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partement de la Gironde, datée du 2.7 août :

Messieurs, nous ignorions encore l'effet qu'auroit produit, sur les représentans de la nation, la nouvelle venant des colonies au moment où le décret sur les gens de couleur y est parvenu. Fideles à nos sermens et aux principes invariables de justice cui doivent guider les administrateurs du peuple, nous avions ordonné à la municipalité de Bordeaux de faire des recherches sur une assemblée qui s'est tenue à la bourse de Bordeaux : on nous l'a dénoncée comme inconstitutionnelle, comme ayant pour objet de vous demander la révocation des décrets des 13 et 15 mai. Les discours qui y ont été tenus, nous ont été rapportés comme dangereux, contraires à la loi et aux autorités qu'elle a instituées. Nous attendons le résultat des recherches de la municipalité, et nous aurons l'honneur de vous en rendre compte.

Comme la pétition de cette assemblée inconstitutionnelle pourroit aujourd'hui vous être adressée comme étant le voen des citoyens de Bordeaux, nous croyons devoir à leur honneur, aux sentimens dont ils sont animés, et à leur amour pour la constitution, de vous assurer, messieurs, que cette pétition ne peut vous être adressée que par l'intérêt particulier (applaudissemens). Les négocians ne voient jamais que leurs propriétés, leurs créances, leur commerce. Nous vous avions marqué d'avance que l'on préparoit dans les colonies une résistance ouverte à vos décrets nous savions avec quelle noirceur avoient été peintes vos intentions; nous savions par combien de rapports, ceux qui excitoient cette résistance, étoient liés avec ceux qui voudroient renverser la constitution; nous avions vu se former tous ces complots; nous avions eu le courage de nous élever contre cette ligue dangereuse; nous vous avions demandé avec instance des commissaires - citoyens; et nous vous avions offert des soldats-citoyens pour maintenir la paix dans les colonies. 1200 hommes étoient inscrits, et brûloient du desir d'aller maintenir la paix et la liberté dans cette partie de l'empire.

Ces mesures, dictées par notre amour pour la constitution, ont été dénaturées par les ennemis de la patrie; et, dans une brochure incendiaire, on nous a accusés d'avoir voulu porter le feu dans les colonies. Tranquilles sur nos motifs, nous avons attendu en silence l'effet que produiroit le décret, et les invitations fraternelles que nous avions adressées aux colons. Nous savions, messieurs, que, malgré les efforts de l'intrigue, nous trouverions, dans ces

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climats éloignés, des amis de la justice et de la liberté; ils se sont fait entendre. Ce sont eux aujourd'hui qui nous demandent des commissaires et des défenseurs citoyens ce sont eux qui rendent hommage à la sagesse de vos décrets. Un de nous reçoit à l'instant une lettre de la Martinique, dont nous joignons ici l'extrait. Les nouvelles que nous recevons de la Guadeloupe et du Port-au-Prince nous annoncent les mêmes dispositions.

Nous espérons que par tout la cause de la liberté triomphera elle assurera votre gloire et la félicité publique, qui seront le prix de vos travaux. Nous avons l'honneur d'ê re, etc. Voici l'extrait de la lettre datée de la Basse-terre.

14 juillet 1791.

La présente, mon cher Duranci, est pour vous accuser la réception de votre lettre du 24 mai, du décret, ainsi que des autres pieces que vous m'avez adressées.

