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gieusement l'image favorite dont il se servoit) Mirabeau se montra sur le rivage, Mirabeau s'élança sur la nef, Mirabeau s'enflamma d'un zèle dévorant, Mirabeau encouragea l'élite de ses collaborateurs; il suscita, multi plia, accéléra le mouvement populaire; et alors on vit ce que peut un homme de génie aidé d'une nation, ce que peut une nation aidee d'un homme de génie.

Et qui arma le peuple François contre ses tyrans? Lui par ses conseils. Et qui désarma les légions menaçantes. de l'aristocratic? Lui par son éloquence. Et qui ferma l'abyme ouvert, l'abyme immense de la banqueroute? Lui par ses calculs. Et qui étouffa les dernières clameurs de la superstition? Lui par sa philosophie. Et qui enfin, après avoir conduit la nation au sommet de l'indépendance. a essayé de la retenir sur le penchant de l'a narchie? Lui par son audace et sa vigueur.

Ce dernier effort ne fut pas le moindre miracle de sa vie publique. Je ne chercherai point ici à dévoiler les ressorts je me borne à crayonner les résultats; et je crois être juste en disant: Si le génie révolutionnaire de Mirabeau a servi la France, son génie constitutionnel l'a sauvée.

Sauvé la France! Et de quels périls? Des fausses terreurs, des motions aveugles, des écarts ruineux, et des mouvemens rétrogrades.

Sauvé la France ! Et de quels ennemis ? Des ennemis les plus dangereux, parce qu'ils sont des amis imprudens; d'un peuple bien intentionné, mais peu mesuré dans sa marche; d'un parti vraiment patriote, mais qui outre-passe la limite où finit le bien; des sages euxmêmes, embarrassés ou fatigués daus le labyrinthe des incertitudes, et à qui il restituoit, ou le discernement, ou l'énergie.

Sauvé la France ! Et par quels secrets? En resserrant Talliance du peuple avec le monarque; en infusant l'ame de la république dans les sens et les organes de la monarchie; en appuyant sans cesse l'équilibre des pouvoirs, et le règne des lois; en immolant, pour ainsi dire, les tyrans sur les ruines de la Bastille, et les factieux dans le temple de la constitution.

Architecte du temple, il en étoit devenu le gardien.

Du haut de la tribune, du centre de l'administration, il avoit juré d'épier et de combattre tous les perturbateurs. En même temps il s'occupoir à consommer l'ouvrage législatif. Chaque pierre, posée de sa main, consolidoit l'édifice. Il en rectifioit les plans; il en cimentoit les parties; il en polissoit même tous les matériaux; persuadé qu'en fait de constitution, toute difformité est un vice, et toute irrégularité une ruine.

A la puissance de la pensée, il joignoit la magie de la parole; il faisoit reparoître avec force le point disparu de la question, et sortir avec éclat le point invi, sible du problême. La conséquence éloignée étoit rapprochée et apperçue. Le noeud secret étoit découvert et saisi. Les raisonnemens, pressés autour des objections, n'en laissoient échapper ni subsister aucune. La raison décisive étoit la figure dominante de ses tableaux. Un coloris quelquefois rembruni, une expression quelquefois théâtrale et démesurée. servojt. à subjuguer la prévention, ou à réveiller la léthargie. Il tuoit ou ressuscitoit à son gré les passions. Il s'adressoit à elles pour obtenir, ou leur suffrage, ou leur silence. Le principe commandoit à l'orateur, et l'orateur commandoit à l'assemblée : la tribune enfin étoit le trône de son génié.

Tant de travaux ont consumé l'infatigable moteur de la révolution, et la tombe dévore celui qui dévora le despotisme! Frappé à mort presque subitement sous le poids d'une maladie affreuse, il a vu se dissoudre et s'écrouler son existence, d'un regard aussi ferme qu'il avoit vu tomber le gouvernement. Ses dernières pensées ont été des considérations publiques et un bienfait national. Les mouvemens d'un peuple alarme qui entouroit sa maison et consacroit d'avance sa mémoire, calmoient ses souffrances et agrandissoient encore ses esprits agonisans. Nulle idée pusillanime n'a 'dégradé son ame aux bords de l'éternité; et deux mapstueuses images remplissoient sa vaste imagination, la postérité et l'assemblée nationale. Il a desiré être entendu encore de la dernière, après qu'il ne seroit plus. Il lui a légué le dernier trésor de ses méditations. Un pontife-patriote, son ami, a porté, au milieu des législateurs, ce tribut sacré. L'admiration et la douleur

ont écouté en silence et applaudi en gémissant. Le tròne s'est ému en apprenant la chûte de son rempart. Accourant au bruit de cette catastrophe imprévue, le peuple consterné se montroit, taniôt immobile de désespoir, tantôt tumultuaire de désolation. Chaque front sembloit empreint de l'image du passé. Chaque regard paroissoit noirci du spectacle de l'avenir; et la France, en perdant cet appui, chanceloit en quelque sorte sur sa base.

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Citoyens français ! rassurez-vous. Quoique non complet encore l'œuvre national est indestructible. L'esprit public, grace à nos législateurs, grace à nos philosophes, grace à celui qui fut et l'un et l'autre, l'esprit public a jeté dans les têtes de si fortes racines, qu'il a besoin d'être cultivé, mais qu'il n'a plus besoin d'être soutenu. L'arbre vivifiant couvre la France. Son immensité fait sa stabilité. Les talens qui l'entourent peuvent périr ce sont des ornemens ce sont des branches productives qu'il perd; mais sa tige est immortelle, et sa sève inépuisable.

