Le seul fruit qu'il rapporta de sa victoire, ce furent des tableaux, des statues, des colonnes de granit, et deux chevaux de bronze, sculptés par les meilleurs artistes de la Grèce. Les chevaux de bronze avoient été jadis dans Athènes; ils avoient passé en Arménie. Tyridate en avoit fait présent à Néron. Constantin les avoit transférés de Rome à Bizance, et le doge les transféra de Bizance à Venise. On aime à voir les œuvres du génie voyageant ainsi à travers les révolu tions, se conservant au milieu des ravages, et paroissant tour à tour dans les premières villes de l'Univers, pour y recevoir le culte et l'admiration des peuples.

Les succès militaires tournent rarement au profit de la liberté. Venise comptoit douze familles nobles, qui

descendoient des douze tribuns: elles occupoient les premières places du gouvernement et de l'armée; elles s'attribuoient tout le mérite, elles s'arrogeoient tout le profit des combats et des conquêtes. Le peuple, qui donnoit son sang, son or, et ses suffrages à la noblesse, voulut marcher de pair avec elle. Trompant la multitude par la terreur d'une invasion étrangère, etse con certant avec les principaux de l'Etat, le doge Gradonico parvint, à force de ruses et d'audace, de bienfaits et de rigueur, à exclure les plébéïens du gouvernement, et à rendre les nobles, monarques héréditaires de la république. Aux assemblées générales de la nation, il substitua un sénat permanent, composé des seuls patriciens. Le peuple, dépouillé de ses droits, conspira contre ses ravisseurs. La conspiration avorta, la tyrannie fut consommée, le conseil suprême affermi pour jamais, et le 15 de juin, jour du triomphe aristocratique, célébré comme la plus grande fête de Venise. Cette fête se renouvelle encore tous les ans ; et ce jour-là, le peuple va remercier Dieu de sa servitude.

Le doge Gradonico doit donc être regardé comme le fondateur du gouvernement vénitien, le véritable chef-d'œuvre de l'aristocratie. Un sénat d'ambitieux, jaloux de s'illustrer; un peuple de commerçans, pressés de s'enrichir, sont deux instrumens bien puissans et bien actifs. Par eux, Venise multiplia ses conquêtes, et résista au monde entier. Elle soumit Padoue, Vicence, Vérone; elle soumit une grande portion de la Dalmatie; elle soumit des pays plus éloignés, tels que les isles de Candie et de Négrepont. Aux conquêtes se joignirent les donations. Une reine de Chypre adopta en mourant Venise pour sa fille, et lui légua son royaume, le meilleur vignoble de la Grèce.

Tant de prospérité causa de l'ombrage à l'Europe. Le systême de l'équilibre politique se forma. Il avoit été inventé par les Vénitiens. et dirigé d'abord contre Charles VIII, qui menaçoit d'envahir l'Italie; ensuite il fut tourné contre Venise elle-même, qui menaçoit d'envahir toute la terre. La ligue de Cambrai fut conclue, et l'on vit l'empereur, le roi de

France, et le pape réunir toutes leurs forces pour écraser un sénat. Tantôt en combattant avec valeur, tantôt en négociant avec adresse, le sénat parvint à repousser la ligue, et à la dissoudre. Après avoir détaché les unes des autres les puissances confédérées, il réussit à les armer en sa faveur contre la France, sa plus formidable ennemic. De cette ennemie même, il réussit à se faire une alliée constante, et il vit nos rois s'honorer d'inscrire leurs noms dans ce livre d'or où sont enregistrés les nobles Vénitiens. Ce fut le dernier terme de sa grandeur; et la fortune, qui paroissoit s'être alliée avec lui pour jamais, ainsi que les Français, l'abandonna tout à coup. Elle lui avoit livré tout le commerce des Indes, elle lui laissa à peine celui du Le

vant.

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D'un côté, Vasco de Gama découvrit, par le cap de Bonne-Espérance, un passage plus court et plus facile pour l'inde orientale, et l'Inde occidentale fut donnée par le pape aux Portugais. Christophe Co. lomb, d'un autre côté, découvrit le Nouveau Monde, et l'Inde occidentale fut donnée par le pape aux Espagnols. La France, l'Angleterre, la Hollande, le Danemarck, et les peuples voisins de l'Océan s'élancèrent à l'envi sur les flots, pour aller partager les présens du pape, ou plutôt ceux de la fortune. Venise, qui, jusques-là, avoit été la première, et presque la seule puissance maritime, tomba presque au dernier rang. Elle ne se trouvoit plus sur la grande route de la navigation. Eloignée de l'Océan, elle se vit confinée dans son golfe; sa richesse diminua, sa gloire s'obscurcit, mais sa politique se soutint encore avec éclat.

Le grand secret de cette politique, analysée dans toute sa profondeur, renferme trois arts savans, l'art de balancer les pouvoirs, l'art de contenir les nobles, et l'art d'amuser le peuple.

La noblesse, il est vrai, possède seule à Venise toutes les dignités de l'Etat ; mais la multiplicité et la gradation des magistratures empêchent la coalition et la connivence des magistrats. Trop nombreux pour se concerter ensemble, trop méfians' pour s'ouvrir à

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