Je l'ai trouvé très-sage, ce décret; il a fait ici sensation sur les esprits dans le premier moment, et a fini par être approuvé de tous les vrais patriotes: Il est grand tems qu'on nous envoie des forces : l'insurrection commence à gagner. (Ah, ah!) Nous avons éprouvé des troubles tousces jours-ci, occasionnés par la frégate commandée par M. Malvaux, et envoyée précisément pour cela. A son arrivée, on a débité la nouvelle qu'elle n'y venoit que pour y mettre à terre quelques passagers qu'elle avoit pris à la Dominique, et tous passagers aristocrates. (Ris à gauche et à droite.) Vendredi 8 du courant, jour de son arrivée, M. Baudrissel, notre maire, fut averti de se tenir sur ses gardes, parce qu'il devoit, lui quatrieme, être enlevé par ladite frégate; et le jour de son arrivée, M. Malvaux a donné quatre piastres gourdes à ses matelots, pour qu'ils allassent s'amuser. Les matelots qui avoient le mot-du-guet, vont boire, et feignant de s'être énivrés, font les insolens, et tiennent à la garde nationale, dans le corps de garde national, les propos les plus indécens. M. Malvaux, au lieu de contenir son équipage, voyant que quelques murmures commençoient à s'élever, dit que nous n'étions ici que des brigands. Il s'adressa à un avocat, bon patriote, brave homme, qui lui dit des vérités sur la conduite humiliante qu'il tenoit ; il lui riposta vivement; on a crié tout à coup aux armes: la garde nationale est sur-le-champ rassemblée; la plus grande artie des citoyens a pris les armes, après avoir fait rentrer Les femmes et les enfans. La municipalité, à la tête de Se

gardes nationales, a marché pour ramener l'ordre et le calme, et à dix heures tout étoit dans la plus grande tranquillité. Les patrouilles ont marché toute la nuit. Hier matin 12, la municipalité a dressé procès-verbal de tout ca qui s'est passé. Ils veulent, ces indignes aristocrates, осса. sionner les mêmes troubles qu'à la Martinique. L'assemblée nationale auroit bien dû nous envoyer des forces: il en est grand tems, je vous l'assure.

Au moment où j'allois terminer ma lettre, il nous arrive une nouvelle de la Martinique, qui nous apprend que le maire et les échevins, formant la municipalité de SainteLucie, ont été enlevés par une frégate, et portés au Fortroyal. Cela nous confirme bien dans l'avis que nous avions eu; et à coup sûr, nous perdrions dans notre maire un homme de bien, sage, et qui conduit bien les choses. Certifié conforme, etc.

M. Begouen: Voici deux autres adresses, l'une des négocians et capitaines de navires du Havre; l'autre de la société des amis de la constitution de la mène ville, composée de huit cens citoyens. La premiere est ainsi conçue:

Messieurs; lors de l'émission de votre décret du 15 mai, les négocians et capitaines du Havre qui ont fréquenté les colonies, ou qui y ont des relations habituelles, vous représentoient que le nouveau régime que l'on tentoit d'y établir, étoit impossible dans son exécution: les clameuis de la malveillance, de l'ignorance, ou de Fintrigue étoufferent nos justes réclamations, et certains des maux affreux que le décret alloit produire, nous fumes contrains de nous taire et de gémir en silence. Heureux si nous nous fussions trompés dans nos pressentimens. Mais hélas, tout ce que nous avions annoncé est arrivé. Dans la ville du cap, et dans toute la province du nord de l'île de Saint-Domingue, sur le simple avis de ce funeste décret, les têtes se sont exaltées; l'indignation et les fureurs se sont emparées de tous les esprits; les querelles de parti, les différences d'opinion ont disparu; tous se sont réunis pour la cause commune; tous ont juré de sacrifier mille fois leur vie, de s'ensevelir sous les ruines de leur malheureuse patrie, plutôt que d'être les tranquilles et imbécilles spectateurs de sa ruine. Nous vous portons, messieurs, les propres expressions des avis authentiques que nous en avons reçus.

Et ne croyez pas que le mécontentement des colons se soit borné à de simples réclamations et à de vaines menaces. Oui, messieurs, nous le disons en frémissant, dans une asSemblée générale, on a fait la motion d'arborer le pavillon

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anglois, et cette motion a été applaudie. De même que dans ces tems funestes de terreur et de calamité, les inagasins sont fermés, le commeroe est interrompu, tous paiemens sont cessés, chacun court aux armes, et on se prépare de toutes parts à la plus vigoureuse défense. Au Cap, on monte les batteries du fort, pour repousser les téméraires qui oseroient venir prêcher une doctrine perfide et sanguinaire. Tous les citoyens, les municipalités, les corps administratifs, les troupes de ligne, tous n'ont qu'uu sentiment, qu'une ame. Ils maudissent les liens qui les at tachent à nous; et dans leur désespoir ils s'écrient que la france est leur plus cruelle ennemie.