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Le rameau le plus fécond de cet arbre est rompu! Mirabeau a succombé! Hélas! vous ne l'entendrez plus tonner dans la tribune; mais il tonne core dans ses ouvrages; ses lèvres sont glacées, mais que de pages brûlantes dans ses écrits! son cœur est inanimé, mais il respire dans nos lois. L'aristocratie, peut-être, ou l'anarchie, insultent dans leur pensée un cadavre impuissant; mais son nom sera plus formidable pour elles que ne l'eût été, peut-être, le reste de sa vie. Enfin, il est réduit au néant du cercueil; mais ce cercueil, agrandi par l'enthousiasme, sera visité par les peuples, et il sera doué, par son apothéose, d'une puissance miraculeuse : tout esclave tremblant qui en approchera, recouvrera soudain la force de briser ses fers.

Les soldats qui avoient combattu sous Maurice de Saxe aiguisoient sur sa tombe la pointe de leur glaive: les orateurs de la patrie viendront renforcer leur éloquence devant l'image de Mirabeau.

Vengeurs de la liberté romaine, Cassius et Brutus furent nommés les derniers Romains: fondateurs de la

liberté française, Mirabeau et ses collègues seront nommés les premiers Français.

Braves citoyens, dont j'ai l'honneur d'être l'organe, pardonnez au style abattu d'un écrit sorti avec tant de précipitation de ma plume troublée. Et toi, que je célèbre sans art et sans affectation, si ma voix pénètre au sein des morts, compte parmi les singularités de ta vie, et cet hommage que tu n'attendois pas de moi, et celui de ta section, qui a disputé tes cendres aux quarante-sept rivales de son admiration. Ces guerriers en deuil t'ont possédé au milieu d'eux un moment. Ils accompagnent ta dépouille à sa demeure éternelle. Ils viennent, avec une religieuse confiance, te recommander, aux prières de ces pontifes, médiateurs de l'être suprême : te voilà devant lui! te voilà rejoint aux principes de l'univers ! les pages de notre constitution, faites de ta main, toucheront en ta faveur le père des mortels. Ah! combien tu dois dédaigner en ce moment ces vanités humaines que tu avois la foiesse humaine de rechercher! combien tu dois gémir de n'avoir pas séparé tant d'actions magnanimes de quelques actions moins pures!... Mais je ne suis chargé dans e jour de deuil que de montrer la plus noble partie de toi-même. Que le voile de l'oubli, plus épais et plus sombre que le voile de la mort, couvre les égaremens ou les lacunes de ta gloire ! Ombre fameuse repose en paix dans le sein de la renommée! entretiens ton immortalité d'une pensée, qui seule vaut un siècle de bonheur. Un législateur romain disoit en mourant: J'avois trouvé Rome construite en boue et en argile je la laisse bâtie en marbre et en métal. En expirant tu as pu dire : J'avois trouvé la France chargée de bastilles, de parlemens, de satellites, de préjugés, de chaînes; je la laisse avec une législature tutélaire, une armée patriote, des tribunaux règlés, des temples refaits, un trône raffermi et immuable, une constitution régénérante et incorruptible.

Evénemens.

BERNE EN SUISSE. La tyrannie du sénat bernois ne se contraint guères. En voici une preuve récente. Un bourgeois de Beme, membre du souverain, voyageoit en

cabriolet. Passe un marchand de cochons. Ces animaux ne se rangeant pas assez vite, l'impatient voyageur en écrase deux, et disparoît, mais en laissant tomber son chapeau. Il revient au grand trot le chercher. Le marchand qui l'avoit ramassé, lui déclare qu'il ne le rendra que devant le bailli, et après qu'il sera payé de ses deux cochons. Le bourgeois, membre du souverain répond à une remontrance si simple, en plongeant son épée dans le sein du marchand qui expire du coup. Let frère du mort accourt à Berne pour demander justice au sénat. On la refuse en disant, qu'il faut auparavant recourir au bailli. Pendant ce temps-là, le meurtrier souverain s'échappe. Voilà les fruits du despotisme aristocratique. Tout le canton de Berne jette les hauts cris sur cette aventure: il est tenté de ne plus voir dans ses maîtres que des assassins-privilégiés.

PARIS. On sait que Saint-Dominique a été le fondateur de l'inquisition, et qu'il prêcha en France les horribles croisades contre les Albigeois. C'est lui qui le premier alluma dans le Languedoc le feu des guerres religieuses, D'après ce fait si connu et si odieux, la section. de Grenelle s'est cru autorisée et obligée de changer le patron de son église paroissiale. C'étoit ci-devant Saint-Donique. Elle a choisi Saint-Thomas d'Aquin qui étoit du même ordre mais d'un génie bien différent. Il étoit grand théologien et non pas grand inquisiteur. Ce changement seroit tout simple s'il avoit la sanction des lois. Les paroissiens peuvent-ils, de leur autorité privée, destituer un saint de son autel? Pas plus qu'ils ne peuvent, sans l'autorité publique, destituer un magistrat de son tribunal.)

Le 8 avril, on a brûlé, en présence du peuple, à la caisse de l'extraordinaire, six millions en assignats, qui joints à cinquante-deux millions déja brûlés, font cinquante-huit millions d'assignats éteints.

MADRID. La théologie ne sera pas éteinte de sitôt en Espagne car l'inquisition redouble ses gardes et remplit ses cachots. Nous avons parlé, du savant géo-, mètre qu'elle a fait arrêter de peur de ses calculs. Eile vient de faire enlever un jeune poète pour avoir fait une chanson. On n'a laissé à tous deux que leur cha-pelet et un livre de prières.

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