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ANNÉE

DE LA

FEUILLE VILLAGEOISE.

VINGT-NEUVIEME SEMAINE.

Jeudi 14 Avril 1791.

Projet de Tontine Villageoise.

:

On a proposé à l'assemblée nationale un projet de. tontine pour les pauvres. C'étoit une bourse où chacun auroit mis quatre-vingt-dix livres les vivans auroient hérité de la mise des morts, et au bout d'un certain temps, on auroit pu donner aux survivans depuis 45 liv. jusqu'à 3000 liv. de pension viagère. L'assemblée a rejeté ce projet, parce que c'étoit une espèce de loterie, où les sommes placées par ceux qui viendroient à mourir, seroient perdues pour leurs enfans. Mais nous de cette idée pour proposer à nos amis villageois un moyen peu coûteux de se ménager une petite rente sur leurs vieux jours. Ce moyen est pratiqué en Angleterre et en Amérique :

le voici.

Nous supposons d'abord la mise d'un louis, auquel on joindra sur ses épargnes deux sols par semaine, qui feront 5 liv. 4 s. par an. Nous supposons tout cet argent placé à intérêt, sans que l'on y touche jamais; dèslors on aura au bout de vingt ans 228 liv. 16 s. 6 d.: au bout de vingt-cinq ans, 320 liv. 15 s.: au bout de trente ans, 460 liv. 18 s. 9 d. au bout de quarante ans, 870 liv. 15 s. 9 d.

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Ainsi, un père économe, une bonne mère qui placeroient, pour leur fille qui vient au monde, un louis à sa naissance, et deux sols par semaine, lui prépare

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roient de loin: et sans de grands sacrifices
de 228 liv. 16 s. 6 d., amassée en vingt ans.

une dot Ainsi, un parrain et une maraine, qui voudroient du bien à leur filleul ou à leur filleule, pourroient leur faire le même présent, au lieu des étrennes qu'ils leur donnent, et qui se dissipent en frivolités.

Ainsi, un jeune artisan pourroit, en débutant dans sa carrière à vingt ans, placer son louis d'entrée, et ses deux sols par semaine, et à soixante ans, il auroit une somme de 870 liv. 15 s. 9 d., qui, placée à fonds perdu ser lui ou son premier enfant, rendroit 87 liv. par an, ou 7 liv. 10 s. par mois.

Ainsi, le riche charitable qui donne, dans le courant de l'année, tant de pièces de deux sols, souvent mal employées, pourroit choisir quelques familles honnêtes de gens pauvres, et placer sur la tête de leurs enfans, un louis, et 5 liv. 4 s. par an; ce seroit un patrimoine que sa libéralité assureroit aux indigens dans leur vieillesse.

Un particulier solvable ou la municipalité seroient les dépositaires de cet argent, dont ils payeroient l'intérêt. Ce seroit une petite banque ouverte pour recueillir et faire valoir les profits ou les épargnes de Tindustrie. Bientôt, au lieu de deux sols par semaine, on en payeroit quatre, cinq et six. Au lieu de s'enivrer grossièrement au cabaret, on porteroit sa pièce de douze sols à la banque villageoise en prendroit plaisir à s'imposer soi-même quelques privations dans sa jeunesse, pour se préparer des secours dans l'âge des infirmités. Les ménages seroient moins misérables et moins querelleurs. La classe manouvrière auroit des mœurs plus douces et plus sobres; et le goût du travail et de l'économie succéderoit à celui de la dissipation êt de la débauche.

C'est par une suite de leur coupable imprévoyance qu'un grand nombre d'ouvriers vont mourir à l'hôpital dans leur vieillesse. Le peuple, relevé aujourd'hui de son abaissement, doit sentir qu'il ne doit plus dépendre de la pitié publique, et qu'arrivé à cet âge vénérable, si digne du repos, il doit pouvoir se dire je suis indépendant, et le pain que je mange, je l'ai acheté. dans ma jeunesse.

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Suite de la Géographe universelle.

REUNISSANT plusieurs états, les uns héréditaires, les autres conquis, et s'avançant, des extrémités dé la Saxe, jusqu'aux frontières de la Russie, le royaume de Prusse ressemble en quelque façon à un grand chemin, qui traversant l'Allemagne, s'enfonce dans la Nord. Cet empire n'existe sous le nom de royaume, que depuis un siècle, et n'est devenu puissant et célébre que depuis cinquante ans. La Prusse, en effet, étoit jadis un fief qui relevoit et dépendoit de la Pologne. Elle en fut détachée par une de ces révolutions, si fréquentes dans le temps de la féodalité et des croi sades. L'ordre Teutonique, appelé ainsi parce qu'il fut institué par des croisés Teutons, ou Allemands, posséda ce grand fief, d'abord comme un simple bénéfice, ensuite comme une souveraineté. Etabli dans la Palestine, ainsi que l'ordre de Malthe, pour y protéger les lieux saints, et pour y exercer l'hospitalité chrétienne, l'ordre teutonique se lassa d'une si noble fonction, et chercha un autre genre de noblesse, moins analogue au christianisme et plus favorable à l'orgueil. On vit des moines chevaliers, des hospitaliers-conquerans, des mendians-souverains subjuguer sans scrupule et opprimer sans remords des peuples ignorans qui confondoient la croix et le sceptre. idolâtroient les saints et les nobles, et rampoient sous le monachisme et sous le despotisme avec une foi et une stupidité égale.