C'est ainsi, messieurs, que par des idées outrées et des systêmes hors de saison, on est parvenu à égarer les citoyens les plus fideles. (Murmures à gauche.) Les avis ont été donnés et reçus dans les différentes provinces et parties de Tile: partout les mêmes préparatifs. Nous voilà donc réduits à faire la conquête de nos colonies, et à égorger nos freres, pour des idées métaphysiques. Nous ne vous disons pas, messicurs, que l'indignation est au comble contre certains ports de mer partisans de cette fausse philantropie; que l'on refuse d'en acquitter les créances, et qu'on veut renvoyer les navires qui en sont attendus.

Nous frémissons des suites terribles que ces événemens préparent nous y voyons la ruine certaine de nos pro, vinces maritimes, le désespoir de 5 à 6 millions d'hommes, une foule de maux que nous n'osons envisager. Et qui sait en effet, quelle peut-être la chaîne de ces malheurs! Veuillez arrêter la ruine qui menace l'édifice superbe que vos glorieux travaux avoient élevé. Nous vous supplions de ne pas tromper les voeux de ces colons, toujours fidels à la merc-patrie (oui, oui; il y parott), prêts encore à verser leur sang pour elle. Eclairés par l'expérience, suspendez, messieurs, l'exécution de cet impolitique décret; attendez, comme nous vous l'avons déja dit, que les esprits soient murs par la philosophie.

Laissons au tems à préparer ses douces et bienfaisantes leçons; nouveaux espagnols, irons-nous dans notre ardent et intolérant patriotisme, porter le fer et le feu dans ces paisibles contrées, pour y faire goûter nos principes. Vos loix, pleines de sagesse, gouverneront un jour l'univers; mais c'est cette mêine sagesse qui les fera adopter, et jamais la violence. Non, messieurs, vous ne renverserez pas, par une commotion violente et une rigueur outrée, de riches établissemcus, objets de la jalousie de nos ennemis, et une

des principales causes de la richesse de la France. Il y a 7 à 8 pages de signature.

Voici la lettre de la société des amis de la constitution : Messieurs, une douloureuse expérience vient confirmer les vives inquiétudes qu'avoit causé le décret du 15 mai, concernant les gens de couleur. Quand les ports du royaume firent entendre leurs réclamations, on crut alors que l'intérêt particulier les avoit dictées : on voit aujourd'hui qu'elles n'avoient d'autre objet que l'intérêt public, que le véritable intérêt de la patrie. Les dépêches de M. B'anchelande, un grand nombre de lettres particulieres, les rapports unanimes de tous les françois qui arrivent de StDomingue, se réunissent pour prouver que la nouvelle de ce décret y a été reçue comme les places de commerce l'avoient préjugé. Nous ne pouvons plus douter des malheurs qui nous menacent. La plus belle de nos colonies est dans une fermentation horrible, la vie des colons est en danger, la fortune de la métropole est compromise. A St~ Domingue, il a été question d'arborer l'étendard d'une nation étrangere (on, rit).

M. Garat: Riez, riez.

M. Begouen continue: Sages législateurs qui avez régénéré la France, vous avez juré de périr plutôt que de porter atteinte à la constitution : rien ne peut altérer notre confiance en vous; mais nous vous dirons, avec cette franchise qui caractérise les hommes libres, qu'une funeste certitude nous démontre que l'exécution immédiate du décret du 15 mai entraînera infailliblement tous les malheurs dont nous n'avons qu'esquissé le tableau. Nous sommes, etc.

M. mai.

Je demande le rapport du décret du 15

M. Monneron: Je reçois à l'instant une lettre de Bordeaux. La voici :

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Un navire, arrivé hier du Port-au Prince parti le 11 juillet, nous assure que la paroisse la plus riche; celle de la Croix-des-Bouquets et différentes autres, ont promis adhësion au décret. et qu'elle se disposoient à la fête de la fédération du 14 juillet. Je suis, etc.

Comme on m'a soupçonné de donner des nouvelles qui n'étoient pas positives, je demande que cette lettre soit déposée sur le bureau (applaudi).

Une voix Mention au procès-verbal.

Une autre Le renvoi au comité.

M. Perisse: Je demande la parole là dessus.

L'assemblée renvoie toutes ces pieces au comité, et leve sa séance à trois heures et demie.

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