Get ordre d'illustres voleurs fut volé à son tour. Le grand-maître ou le premier brigand, gagna les principaux chevaliers, intimida les subalternes, brava les bulles du pape et les diplômes de l'empereur, et moitié par artifice, et moitié par violence, de simple général de l'ordre teutonique, il se rendit souverain absolu de la Prusse, sous le titre de duc-héréditaire. Le duché de la Prusse fut ensuite affranchi du lien féodal qui l'attachoit à la Pologne; ensuite on étendit son territoire, et par les armes, et par les alliances; enfin,

B

réuni à l'électorat de Brandebourg, il fut érigé en royaume, sous Frédéric, surnommé le Magnifique, et qu'on auroit dû surnommer le dissipateur.

Ayant sacrifié ses trésors et ses armées pour acquérir le vain titre de roi, il se couronna lui-même, en 1701, et plaça de sa main la couronne sur une tête, meilleure. que la sienne, sur celle de Sophie-Charlotte sa femme princesse philosophe, élève de Leibnitz, amie du peuple et des savans, ennemie des disputes et des guerres, et qui, prête d'expirer, dit, en riant, aux sages qui l'entouroient: Ne me plaignez pas : je vais apprendre à la première école de l'univers tout ce que Leibnitz n'a pu m'expliquer; et je prépare au roi, mon époux, le spectacle d'une pompe funebre où il aura une occasion de déployer sa magnificence.

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Frédéric-Guillaume porta la parcimonie aussi loin que Frédéric le Magnifique avoit porté la profusion, ou plutôt, changeant l'objet d'une dépense folle, il attacha sa gloire et son faste à recueillir dans l'Europe tous les soldats d'une taille colossale, pour en composer une armée de géans, comme s'il avoit voulu escalader le ciel ou saccager la terre. Chacun de ces colosses, revêtu d'un drap bleu qui le couvroit à peine, marchoit en cadence, et obéissoit à la baguette du roi qui sembloit un caporal, ou plutôt un magicien, animant des machines et remuant des montagnes. Le moindre de ces géans enrôlés avoit six pieds et coûtoit mille écus. Berlin, capitale du Brandebourg, profita de cette folie belliqueuse, et se remplit d'armuriers, de fourbisseurs, de manufactures d'uniformes et de magasins à poudre. La cour devint un camp, ou une salle d'armes. Toute élégance en fut bannie. On n'y garda qu'un luxe massif, c'est-à-dire ces ornemens riches et matériels dont la vanité peut jouir, mais que l'avarice peut réaliser. La reine eut une toilette d'or grossièrement faite. Le roi eut des fauteuils d'argent où l'on n'avoit pas épargné le métal, mais la façon. I thésaurisoit ainsi jusques dans ses meubles. Quant à ses habits, ils étoient réduits à trois aunes de drap et à des boutons de cuivre. Ses courtisans prirent son tailleur et ses maximes, et renonçant aux pompes vaines, ils convertirent les ga

lons en lingots et les diamans en terres. Du fruit de ses économies royales, l'austère et frugal monarque acheta. de vastes domaines. fonda Potsdam, répara Berlin, rebâtit plusieurs autres villes, et laissa une armée et un trésor à son successeur Frédéric-le-Grand.

Frédéric-le-Grand adopta et suivit le principe de son prédécesseur, qui étoit d'avoir toujours sous la main une armée et un trésor. Mais, né avec un tout autre génie, il joignit la richesse des arts au trésor public, et il prés féra les talens militaires aux géans de l'armée. C'est lui qui a inventé, cultivé. perfectionné la tactique moderne, c'est-à-dire cette science nouvelle des évolutions, des marches, des campemens, des attaques, des retraites, que l'on appelle l'exercice à la prusienne, et que toutes les nations guerrières ont admirée, étudiée, et copiée chez elles; et c'est par la supériorité de cette tactique savante, que le roi de Prusse a fait et conservé la riche conquête de la Silésie; qu'il a résisté aux forces reunies de l'Autriche et de la France; qu'il s'est approprié la meilleure part du triple larcin fait à la Pologne; quil a forcé le feu empereur d'abandonner la proie de la Bavière à moitié saisie; qu'enfin il a tenu d'une main victorieuse et ferme, jusqu'au dernier jour de sa vie, le sceptre de la Prusse et la balance de l'Europe.

Frédéric-le-Grand ne borna pas sa grandeur à l'art des combats et à celui des négociations. Poëte et littérateur, il fut l'ami de Voltaire et de Maupertuis. Philosophe et politique, il établit et respecta la tolérance des religions et la liberté de la presse. Législateur et jurisconsulte, il corrigea la procédure criminelle et civile; il abolit l'horrible usage de la question; il substitua des châtimens équitables à des supplices dispro portionnés, et des jugemens réguliers à des sentences arbitraires. Le recueil de ces lois fut nommé le CodeFrédéric. En réglant les tribunaux, il régla aussi les finances; mais, tout en réformant les abus du fisc. il augmenta les entraves du commerce, et il chargea les manufactures d'un tas de lois prohibitives et de régle mens vexatoires. Si quelque chose est capable de réparer cette bévue politique, c'est tout le bien que Frédéricle-Grand n'a cessé, dans ses dernières années, de faire

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